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Siaka Tiené est consolé par Drogba et des membres du staff après la défaite en finale de la CAN. REUTERS/Amr Dalsh.
Siaka Tiené est consolé par Drogba et des membres du staff après la défaite en finale de la CAN. REUTERS/Amr Dalsh.

Les Eléphants ne voient pas plus loin que le bout de leur trompe

Le 12 février, l'équipe nationale de la Côte d'Ivoire se voyait déjà remporter la CAN. La Séléfanto n'avait pas envisagé la défaite. En politique, c'est pareil, les Ivoiriens ne sont pas assez prévoyants.

Le 12 février, avant la finale de la Coupe d’Afrique des Nations, je demandai à un ami qui me détaillait la fête qu’il allait être organisée après notre victoire sur les Zambiens:

«Et si nous perdions? Nous sommes peut-être une grande équipe, mais si les Zambiens sont arrivés eux aussi en finale, cela veut dire qu’ils ne sont pas petits.»

Et cet ami m’expliqua longuement comment il était totalement impossible que notre équipe soit battue par celle de la Zambie dont aucun des joueurs sur le terrain n’était digne d’être remplaçant chez nous.

Le résultat est celui que nous connaissons. Nous avons été battus. Depuis la fin du match jusqu’à présent, cet ami est malade. Parce que mentalement, il ne s’était pas préparé à l’autre éventualité, celle de la défaite.

Pas assez prévoyants

Et c’est ainsi que nous, Ivoiriens, nous fonctionnons. Nous n’envisageons toujours qu’une seule hypothèse. Pendant longtemps, dans ce pays, on s’était convaincu qu’il ne pourrait jamais y avoir de coup d’État ou de guerre en Côte d’Ivoire. Parce que nous étions naturellement vaccinés contre ce genre de chose, parce que nous avions baigné dans une culture de paix, parce que les autres étaient des sauvages et nous, des civilisés, etc.

«Un coup d’État en Côte d’Ivoire? Jamais!»

«Une guerre en Côte d’Ivoire? Jaaamais !» 

Nous connaissons tous notre histoire. Si nous avions envisagé la possibilité d’un coup d’État dans ce pays, nous aurions pris les dispositions pour l’éviter. Généralement, les coups d’État ont lieu lorsque des personnes ou des groupes de personnes qui aspirent au pouvoir ont le sentiment, réel ou supposé, qu’ils ne pourront jamais y parvenir par les moyens légaux, et que la seule solution pour eux est le coup d’État.

On envisage difficilement un coup d’État en France ou aux Etats-Unis, parce que le système dans ces pays est tel que l’on ne peut plus s’éterniser au pouvoir. Et celui qui aspire au pouvoir a toutes les chances d’y parvenir, s’il arrive à convaincre les électeurs. C’est ce que l’on appelle un système démocratique. Et dans un tel système, le peuple a une telle conscience de son pouvoir de choisir celui qui doit le diriger qu’il n’acceptera jamais celui qui veut s’imposer à sa tête sans son consentement.

Les exclus prennent le pouvoir

Pourquoi la guerre a-t-elle eu lieu dans notre pays ? Parce qu’une partie de notre société si composite s’était sentie marginalisée, exclue. Et elle s’est dit que la seule façon pour elle de récupérer la place qui est la sienne, dans ce pays qui est aussi le sien, était de prendre les armes. Mais comme nous étions convaincus que nous étions un pays béni de Dieu et que les guerres civiles étaient le propre des autres pays certainement maudits de Dieu, nous n’avions pas voulu voir la situation de cette partie de notre population.

Nous disions que c’étaient juste quelques personnes qui avaient été exclues de l’administration; que c’était juste à une seule personne que l’on refusait le droit d’être candidat à la présidence; que c’étaient juste quelques personnes à qui les forces de l’ordre arrachaient les papiers; que c’étaient juste quelques milliers de Burkinabè et assimilés que l’on avait chassés des plantations à Tabou.

Nous n’avions pas voulu entendre les cris de tous les autres. Comme nous étions convaincus que la guerre ne pourrait jamais, au grand jamais, arriver dans ce beau pays, seconde patrie du Christ, nous ne savions donc pas que le sentiment d’exclusion pouvait amener un groupe à prendre les armes.

Et le jour où ils ont pris les armes, nous étions tout étonnés:

«Mais comment peuvent-ils faire une chose pareille?», nous sommes-nous demandé.

Et nous en sommes encore à nous demander comment les Zambiens ont pu nous faire une chose pareille, à nous, Ivoiriens, si forts.

La leçon que nous devons tirer est que lorsque l’on ne veut pas qu’une chose nous arrive, nous devons prendre toutes les dispositions pour l’éviter. Aujourd’hui, nous devrions être vaccinés contre les coups d’État et guerres civiles. Parce que nous les avons connus. Nous devrions donc savoir que, pour éviter un coup d’État, il faut bâtir une vraie démocratie, tout en surveillant quand même ceux qui n’adhèrent pas aux principes démocratiques; et que pour éviter une guerre civile, il ne faut surtout pas qu’une partie de la population se sente exclue, ou que la majorité de la population ait le sentiment qu’un seul groupe s’accapare tout.

A part ça, bravo quand même à nos Éléphants qui, malgré cette dernière défaite, ont eu un très beau parcours durant cette CAN.


Venance Konan

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Venance Konan

Venance Konan. Ecrivain et journaliste ivoirien. Il a notamment publié le roman Les Prisonniers de la haine.

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