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Procès des activistes égyptiens et étrangers au Caire le 26 février 2012. Reuters/Mohamed Abd El Ghany
Procès des activistes égyptiens et étrangers au Caire le 26 février 2012. Reuters/Mohamed Abd El Ghany

Égypte: la société civile en danger

Le régime militaire égyptien m’accuse d’être un fugitif. Et moi je dis qu’il est temps que les contribuables américains cessent de financer la répression égyptienne.

Le lundi 6 février, le ministère de la Justice égyptien m’a inculpé, ainsi que 42 autres employés de cinq organisations non-gouvernementales (ONG) différentes travaillant en Égypte, et envoyé nos dossiers à la cour pénale de notre pays. Je suis accusé d’être un «fugitif américano-égyptien» et de «diriger une filiale d’organisation internationale sans autorisation du gouvernement égyptien», ainsi que de «recevoir et d’accepter de l’argent d’organisations internationales par le biais de financements directs pour exercer des activités illégales et violant la souveraineté de l’État.»

Au cours des cinq dernières années, j’ai été employé par Freedom House, pour qui je gérais des programmes visant à donner une voix à de jeunes défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme en Égypte et au Moyen-Orient. Je suis né en Égypte et j’ai débuté ma carrière dans les droits de l’homme en travaillant à l’Ibn Khaldun Center for Development Studies, la plus ancienne organisation égyptienne de défense des droits humains, où je dirigeais une coalition nationale d’ONG surveillant les élections de 2005. Je me suis installé aux États-Unis en 2006 pour échapper au harcèlement croissant du président Hosni Moubarak, notamment aux attaques des médias et aux interrogatoires des services de sécurité. Et pourtant, de mes 10 ans de travail en tant qu’activiste des droits de l’homme, époque durant laquelle j’ai été constamment diffamé et accusé à tort, les dernières accusations portées contre moi sont les plus ridicules.

ONG dans la ligne de mire

Les revendications du gouvernement égyptien qui prétend qu’il s’agit de respect de «l’état de droit» ou de la «souveraineté de l’État», comme on peut le lire dans le journal géré par l’État Al-Ahram, sont dangereusement mensongères. Les lois que le gouvernement utilise contre nous sont des vestiges du système politique de Moubarak, conçues pour opprimer, intimider et contrôler la société civile. Elles ont été votées par un parlement fantoche parvenu au pouvoir grâce à des élections truquées. Ces lois violent les fondements de la liberté d’association et vont à l’encontre des obligations de l’Égypte auxquelles l’engage le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont elle est signataire (par exemple, la loi égyptienne de 2002 sur les organisations non gouvernementales exige des ONG d’obtenir une approbation préalable pour tous les financements et donne au gouvernement un contrôle total de la surveillance et de l’approbation de leurs activités). Ce n’est que dans un système démocratique, où le peuple dispose d’un gouvernement représentatif, que l’Etat de droit a vraiment un sens.

Les motivations politiques et la nature vindicative derrière ces accusations sont parfaitement claires. Les accusations contre moi et contre les autres travailleurs des ONG ont été portées par le seul haut fonctionnaire du cabinet de Moubarak resté au pouvoir. L’enquête s’inscrit dans le cadre d’une répression plus vaste de la société civile égyptienne, infligée au cours des six derniers mois. Les accusations actuelles contre les ONG internationales, notamment Freedom House, recouvrent presque cinq ans d’opérations visant à apporter un support technique et à défendre les groupes locaux œuvrant pour la démocratie et les droits de l’homme en Égypte. Une grande partie de cette aide est allée aux ONG locales et aux activistes qui défiaient Moubarak —un homme que le conseil militaire au pouvoir a envoyé devant les tribunaux au nom du peuple égyptien.

Défense de la société civile égyptienne

Bien qu’il serait plus facile de traiter ces accusations politiques par le mépris du haut de mon confortable bureau de Washington, si le gouvernement égyptien arrête notre personnel local et lance des procédures judiciaires, mon collègue Charles Dunne —l’autre «fugitif» de Freedom House à Washington— et moi avons décidé qu’il nous fallait livrer cette bataille jusqu’au bout, ce qui implique d’aller en Égypte pour défendre non seulement nos personnes mais les droits de tous ceux injustement persécutés. Malgré les risques évidents d’emprisonnement ou pire encore, nous préférons encore comparaître devant un tribunal égyptien que d’être reconnus coupables de faux crimes par contumace. Ce ne serait pas payer trop cher le soutien à l’indépendance de la société civile égyptienne.

En ce moment, les activistes égyptiens intensifient leurs efforts pour faire barrage aux tentatives des contre-révolutionnaires de leur voler leur révolution. Ils descendent dans les rues de tout le pays, volontairement et sans hésitation, où ils le paient de leur sang et, parfois, de leur vie. Ils se battent pour s’assurer que la vieille Égypte, avec son cortège de répression et de corruption, ne reviendra pas. Il ne me sera pas facile de ne pas saisir l’opportunité d’en faire autant, surtout si je suis nommément appelé à faire ce choix. Je ne peux simplement pas me regarder en face ou envisager d’affronter ma famille et mes amis qui ont déjà fait tant de sacrifices si je ne vais pas les aider à empêcher que la révolution ne soit détournée.

«Dialogue stratégique avec la société civile»

Les Égyptiens continueront à rechercher leur liberté, avec ou sans aide étrangère. Freedom House et d’autres organisations leur apportent simplement une aide pour leur permettre d’y parvenir rapidement et pacifiquement. En fournissant des formations, des programmes d’échanges et de petites subventions aux groupes de défense de la démocratie et des droits de l’homme non-partisans, et en partageant les bonnes pratiques d’autres experts, nous avons aidé la société civile égyptienne à remplir son rôle crucial dans la transition démocratique.

Il y a presque un an, le 16 février 2011, j’ai assisté au lancement par la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton de l’initiative «dialogue stratégique avec la société civile», qui vise à assurer que les diplomates américains du monde entier gardent des contacts étroits avec les peuples des pays dans lesquels ils sont présents. J’ai dit directement à Hillary Clinton que l’Égypte pourrait être dirigée par des chefs militaires qui ne comprennent pas le rôle de la société civile. «Nous avons besoin d’entendre clairement de la part du département d’État que…les bénéficiaires de l’aide étrangère», c’est à dire le gouvernement égyptien, «ne doivent pas décider ce que la société civile doit ou peut faire» ai-je souligné. Mon message reste le même aujourd’hui.

La balle est dans le camps des Etats-unis

Après les événements de ces derniers mois, tandis que les organisations et les citoyens américains sont clairement visés malgré les milliards de dollars d’aide militaire et économique destinés à l’État égyptien, la balle est dans le camp de l’Amérique. Il est temps de faire comprendre clairement à l’armée égyptienne que le Congrès et la Maison Blanche arrêteront de subventionner la répression en Égypte avec l’argent des contribuables américains, notamment avec les 1,3 milliard de dollars de financements militaires annuels. L’influence ne sert a à rien si l’on ne choisit pas de s’en servir. Mais surtout, il est temps d’adopter une prise de position morale.

Le conseil militaire pense qu’il peut littéralement s’en sortir impunément tout en continuant avec un beau cynisme de prendre l’argent américain. Je dis qu’il est temps de prendre les généraux au mot.

Sherif Mansour

Foreign Policy [Traduit par Bérengère Viennot]

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