mis à jour le

Comment jouer au foot sans se fatiguer
Pour ne rien rater de la Coupe d’Afrique des Nations, SlateAfrique vous propose un programme sur mesure. Texte et dessin inédits de Damien Glez.
La Coupe d’Afrique des Nations est peut-être une aubaine pour les économies de la Guinée équatoriale et du Gabon. Ailleurs en Afrique, elle sera synonyme de ralentissement professionnel, après un mois de décembre déjà perclus de festivités de toutes sortes. La France pleure son triple A, mais les maquisards africains arrosent leur triple B : “bière, brochettes et b…”
Vous êtes fanatique de football africain? Pour vous organiser au mieux et ne rater aucune miette de la fête du ballon rond, voici un emploi du temps quotidien à appliquer du 21 janvier au 12 février.
05h55 : Heure à laquelle vous devriez vous lever pour être à l’heure au bureau. Vous n’éteignez pas le réveil que vous n’aviez pas programmé. Vous continuez à dormir pour cuver votre soirée “CAN 2012” de la veille.
06h41 : Réveillé par le chant insistant du coq du voisin que vous vous promettez d’égorger nuitamment (le coq, pas le voisin), vous vous levez. Pieds nus, serviette autour de la taille, seau vide à la main, vous vous dirigez vers la cuisine externe pour y prendre l’eau chauffée par votre employée de maison, la nièce du village que vous payez 6000 francs cfa par mois et que vous obligez à se lever à 5h00 du matin. Votre orteil droit heurte un “cadavre” de bouteille de bière échouée lors de votre soirée “foot”. Vous n’atteignez ni la cuisine ni l’eau qui, de toute façon, est devenue froide, vu que vous l’aviez exigé chaude im-pé-ra-ti-ve-ment à 5h55. À cloche pied, vous allez vous recoucher.
07h33 : Votre portable reçoit le SMS «t o buro?» de votre collègue Hyacinthe de la comptabilité analytique. Après avoir répondu «sui en route», vous sortez de votre lit. Comme le chemin de la cuisine est piégé par les bouteilles vides, et comme les températures sont sibériennes en janvier, vous sautez, sans vous doucher, dans votre caleçon de la veille. C’est le prix de la conscience professionnelle.
07h58 : Vous traversez une ville surchargée de publicités qui récupèrent l’événement fooballistique continental: un peu de racolage pour un abonnement de dernière minute au bouquet satellitaire qui diffuse les matchs, un peu de sensibilisation au port du préservatif lors d’actes sexuels comparés à des tirs au but, un peu de promotion sur des forfaits téléphoniques dont on ne perçoit décidément pas le lien avec le sport…
08h29 : Vous arrivez dans votre bureau. Alors que vous commencez à bailler, votre collègue Hyacinthe de la comptabilité analytique débarque. Sous forme de commentaires convaincus, vous refaites le premier match de la veille, celui de 16 heures T.U. qui opposa quelque favori à un “petit poucet” de la compétition. Par esprit de contradiction, vous défendez l’équipe que déteste Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique.
08h47 : Retour à votre bureau. Grâce à la connexion mise à votre disposition pour –théoriquement– optimiser votre travail, vous surfez sur le site Internet de la Coupe d’Afrique des Nations. Convaincu par le visage affable d’un ancien joueur de l’équipe de France, vous pariez sur les deux matchs du jour.
09h13 : La secrétaire adjointe de la secrétaire principale du secrétaire général vous rappelle que la cérémonie de vœux de 9h commencera incessamment. «On ne peut jamais travailler», vous indignez-vous avant d’aller ingurgiter la première dose de houblon autorisée ce jour.
10h00 : Vous passez directement de la cérémonie de vœux à la pause brochette de 10h30. Ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas qu’on ne doit pas se reposer.
10h55 : Vous rejoignez le bureau de votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique. Vous refaites le deuxième match de la veille, celui de 19 heures T.U. qui opposa votre équipe préférée à celle d’un pays dont vous ne soupçonniez même pas l’existence.
11h13 : Sur le chemin de votre bureau, vous faites une halte aux toilettes. Vous vérifiez que personne ne vous voit y rentrer, vous bénissez la direction qui a remplacé les WC à la turque et vous vous assoupissez –pour cinq minutes, c’est promis– sur le trône.
11h47 : Vous êtes réveillé par votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique qui frappe à la porte des toilettes. Les yeux embrumés et la démarche pataude, vous vous dirigez vers votre bureau…
11h58 : Vous passez devant la porte de votre bureau, sans y pénétrer, puisqu’il est déjà l’heure de la pause déjeuner de 12h30. Vous quittez le bâtiment…
12h47 : Après avoir “tiré au but” chez la demoiselle dodue qui vous a cuisiné un attiéké poisson en espérant que vous tiendriez bientôt vos promesses de demande en mariage, vous pestez contre l’antenne de son téléviseur.
13h19 : Allongé dans la chaise longue préférée de votre maîtresse préférée (qui, elle, sans broncher, est assise sur un tabouret), vous captez enfin les images neigeuses d’un bilan télévisuel de la précédente journée de compétition footballistique. Alors qu’on annonce les horaires des prochains matchs au Gabon et en Guinée équatoriale, vous consultez votre montre. Vos paupières s’alourdissent, à mesure que vous caressez votre ventre…
15h33 : Vous rêvez que vous taclez Yaya Touré au Stade Nuevo Estadio de Malabo. Dans les gradins d’un stade en délire, vous apercevez vos trois maîtresses côte à côte. Tourmenté, vous avez subitement envie d’uriner comme un militaire américain…
15h34 : Après vous avoir réveillé et supporté vos invectives, votre maîtresse préférée vous demande poliment si vous pensez pouvoir être à l’heure au bureau à 15h30.
15h55 : C’est la course contre la montre. De façon ostentatoire, vous passez devant le bureau de votre supérieur hiérarchique pour être vu. Nerveux, celui-ci est concentré sur le réglage d’une petite radio qui n’émet que des parasites. Déjà qu’il n’a pas l’image des matchs, il risque de ne pas avoir le son. Vous toussotez pour qu’il vous remarque, puis vous ressortez discrètement du bâtiment. Sous couvert de votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique, vous vous introduisez dans la rédaction du quotidien d’information générale (mais surtout sportive) qui jouxte votre entreprise. Après avoir salué le cousin journaliste de votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique, vous suivez, en stéréo, le premier match de la journée. De l’oreille droite, vous captez les commentaires de la chaîne de télé; de l’oreille gauche, ceux des journalistes sportifs présents à la rédaction. De temps à autre, comme pour justifier la présence de votre caleçon malodorant, vous devisez sur les capitales des deux équipes, avec une telle assurance qu’on imaginerait que vous y êtes déjà allé.
18h11 : Alors que le soleil se couche sans vergogne, vous restez, vous, dévoué à votre entreprise: vous vous trouvez encore au siège. Ou plutôt à la buvette du siège où vous vitupérez contre le président de votre fédération nationale de football que d’ailleurs on n’avait élu que parce qu’il dirigeait une entreprise pourvoyeuse de sponsoring et que d’ailleurs c’est toujours les fonds secrets de la présidence qui finissent par boucler le budget du championnat… Tant pis pour les athlètes, pourtant plus performants, des autres disciplines sportives. On leur servira des sandwiches aux arachides.
18h50 : Le second match s’annonce, alors que la rédaction du journal, en bouclage, ne peut plus vous accueillir. Vous abandonnez votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique qui ne vous sert plus à rien et vous piquez comme un avion de chasse sur le vidéo club du coin de la rue. Comme l’indique l’ardoise à l’entrée, la salle de projection informelle a délaissé les films hindous pour les matchs qu’elle diffuse sans payer les droits de retransmission. Fraudeur contre fraudeur, vous expliquez au propriétaire des lieux que vous êtes très ami avec Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique qui pourrait le dénoncer. Ne sachant pas ce qu’est la comptabilité analytique, le retransmetteur préfère vous laisser entrer sans payer…
22h07 : Après être allé chercher votre collègue Hyacinthe-de-la-comptabilité-analytique en lui promettant de lui payer le verre qu’il finira pas régler, vous faites la troisième mi-temps dans un “maquis” où fusent les commentaires sur les performances du jour en Guinée équatoriale et au Gabon. Entre deux rots, vous parlez des deux pieds gauches d’un attaquant décevant ou du cafouillage que vous auriez su éviter si vous aviez été sur le terrain.
23h58 : Vous réveillez votre employée de maison et insistez pour que l’eau de votre douche soit chaude im-pé-ra-ti-ve-ment à 5h55.
00h13 : Vous buvez une dernière bière dont vous avez la négligence de laisser traîner le “cadavre” sur le chemin de la cuisine.
00h17 : Trop tard pour se doucher. Vous étalez consciencieusement votre caleçon sur une chaise, en espérant que le vent frais de janvier en emporta tous les effluves.
00h18 : Vous réalisez que vous avez oublié d’égorger le coq du voisin. Trop tard…
00h44 : Votre ordinateur est resté allumé au bureau. Vous, vous êtes éteint. Il n’y a pas que des morts parmi les fonctionnaires fictifs.
05h55…
Damien Glez
Retrouvez tous ses Coupé-Décalé
A lire aussi
Football: dans la famille Touré, je demande Yaya
Didier Drogba, plus qu'un footballeur
Les 15 sportifs africains les mieux payés