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Le nouveau Premier ministre Abdelilah Benkirane et Mohammed VI. Reuters
Le nouveau Premier ministre Abdelilah Benkirane et Mohammed VI. Reuters

Maroc: les islamistes sous la coupe du roi

Les islamistes vainqueurs des législatives du 25 novembre viennent de former un gouvernement à l’arraché. Pendant ce temps, le Palais peaufine son shadow cabinet, véritable siège du pouvoir.

Les élections législatives du 25 novembre ont porté au pouvoir les islamistes du Parti justice et développement (PJD), avec comme chef du gouvernement son secrétaire général, Abdelilah Benkirane. Une première dans la vie politique du royaume dont seule la monarchie alaouite qui règne sur le pays depuis le siècle de Louis XIV faisait de l’islam une religion légitimant son autorité.

Islamistes mais pas révolutionnaires

Les observateurs des révolutions arabes ont vite décrété que le Maroc, à l’instar de la Tunisie révolutionnaire, de la Libye post-Kadhafi et de l’Egypte des Frères musulmans, avait lui aussi viré au vert, la couleur de l’islam. 2012 sera-t-elle vraiment une année islamiste  au Maroc? Pas si sûr. Au-delà de tous les particularismes, une chose différencie avant tout le cas marocain des autres pays arabes ayant vu l’arrivée de partis religieux au pouvoir: les islamistes qui ont remporté les élections ne sont pas arrivés au pouvoir en chassant le tyran. Pour preuve s’il en faut, le Maroc est toujours perçu par certains comme un régime autoritaire, mieux, ces islamistes-là sont foncièrement monarchistes, même si le trône ne les porte pas dans son cœur. Le roi Mohammed VI s’en était d’ailleurs ouvert à un diplomate américain si l’on en croit une révélation de Wikileaks. Comment se réalise donc l’osmose du trône et des «barbus»?

Un gouvernement sous contrôle

Il aura fallu 35 jours d’intenses négociations avec le Palais pour que le PJD qui, faut-il le rappeler n’a pas obtenu de majorité absolue au Parlement- constitue son écurie gouvernementale. Si les islamistes ont obtenu d’importants maroquins (le PJD a obtenu 12 des 31 postes ministériels, dont celui de la primature, et les ministères des Affaires étrangères, de la Justice et de la Communication), ce gouvernement de coalition est constellé de ministres représentants les partis traditionnellement contrôlés par la monarchie. Ceux-ci ont été placés à des postes stratégiques comme celui de l’Economie.

Exemple parmi d’autres, Aziz Akhannouch, l'un des hommes d’affaires les plus riches du royaume, connu pour ses liens avec le Palais, a conservé contre toute attente son portefeuille de ministre de l'Agriculture et des Pêches. Il a du démissionner de son parti qui ne fait pas partie de la coalition gouvernementale, faisant jaser les commentateurs de la scène politique qui n’ont pas manqué de souligner que les vieilles pratiques politiciennes sont encore d’usage malgré la promesse faite par le roi de respecter une certaine éthique dans la désignation des membres du gouvernement. Cela s’est d’ailleurs confirmé de façon plus ostentatoire : quatre autres ministères ont été attribués directement par le roi, notamment ceux de la Défense et des Affaires religieuses qui demeurent des domaines réservés de la monarchie, violant ainsi l’esprit de la nouvelle Constitution qui veut que le chef du gouvernement soit maître de son ouvrage.

Continuité et verrouillage

Par ailleurs, les ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur (qui a lui aussi échappé au PJD) se sont fait attribuer des «ministres délégués» ayant des liens avec le palais, ce qui de l’avis général est de nature à restreindre leur pouvoir. Ces ministères dits de souveraineté comme il est d’usage de les nommer au Maroc, tant ils échappent aux politiques, sont ainsi doublés de ministres techniciens véritables ordonnateurs des orientations de la monarchie. Un constat reconnu par la presse, comme Jeune Afrique qui n’hésite pas de parler de continuité: «le dispositif reste verrouillé par des techniciens et plusieurs ministres non partisans sont reconduits».

Un comble pour la formation d’un Exécutif qui devait symboliser un changement constitutionnel censé réduire les pouvoirs de Mohammed VI.

On notera aussi que le nouveau gouvernement ne comporte qu’une seule femme, une islamiste voilée à la tête d’un ministère social en charge des droits de la femme et de la famille…

Palais et islamistes à fleurets mouchetés

Et ce n’est pas tout, alors que les tractations battaient leur plein avant l’annonce de ce gouvernement , une palanquée de nouveaux conseillers royaux ont été nommés – cinq en quatre mois !- dont notamment Taieb Fassi-Fihri aux Affaires diplomatiques qui n’est autre que le ministre des Affaires étrangères sortant  et surtout Fouad Ali El Himma à la politique intérieure. Ce dernier connu pour être l’ami du roi était la figure de proue d’un parti politique créé il y a quelques années pour faire barrage à la percée islamiste et pour monopoliser la scène politique marocaine. El Himma a été aussi l’une des personnalités les plus décriées par le Mouvement du 20 février qui continue de manifester dans la rue estimant que les réformes engagées par le Palais sont loin d’être suffisantes.

«Récompenser le plus zélé pourfendeur des islamistes est-il un signal adressé au PJD? Repêcher l'un des hommes les plus décriés par les manifestants de ces derniers mois est-il un message envoyé au Mouvement du 20 février? Peut-être est-ce tout simplement le signe d'une monarchie à nouveau sûre d'elle-même. Assurée en tout cas, après le frisson de 2011, d'avoir déjà échappé au pire...»  s’interroge L’Express qui décrit le jeu de go entamé entre le Palais et les islamistes «à fleurets mouchetés».

Un shadow cabinet royal

Plus qu’une guerre de tranchées annoncée entre le trône et le PJD, «l’arrivée au pouvoir des islamistes est avant tout le révélateur d’une grande misère politique» estime l’opposante Zineb El Rhazoui, membre du Mouvement du 20 février.

Une situation qui n’est pas pour faire cesser la contestation. Au contraire, les manifestants dénoncent avec plus de vigueur l'interventionnisme du roi et de ses proches dans le champ politique. La formation d'un shadow cabinet royal, où les principales décisions du pays continueront d'être prises a suscité l’ire de certains manifestants comme à Casablanca le 1er janvier 2012   où la foule appelait au renversement de la monarchie aux cris de «Mohammed VI dégage !».

Selon le journaliste et commentateur politique Aboubakr Jamaï cité par AP (Associated Press), la constitution de ce cabinet de l’ombre est «le signe de l'affaiblissement de la volonté réformiste du nouveau gouvernement (…) C'est une défaite majeure pour le PJD; c'est le dernier signe que le PJD n'est pas sérieux dans sa volonté affichée de faire face aux vrais problèmes du gouvernement», a-t-il estimé. «Vous ne pouvez pas dire que vous contrôlez le gouvernement si vous ne contrôlez pas certains ministères importants».

La conduite des affaires de l’Etat s’annonce compliquée pour le Premier ministre islamiste, qui devra composer avec une coalition hétéroclite d’une part, et s’affirmer face au Palais. Un double front à l’allure de carcan.

Ali Amar

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

Ses derniers articles: Patrick Ramaël, ce juge qui agace la Françafrique  Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey  Maroc: Le «jour du disparu», une fausse bonne idée 

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