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Salva Kiir, le président du Soudan du Sud et Shimon Pérès, son homologue israélien, décembre 2011, à Jérusalem. AFP PHOTO
Salva Kiir, le président du Soudan du Sud et Shimon Pérès, son homologue israélien, décembre 2011, à Jérusalem. AFP PHOTO

Pourquoi le Soudan du Sud est un allié stratégique d'Israël

Le Soudan du Sud et l'Etat hébreu sont intimement liés. Un conflit militaire entre le nouvel Etat africain et le Soudan musulman au nord du président Omar el-Béchir impliquerait indirectement Israël.

Mise à jour du 25 octobre 2012: Un haut responsable du ministère israélien de la Défense a qualifié le Soudan d'«Etat terroriste dangereux», sans revendiquer le bombardement d'une usine militaire à Khartoum dans la nuit du 24 au 25 octobre, que le Soudan a attribué à l'Etat hébreu.

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Bith Thiyang avait traversé la frontière en clandestin il y a six ans, venant du Soudan du Sud, et s’était réfugié près d’Eilat au kibboutz Eilot. Avec sa double casquette, il était chargé le matin du nettoyage des chambres de l’hôtel du kibboutz et ensuite, dans une petite chambre au mobilier modeste, il revêtait les habits de consul de son pays en guerre pour aider ses compatriotes  à organiser leur vie.

Il a depuis troqué sa tenue de nettoyage contre un costume dans son bureau de Tel-Aviv, sous le portait du leader du Soudan du Sud, John Garang, mort dans un accident d’hélicoptère en 2005. Dans sa fonction de consul, il est chargé à présent de veiller sur les milliers de réfugiés, installés au sud de Tel-Aviv dans le ghetto d’immigrés près de l’ancienne gare centrale. Son bureau austère est devenu la représentation officielle du Soudan du Sud et il a été l’artisan de la reconnaissance de son pays par Israël. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a décidé de reconnaître officiellement son nouvel Etat et lui a souhaité bonne chance.

Le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, boudé par l’Europe, avait décidé de revigorer les relations avec le continent noir où sa présence ne pose pas de problème. Il voulait créer une sorte de ceinture de sécurité amie autour des pays arabes, «l’alliance de la périphérie», prônée par David Ben Gourion. A l’occasion de ses visites au Kenya, au Ghana, au Nigeria puis en Ouganda, il en avait profité pour signer de nouveaux contrats. Mais son objectif principal consistait à mettre en garde ses interlocuteurs africains sur le danger d’une nucléarisation de l’Iran qui risquait d’avoir des répercussions dans leur propre région.

Un front chrétien

Dans cet esprit, le Premier ministre kenyan, Raila Odinga et le président ougandais Yoweri Museveni, qui ont d’achevé récemment une visite en Israël, ont exprimé leurs préoccupations au sujet de la montée en puissance des islamistes radicaux sur le continent, en particulier dans l'Est. Yoweri Museveni a souligné que l'Ouganda était un pays chrétien pollué par l'islam radical tandis que Raila Odinga s’est montré inquiet de l'infiltration constante de radicaux islamiques de Somalie.

Avec les encouragements du président Shimon Pérès et du Premier ministre Benjamin Netanyahou, le Premier ministre kenyan a accepté d’être le maître d’œuvre d’une alliance entre l’Éthiopie, le Kenya, la Tanzanie et le Soudan du Sud pour freiner la propagation de l’islam fondamentaliste dans les nations africaines, peuplées de 138 millions d’habitants, où existe une majorité de chrétiens.

Israël souhaitait des relations officielles avec le Soudan du Sud, disposant d'une manne pétrolière avec ses 375.000 barils produits chaque jour. Le pays est entièrement à reconstruire et les entreprises israéliennes sont sur les rangs pour équiper de haute technologie une démocratie qui s’ouvre au monde moderne et dont la majeure partie de la population vit encore dans des huttes. Mais à peine créé, il risque d’être confronté à la guerre car les ambitions et les prétentions de ses voisins sont élevées.

Le nord musulman dominé par les Arabes se distingue du sud peuplé en majorité de chrétiens, longtemps martyrisés et en communauté de destin avec les juifs. Israël a donc décidé d’aider militairement le nouvel État soumis à la convoitise de ceux qui ont accepté l’indépendance du Soudan du Sud du bout des lèvres. Mais en l’aidant, il s’implique directement.

Immédiatement après avoir noué des relations diplomatiques à l’occasion de l’indépendance du Soudan du Sud, le 9 juillet 2011, son président Salva Kiir a effectué, le 20 décembre 2011, une visite officielle de 24 heures en Israël. Cette première visite du chef du nouvel État a été qualifiée d'«historique» par le président israélien Shimon Pérès. En accueillant en grandes pompes le représentant du Sud, les Israéliens ont cherché à lancer un avertissement clair aux nordistes qui ont affiché ouvertement leur soutien au Hamas.

Des relations historiques

Les relations entre Israël et le Soudan du Sud ne datent pas d’hier. Les chrétiens du Soudan avaient déjà aidé Israël durant la Guerre des Six Jours de 1967 en s’opposant à l’armée régulière qui voulait prendre part à la guerre. Les Israéliens avaient ensuite renvoyé l’ascenseur en soutenant les rebelles contre Khartoum, en les finançant et en les armant avec du matériel militaire récupéré à l’armée égyptienne vaincue.

Les Soudanais du Sud n’ont jamais oublié ce soutien et leur président l’a rappelé à Jérusalem: «Sans vous, nous n’existerions pas». A l’ONU, le ministre des Affaires étrangères du Soudan du Sud, Deng Alor Koul, a manifesté son «soutien à Israël dans son approche de la déclaration palestinienne de septembre à l’ONU». Il a ensuite promis de «voter contre la résolution de l’Assemblée Générale de la reconnaissance d’un État indépendant appelé Palestine». Puis il a ajouté:

«Notre pays a l’intention d’établir une ambassade dans la capitale d’Israël, à Jérusalem et non à Tel-Aviv comme le font la plupart des pays».

Les relations conflictuelles entre Israël et le président soudanais, Omar el-Béchir, résultent de l’appui donné par son régime au Hamas et à l’installation de bases islamistes au Soudan. Si la guerre éclate entre le nord et le sud, Israël sera contraint d’intervenir car il ne peut abandonner son nouvel allié désarmé à la vindicte du nord.

L’État juif avait accepté de fournir au Kenya et à l’Ouganda, des drones, des vedettes navales rapides, des véhicules pour les patrouilles aux frontières et des équipements pour la surveillance maritime afin de les aider à «les débarrasser des éléments islamistes terroristes» et à contrer l'expansion iranienne. Israël ne pourra pas moins faire pour le Soudan du Sud qui a besoin d’une aide technique à l’égale de celle octroyée aux Kurdes: formation des officiers, présence de conseillers de Tsahal sur place et fourniture de renseignements satellitaires. En s’impliquant directement, il poursuit l’objectif de retrouver la période idyllique des années 1960 avec l’Afrique.

Zone stratégique

Le Soudan du Sud est une zone stratégique pour les Israéliens qui souhaitent disposer d’un point d’ancrage face à l’allié de l’Iran, Omar el-Béchir. Ben Gourion avait déjà défini les bases politiques visant à aider les dirigeants des minorités des différentes communautés d’Irak, du Soudan, d’Éthiopie, de l’Ouganda, du Kenya et du Congo. En transformant des rebelles en armée régulière, entrainée et équipée par Israël, l’influence de l'Etat hébreu restera présente face à Khartoum.

Par ailleurs, Israël songe à sa propre défense. Les armes qui parviennent au Hamas transitent toutes par le Soudan avant de traverser le Sinaï. Jusqu’alors la force aérienne israélienne frappait les convois d’armes sur le territoire soudanais, comme en novembre et décembre 2011, dans la région de Wadi Al-Allaqi. Israël avait alors complètement détruit les missiles et autres armes de fabrication iranienne, russe et chinoise destinés au Hamas dans la bande de Gaza.

Une alliance avec le Soudan du Sud permettrait aux Israéliens de disposer localement d’un point d’appui et d’escales techniques pour leurs chasseurs-bombardiers, mais au risque d’être entrainés dans une guerre loin de leurs frontières.

Jacques Benillouche

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Jacques Benillouche

Journaliste indépendant (Israël). Jacques Benillouche tient un blog, Temps et Contretemps.

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