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L'écrivain sud-africain Deon Meyer. © Anita Meyer, tous droits réservés.
L'écrivain sud-africain Deon Meyer. © Anita Meyer, tous droits réservés.

Afrique du Sud: Deon Meyer et l’âme du chasseur

Le plus lu des auteurs de romans noirs du continent est un blanc. Un Afrikaner qui sillonne l'Afrique du Sud sur sa moto. Portrait.

L’âme du chasseur. La traque commence dans un lieu qui ne paraît pas vraiment fait pour ça, le hall d’un hôtel parisien des beaux quartiers. Au quartier latin, Deon Meyer a l’air un peu perdu. Comme s’il se demandait encore un peu ce qu’il fait là. Comment il en est arrivé dans cet ailleurs si policé. Derrière ses lunettes, Deon Meyer cache un regard presque timide.

Pourtant, ne vous y trompez. L’homme qui est assis là. N’est pas n’importe qui. Chacun de ses romans se vend à des centaines de milliers d’exemplaires. Aux quatre coins du monde. Il est entre autre l’auteur de «l’âme du chasseur», l’histoire d’un zoulou ex-tueur qui sillonne l’Afrique du Sud à moto. Un homme qui ne tue jamais pour le plaisir. Avant, il le faisait pour obéir aux ordres. Après, il l’a fait pour survivre. Un homme doué pour son métier de tueur, mais n’en tirant aucun excès de forfanterie. A l’image de Deon Meyer en somme. Qui macule de sang des pages blanches. Avec un talent certain. Mais sans l’ombre d’une fierté.

Deon Meyer/chasseur zoulou: un destin croisé

Le chasseur zoulou possède quelques points communs avec Deon Meyer. D’abord l’amour de la moto. Quand il n’écrit pas, Deon Meyer sillonne l’Afrique du Sud sur son deux roues. Du Cap au parc Kruger, le pays de Mandela est son terrain de chasse. Traque aux images, aux visions et aux paroles qui vont nourrir son œuvre.

Tout comme son héros, Meyer a connu la guerre.  La sienne se déroulait en Angola. A l’époque où l’Afrique du Sud des années quatre-vingts combattait le régime de Luanda, qui était alors soutenu par les Cubains et l’Union Soviétique. Autre temps sans doute. Bien lointain, mais qui nourrit son œuvre. L’odeur de la poudre et de la mort restant la même avec ou sans guerre froide.

Alors, ne vous fiez pas à ses airs de doux rêveur un peu timide, Deon Meyer est sans doute un homme dangereux. Tout aussi dangereux que son chasseur à moto. Dangereux, il l’est d’abord pour votre palpitant. Il maîtrise à merveille l’art du suspense, du thriller. Il a grandi dans une famille afrikaner, mais dès le plus jeune âge a nourri son imaginaire à la source des meilleurs auteurs de thrillers anglo- saxons.

Deon Meyer: sa vie, son oeuvre

En une poignée de romans, il est devenu le plus populaire des auteurs africains de roman noir. Avant lui Yasmina Khadra et son commissaire Llob avaient connu un succès foudroyant, mais l’auteur algérien a bien vite changé de bord. Son commissaire Llob est depuis plusieurs années au chômage technique. Khadra ayant abandonné la littérature policière. Il est passé de la noire à la blanche. Même si la noire influence toujours son œuvre.

La littérature de Deon Meyer présente des similitudes avec celle de l’américain Michael Connelly. Même sens aigu du suspense, même écriture visuelle, qui fait la part belle aux détails et aux dialogues. Même goût du réalisme, commun à ces deux anciens journalistes. Jusque dans son physique, visage carré, petite barbiche et lunettes rondes, Deon Meyer a des faux airs de Connelly. Mais sa littérature reste très africaine, dans le choix des thématiques comme dans celui des mots.

Son dernier roman comporte de nombreux emprunts à l’afrikaans, au zoulou et au xhosa. Il ne pourrait pas se dérouler à L.A.(Los Angeles) ou Frisco (San Francisco). Son héros l’inspecteur Mat Joubert est un Afrikaner, pur sucre qui sillonne les rues du Cap, la ville où vit Deon Meyer. Ses blessures et ses traumas sont ceux de l’Afrique du Sud. La blanche comme la noire. Lors de ses enquêtes Mat Joubert croise souvent des blancs qui ont du mal à trouver une place dans la nouvelle Afrique du Sud. La discrimination positive ayant abouti à ce que de nombreux blancs perdent leur emploi dans le secteur public. Joubert lui-même s’interroge. Lui et les autres blancs ont-ils encore leur place dans la police. Leur point de vue est-il encore écouté? Leur expérience est-elle toujours considérée à sa juste valeur?

Deon Meyer: en apesanteur entre deux mondes

Pourtant Deon Meyer ne prend pas rang parmi les contempteurs de la nouvelle Afrique du Sud.

«Même la discrimination positive a pu avoir de conséquences positives pour les blancs. Beaucoup d’entre eux ont du coup osé créer leur propre entreprise» explique-t-il avec enthousiasme.

L’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma (le président élu en 2009) ne l’inquiète pas outre mesure. Contrairement à son compatriote, l’écrivain André Brink qui habite aussi au Cap, il envisage l’avenir avec optimisme, même à l’évocation des statistiques sur la criminalité.

«André Brink est un ami, mais je ne partage pas son pessimisme. Il a été profondément marqué par des violences subies par des membres de sa famille. Ce que je comprends très bien. Mais il faut bien noter que la criminalité diminue. Et  arrêter de comparer l’Afrique du Sud à des pays comme la France ou l’Angleterre. On dit que l’Afrique du Sud est le pays du monde où il y a le plus de viols, mais quand est-il en RDC(République démocratique du Congo)? L’Afrique du Sud a le courage de faire des statistiques et de les publier, mais la situation est bien pire dans d’autres pays » explique Deon Meyer. Il ajoute avec le sourire: «C’est à Paris que ma fille s’est fait voler son sac. Pourtant, je n’en tire pas des conclusions hâtives sur la violence et les agressions  en France».

A la question de savoir pourquoi les médias sud-africains parlent autant de la violence si elle est si réduite, Deon Meyer a aussi une réponse:

«Les  grands médias sud-africains appartiennent toujours à des blancs. Ils ont très souvent tendance à critiquer tout ce que fait le gouvernement. A ne jamais voir le côté positif de l’action de l’Etat. Comme la concurrence entre les médias est féroce, ils se livrent à une surenchère» explique l’ancien journaliste.

Tout comme son héros Mat Joubert et comme sa ville natale Le Cap, Deon Meyer semble rester un peu en apesanteur entre deux mondes: celui des noirs et celui des blancs. Entre l’Europe et l’Afrique. Il envisage d’ailleurs de passer une année en France.

«J’adore Bordeaux. Je voudrais passer plus de temps dans cette ville, mais aussi ailleurs dans le sud» explique Meyer qui regrette d’avoir un peu oublié le français appris à l’école.

L'âme du chasseur

A terme connaîtra-t-il le même destin que le romancier Henning Mankell, qui vit entre la Suède et le Mozambique? Et dont les romans se passent entre la froide Scanie et la chaude Afrique australe. Mankell multiplie les changements de cap: géographique comme littéraire. Aux romans policiers succèdent des romans africains.

Mankell s’avoue parfois lassé par les affres de Kurt Wallander, son commissaire aux tendances dépressives marquées. Mais ses fidèles lecteurs l’empêchent de lui dire adieu. Deon Meyer connaît-il parfois les mêmes affres? Sans doute. Son nouveau roman (A la trace. Ed Seuil. Février 2012) est d’une structure plus complexe que les précédents.

«Je voulais jouer avec la structure. C’est ça qui est fascinant» explique Deon Meyer. Le prochain roman sera-t-il un policier? Rien n’est moins sûr. Son dernier opus trace une nouvelle route. Deon Meyer l’admet bien volontiers: il va s’essayer à d’autres formes de créations. Des romans moins policiers.

«Je rêve aussi de faire un film» explique-t-il. Alors il va sans doute demander à Joubert de prendre un peu de repos. Mais le vieux flic est coriace. Tout comme le Harry Bosch de Connelly, Joubert ne va pas se laisser facilement mettre au rancart. Pour plaider sa cause il pourra sans doute compter sur le soutien de centaines de milliers de fans.

Même si Deon Meyer se planque au fin fond de la Gironde, au tréfonds de la forêt des Landes, dans une cabane de pêcheur sur les bords de la Dordogne ou dans une pinasse, Joubert saura le retrouver. Le suivre à la trace. Retrouver son gibier…littéraire. Car plus qu’un autre, Joubert a bien ancré au fond de lui cet instinct de chasseur. Ce supplément d’âme qui a fait son succès dans les commissariats, les ruelles du Cap et les librairies. Ce petit supplément d’âme qui fait la différence.

L’âme du chasseur.                 

Pierre  Cherruau 

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Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

Ses derniers articles: Comment lutter contre le djihad au Mali  Au Mali, la guerre n'est pas finie  C'est fini les hiérarchies! 

Henning Mankell

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