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Révolutions 2.0 ou aubaine marketing?
Les printemps sont passés, et avec eux les banderoles et graffitis «Merci Facebook», «merci Twitter». Il est temps d’interroger le rôle réel des réseaux dans les mouvements sociaux. D’autant que les marques ont appris à jouer avec cette nouvelle valeur ajoutée.
Sur la page Facebook de Transterra Media, une plate-forme participative de vente de contenus journalistiques à destination des professionnels, on apprend que la société a été «fondée en 2011 pendant le printemps arabe». Avec ses bureaux à New York, Beyrouth et Le Caire, la plate-forme propose d’ailleurs de nombreuses images des protestations en Égypte. Pourtant, dans un article du magazine économique libanais le Commerce du Levant, on apprend que «L’idée du projet revient à deux Américains, Jonathan Giesen et Eli Andrews. Alors qu’ils habitaient au Caire tous les deux en 2006.» Ce n’est qu’une petite déformation, le projet étant bien né de la demande d’information alternative dans un contexte qui a effectivement fini en révolution. Mais il était prévu pour démarrer en févier 2010, plusieurs mois avant le début des manifestations en Tunisie. C’est le storytelling, l’histoire inventée autour du concept pour le rendre plus vendeur.
Les réseaux sociaux comme catalyseur? Pas sûr.
Parfois, nul besoin de s’accommoder avec la réalité pour surfer sur la vague des révolutions. Le fait que le visage de la révolution en Égypte, le blogueur/Twittos Wael Ghonim —cité par le magazine Time parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde en 2011— soit responsable régional marketing de Google (qu’il quittera en avril 2011) a sans aucun doute servi la marque, dont on retrouvait le logo sur les pancartes des manifestants aux côtés de ceux de Facebook et Twitter.
Francis Pisani, blogueur sur Transnets (hébergé par LeMonde.fr) et spécialiste incontesté des Tic (technologies de l'information et de la communication), reprend à son compte l’analyse de l’Espagnol Antoní Gutiérrez-Rubí, qui décrit le rôle des Tic dans les révolutions arabes à travers cette analogie: la situation sociale étant la poudrière, et l’immolation de Mohamed Bouazizi l’étincelle qui allume la mèche.
«Le rôle de la mèche est joué par le nouvel écosystème de la communication: “La combinaison de Google, Twitter, Facebook et Al-Jazeera aux mains de jeunes armés de téléphones de nouvelle génération a rompu les vannes”.»
La presse professionnelle, grande gagnante
Pour tenter de mesurer leur rôle réel, une étude de l’université de Washington a quantifié les échanges sur les réseaux sociaux, comparant les buzz des différentes étapes des soulèvements. La conclusion rejoint ce qu’on pressentait: les réseaux sociaux n’ont pas provoqué les révolutions. En bons outils qu’ils sont, ils ont permis de les organiser. Quant à l’information partagée sur les réseaux, une étude publiée dans la revue Telos, éditée par la Fondation Telefonica en Espagne, a montré récemment qu’elle venait à 80% de la presse professionnelle.
En Tunisie, après son trimestre de gloire, la blogosphère désespère. L’un des grands gagnants de la révolution est certainement la chaîne qatarie Al-Jazeera, bannie du temps de Ben Ali, qui a couvert magistralement la révolution. Mais qu’on retrouve récemment dénoncée par l’écrivain tunisien Taoufik Ben Brik comme l’une des causes du fort vote islamique aux récentes élections. La chaîne s’est appropriée la part du lion sur le marché de l’information en Tunisie, reléguant à leur confidentialité première les blogueurs, sites locaux alternatifs et même la presse française, «considérée auparavant comme le bouclier médiatique traditionnel des Tunisiens». Il faut dire que si cette dernière avait mieux joué son rôle, elle n’en serait peut-être pas là.
Myrtille Delamarche
Cet article est également publié sur Marché Tropicaux & Méditerranéens.
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