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Elie, Joseph, Natacha… leur vie après le séisme
Deux ans après le tremblement de terre, ils vivent toujours sous les tentes, au milieu des décombres. Témoignages de ces sinistrés qui ne veulent pas être oubliés.
Personne, en Haïti, n’aurait imaginé que cela soit possible. Et pourtant, deux ans après le séisme, une grande partie des sinistrés vit encore sous les tentes. Des installations précaires, faites de bâches en plastiques, de tôles et de bout de bois, où la promiscuité côtoie l’insalubrité et l’insécurité.
Certes, ils sont moins nombreux. Au lendemain du 12 janvier 2010, un million et demi de personnes s'étaient installées sur des places publiques ou privées. La plupart d'entre eux s'est alors abritée avec des bâches distribuées par l’aide internationale américaine, fabriquant eux-mêmes, avec les moyens du bord, de petites cabanes devenues leur foyer. Aujourd’hui, ils ne sont plus «que» 520.000, selon les derniers chiffres de l'OIM.
Certains ont obtenu de l’argent pour partir, d’autres des financements pour reconstruire leurs maisons. D’autres encore habitent des abris transitoires, sortes de petits bungalows de bois, peu résistants sur le long terme, dans des quartiers parfois récréées totalement. Des programmes de relogement ont été mis en place, comme le «projet 16/6», une opération qui vise à réhabiliter 16 quartiers et à démanteler six camps, après avoir relogé leurs habitants.
Mais pour le moment, ils sont donc encore des centaines de milliers à vivre dans des abris de fortune. Sans eau, sans électricité, sous une chaleur infernale. Et les organisations humanitaires qui assuraient leur survie ont du mal à maintenir leur niveau d’engagement. La reconstruction espérée n'a pas eu lieu, et beaucoup de sinistrés se contentent aujourd'hui d’invoquer «Dieu», en attendant des jours meilleurs. Témoignages.
MacArthur: «Nous vivons au milieu des ordures»
Ce père de famille de 29 ans nous a abordé pour demander à manger.«J’ai faim, nous dit-il. Mes enfants ont faim aussi.»
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Père de deux enfants, MacArthur vit au camp d’Accra, basé sur un immense terrain situé derrière un supermarché, où vivent près de 25.000 personnes, à Delmas, dans la banlieue de Port-au-Prince. Les responsables du camp rencontrent le propriétaire du terrain chaque semaine. Ce dernier a renoncé, contrairement à d'autres propriétaires, à fixer un ultimatum, mais il insiste cependant pour récupérer son terrain au plus vite.
Dans ce combat pour leur survie, les habitants doivent se débrouiller, seuls, avec les autorités: l’ONG américaine qui les suivait est partie en octobre dernier, faute de moyens. Elle gérait notamment l’assainissement en ayant recours à une société privée, qu'elle pouvait payer. Depuis son départ, les débris s’accumulent, et les habitants vivent littéralement sur une décharge, dans la puanteur.
Natacha: «Des étrangers viennent, prennent des photos, mais notre situation ne change pas»
Mère de cinq enfants à 32 ans, Natacha vit aussi dans le camp d’Accra. Elle n’aime pas trop qu’on la prenne en photo, comme la plupart des gens ici, qui pensent que les étrangers «font de l’argent avec la misère des Haïtiens».
Elle finit par accepter en riant, demande quelques biscuits pour son enfant. «Si tu me les donnes, cela veut dire que c'est Jésus qui t'envoie. Dieu te le rendra.» Rôle ambivalent de la foi, qui permet, dans un pays très pieu, de trouver la force de survivre... et dans le même temps, alimente une attitude parfois attentiste, peu volontariste.
Joseph: «Je ne peux pas reconstruire sans argent»
Nous l'avions rencontré cet été, à Port-au-Prince, dans le camp de Canapé vert qui fait partie du projet 16/6 visant à reloger les sinistrés. Pourtant, six mois plus tard, rien n’a changé pour le pasteur Denis Joseph, qui se rend souvent sur les lieux de son ancien logement, sur les hauteurs, non loin du camp où il vit depuis deux ans.
Ce père de famille, qui dit chercher du travail sans relâche et sans succès, n'a plus qu'un rêve, reconstruire, enfin, sa maison. Pas question pour lui de changer de quartier: il officie dans une église faite de planchettes de bois et de tôle, qui surplombe, comme suspendue dans les airs, la butte de Canapé Vert. En le suivant dans les corridors de ce bidonville, on se dit qu’il ne devait pas vivre, avant le séisme, beaucoup mieux que sous sa tente.
Haïti : Joseph, pasteur, sous une tente depuis... par Youphil
Elie: «je dors sous les ruines de mon ancienne maison»
Elie ne vit pas dans un camp, mais cela ne l'empêche pas de dormir sous une tente. Depuis deux ans, ce jeune homme au sourire timide vit dans les ruines de la demeure dans laquelle il travaillait, à Delmas.
Les trois étages de cette maison - qui devait être, on le devine, somptueuse par le passé —se sont alors effondrés subitement lors du séisme. Désormais, les trois plaques de béton se superposent, comme des livres que l'on aurait empilés.
«Après le séisme, le propriétaire est parti, nous dit Elie. Mais moi, je suis resté. Je n'ai nulle part d'autre où aller.»
Réminiscence du passé ou illusion de sécurité, il continue de fermer le portail qui ne protège guère que les débris au milieu desquels il vit.
Elodie Vialle
Cet article a d'abord été publié sur Youphil.
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