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Des soldats consolident des barricades le 24 novembre 2011. Reuters/ Essam el Fetori
Des soldats consolident des barricades le 24 novembre 2011. Reuters/ Essam el Fetori

Paris-Le Caire: Carton rouge pour l'armée égyptienne

Un an après la révolution, des Égyptiens qui résident en France sont persuadés que le régime n'est pas tombé.

La pluie fine et les brumes hivernales n’ont pas eu raison des Egyptiens, venus sur la place du Trocadéro, pour célébrer le jour anniversaire du début de la révolution égyptienne le 25 janvier 2011. Les Egyptiens ont accepté de troquer la place Tahrir pour la place du Trocadéro, pris en tenaille par la dame de fer et le maréchal Foch. Le décor diffère, mais l’esprit de la révolution est là.
Il est 17h30. Les manifestants tournent le dos au théâtre Chaillot et regardent les images de la répression des militaires projetées sur le mur. Des projections comme celles-ci sont organisées dans les quartiers populaires du Caire et d’autres villes, afin que les Egyptiens prennent conscience de la supercherie. Les menteurs (Kazaboun) sont filmés et les images se suffisent à elle-même. Nafissa, une Egyptienne aux cheveux ondulés et aux ongles vernis d’un rose pastel se tient face au mur, stoïque, glacée par des séquences qu’elle n’a cessées de voir sur Internet, sur les pages Facebook de ses amis qui sont restés en Egypte. Elle tient dans la main droite le portrait d’un Egyptien mort sous les balles du régime militaire. «Un martyr de plus», chuchote-t-elle.
Sofiane jette un regard furtif en direction de la projection. Ces vidéos, il les connaît. Il préfère donc parler de l’Egypte avec son compatriote Mahmud, venu en France pour travailler dans le bâtiment.

La lutte continue

Sofiane, la capuche relevée à cause de la pluie, a quitté le chantier plus tôt pour assister à cette manifestation. Il écoute religieusement une femme qui prend la parole pour rappeler qu’il n’y a rien à célébrer ou à commémorer. La lutte continue contre un régime dont seule la tête a été coupée, dit-elle aux jeunes (shabab), plein d’entrain dès lors qu’un slogan est lancé. «Nous sommes les jeunes de Tahrir, nous sommes encore sur la place», scandent les shababs du Trocadéro. Le Caire-Paris: même combat.

«Je suis ici à cause des victimes. Je pense aux martyrs ce soir. Rien n’a changé depuis le départ de Moubarak. Le mushir [le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui ndlr], c’est le fils de Moubarak», affirme Soufiane, convaincu que le régime de l’ex-raïs est toujours en place.

Difficile d’effacer 30 voir 50 ans de corruption et de clientélisme. Mahmud est soudainement piqué au vif.

«Lorsque Kadhafi est mort, tout le monde est parti avec lui. Sa famille, ses partisans ont été pourchassés ou tués. Quand Moubarak est parti, les autres n’ont pas fait leurs valises. Ils se sont dit que l’aventure pouvaient continuer», affirme-t-il.

«A bas le maréchal»!

L’Egypte des militaires, Mahmud n’en veut pas. Frappé par les images violentes des affrontements au Caire en décembre dernier, il réclame un départ immédiat du Conseil suprême des forces armées. Les coups de bâtons et l'apparition de snipers ont également été décisifs pour Rana et Lina, deux étudiantes égyptiennes venues passer un an à l’Université Paris Dauphine.

«Au mois de décembre, on s’est vraiment rendu compte à quel point le match de la révolution n’était pas terminé. L’armée joue la prolongation», confie Rana, dont la famille réside au Caire dans le quartier cossu de Mohandessin. L’une a suivi sa scolarité chez les sœurs de Notre Dame des Apôtres et l’autre à l’école du Sacré cœur, deux institutions catholiques privées, souvent fréquentées par une élite bourgeoise traditionnelle.

Le 11 février dernier, Rana et Lina étaient persuadées que l’armée avait sauvé la révolution. «L’armée et le peuple, une seule main», pensaient-elles. Depuis un an, le mythe de l’armée respectable, au-dessus de toute ambition politique est tombé.

Les deux étudiantes si promptes à quitter l’Egypte, souhaitent aujourd’hui y retourner pour construire l’avenir de l'Egypte post-Moubarak. Selon elles, la révolution a renversé cette image de l’Egypte des pharaons, immuable, allergique aux changements.

«Le pain, la liberté et la justice sociale»

Sofiane et Mahmud aspirent également à retrouver leurs familles en Egypte. Pour des raisons économiques, ils sont partis seuls en France, une manière comme une autre de s’extirper du chômage de masse et des bas salaires en vigueur en Egypte.

Soufiane regrette l’absence d’une classe moyenne en Egypte. «Les riches et les pauvres ne se côtoient presque plus car le système politique le veut bien», poursuit Mahmud, agacé de cette situation. Il ne comprend pas qu’un pays riche comme l’Egypte n’arrive pas à faire vivre dignement 85 millions d’habitants. «On a tout: Suez, le Nil, les champs de cannes à sucre, la main d’œuvre, le gaz». «Oui, vous avez tout, rétorque un manifestant, d’origine algérienne interpellé par la discussion».

Convaincus tous les trois du potentiel de leur pays, ils ne cessent de répéter que les Egyptiens ont été volés depuis plus de 50 ans. «Les riches se sont enrichis et les pauvres se sont appauvris. T’as de l’argent, on te soigne. T’es pauvre, tu crèves», lance Mahmud d'un ton lapidaire. Il n’en reste pas moins un pragmatique. La corruption et le clientélisme sont des venins qui nécessitent de la patience de la part des Egyptiens qui ont impulsé ce mouvement de contestation contre le régime. Mahmud croit à la politique, surtout à celle menée par la première force du pays, le parti des Frères musulmans, communément appelé le parti de la justice et de la liberté. Fort de leur 45% de sièges à l’Assemblée du peuple, les Frères musulmans détiennent les possibles clés du changement.

«Les Frères musulmans, j’en ai pas peur. Les salafistes proposent une lecture plus dure de l’islam, des extrémistes.  Mais les Frères sont des gens respectables et organisés. L’armée doit partir et déléguer le pouvoir aux parlementaires fraîchement élus», assène Mahmud, conscient que les Frères musulmans n’ont pas bonne presse en France.

Au désenchantement de l'an I, Mahmud répond que la situation s'améliorera. Un pas après l'autre.

Nadéra Bouazza

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Nadéra Bouazza. Journaliste à Slate Afrique

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