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Moustapha Niasse, Place de l'Obélisque à Dakar le 5 février 2012/AFP/ SEYLLOU
Moustapha Niasse, Place de l'Obélisque à Dakar le 5 février 2012/AFP/ SEYLLOU

Sénégal: Moustapha Niasse, le faiseur de roi

Arrivé en troisième position de la présidentielle du 26 février 2012, Moustapha Niasse se retrouve comme en 2000 dans le rôle d'arbitre du deuxième tour.

Mise à jour du 11 mars: L'opposition sénégalaise a décidé de resserer les rangs en créant le 10 mars le "Rassemblement des forces du changement", un cadre réunissant tous les candidats battus au premier tour de la présidentielle, pour soutenir Macky Sall au second tour le 25 mars face au président Abdoulaye Wade.

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Un second tour aura, bel et bien lieu, entre le président sortant Abdoulaye Wade et son ancien premier ministre, Macky Sall. Et c’en est fini des rêves présidentiels de Moustpaha Niasse. Après trois tentatives infructueuses, le candidat de l’opposition va passer le relais. A 73 ans, ce vétéran à la course présidentielle, est arrivé à l’âge de la retraite. Mais toutcomme en 2000, il tient à nouveau le bon rôle : celui de faiseur de roi.

A en croire une source proche de l’entourage de Moustapha Niasse, qui requiert l’anonymat, le président sortant, Abdoulaye Wade, tout comme son adversaire au second tour, Macky Sall,  lui font une cour assidue. D’ailleurs, le premier acte posé par Macky Sall, pour entamer son début de campagne pour le second tour, a été de se rendre au domicile d’Amadou Moctar Mbow, ancien directeur de l’Unesco et par ailleurs président des Assises nationales pour signer la charte de ces Assises. Pour entrer dans les bonnes grâces de ce dernier. Alors que du côté du camp présidentiel, Wade fait des mains et des pieds pour convaincre le candidat de Bennoo de donner des consignes de vote en sa faveur. En contrepartie, il partirait dans deux ans lui laissant son fauteuil présidentiel, tout comme Senghor avait fait en 1982 avec Abdou Diouf, alors Premier ministre.

Pour le moment, Moustapha Niasse se garde de tout commentaire à ce sujet. Bien qu’il ait dit publiquement qu’il ne soutiendrait en aucune manière Wade, il n’a donné aucune consigne de vote en faveur de Macky Sall. Une posture  mi-figue mi-raisin qui délie les langues à Dakar. Mais, Moustapha Niasse est un homme tenace.

«C'est un homme imperturbable, très serein et très clairvoyant. Il avance à petit pas, mais il avance  sûrement vers l’objectif qu’il s’est fixé», disait de lui Sako Diop, jeune frère de Niasse  dans une interview accordée au journal dakarois Le Quotidien, en 1999.

Ancien baron du Parti socialiste

Né dans la petite bourgade de Keur Madiabel, situé dans le centre sud du pays dans la région de Kaolack, Moustapha Niasse, candidat de l’unité et du rassemblement au sein de Benno Siggil Senegaal, est ssu de la grande famille socialiste, à laquelle il a appartenu pendant 40 ans. A cette époque, l’Union progressiste sénégalaise (Ups-parti unique qui deviendra plus tard le parti socialiste) était incontestée. Parmi ses défenseurs les plus virulents se trouvait le jeune Niasse, président de l’encadrement national des jeunes du parti.

Après son baccalauréat obtenu au Lycée Faidherbe de Saint-Louis, il intègre l’université de Dakar. Plus tard, le jeune étudiant s’envole pour Paris et amasse des diplômes à l’Institut d’études du développement économique social (Iedes). De retour au bercail en 1970, le président, Léopol Sédar Senghor, en fait son directeur de cabinet. Dans le même temps, il coordonne le Service national de sécurité. Et occupe successivement, les postes de ministre de l'Urbanisme, de l’Habitat et de l’Environnement de mars à septembre 1979 avant d’être promu la même année au poste de ministre des Affaires Etrangères. Un portefeuille stratégique qui lui permet de nouer des relations avec de hautes personnalités du Nigeria, du Maroc, du Gabon et les monarchies du Golf. Il reste une pièce maitresse dans le dispositif du président Senghor jusqu’à la démission de ce dernier en 1980. Et devient éphémère Premier ministre dans le gouvernement de Diouf (à peine un mois). Néanmoins, Niasse reste dans le gouvernement du président Diouf jusqu’en 1984, en occupant encore le poste de ministre des Affaires Etrangères.

Homme d'affaires à succès

Le 19 septembre 1984 se produit l’irréparable. En plein conseil des ministres, Moustapha Niasse, excédé par les critiques acerbes de son collègue, Djibo Kâ, alors ministre de l’Information et porte parole du gouvernement, qui lui reprochait son absentéisme,  lui administre une gifle magistrale sous les yeux du président ahuri. A la suite de cet incident malheureux, il sera démis de ses fonctions. A partir de là, il s’éloigne des affaires politiques et entame une carrière d’homme d’affaires.

Moustapha Niasse s’investit dans les activités privées, en mettant sur pied un cabinet d’expertise et de consultation internationale. Et commence à élargir ses domaines d’activités, se lançant ainsi dans le pétrole, les assurances, la consultation financière et commerciale, les activités maritimes, le transport aérien, etc. Il se fait rapidement une fortune dont profitent étudiants, malades et démunis.

Mais après la réélection du président Abdou Diouf en 1993, il réintègre le gouvernement et bénéficie à nouveau du portefeuille de ministre des Affaires Etrangères. Ses nouvelles attributions dans le gouvernement ne l’empêchent toutefois pas de critiquer ouvertement son camp, s’il le faut.

Et entreprend, «le parler vrai», pour reprendre un terme utilisé par les médias à l’époque. Ce qui n’était pas du goût de tout le monde au sein du Parti socialiste. En 1998, il refuse d’intégrer le nouveau gouvernement formé par Mamadou Lamine Loum, prétextant retourner à ses «affaires». Mais, en réalité, il n’aimait pas le mode de gestion au sein du parti. Le divorce définitif a lieu en 1999, année où il crée son propre parti : l’Alliance des forces de progrès (AFP).

Soutien de Wade en 2000

A l’issue du scrutin du 27 février 2000, Moustapha Niasse, ancien responsable du Parti socialiste, réalise un bon score en arrivant 3e au premier tour du scrutin avec 16,8% des suffrages. Et se trouve ainsi dans une situation de joker pour le second tour. Ni vainqueur, ni perdant, il apparaît comme celui qui peut déterminer l'issue du duel entre Diouf et Wade. Malgré une forte pression des autres chefs d’Etat qui lui demandent de soutenir Diouf, Niasse scelle une alliance avec l’opposant Wade. L’occasion rêvée de solder ses comptes, une bonne fois pour toute,  avec son ancien compagnon, et non moins rival.  Grâce au report des voix, Niasse joue une part active dans la première alternance démocratique du Sénégal après 40 ans de règne sans partage du Parti socialiste.

Dans une ambiance festive, Moustapha Niasse prend la tête du gouvernement. Mais l’idylle ne dure qu’onze mois, d’avril 2000 à mars 2011. Niasse est limogé du gouvernement, car pour Wade, ce dernier «lorgnait son fauteuil». Mais l’histoire peut bégayer. Douze années plus tard, Niasse se retrouve, malgré lui, dans la même posture. Et cette fois encore, tout porte à croire qu'il va s'engager en faveur d'une nouvelle Alternance.

Lala Ndiaye

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Lala Ndiaye. Journaliste à Slate Afrique

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