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La police anti-émeute pourchasse les opposants, le 10 décembre. REUTERS/Stringer
La police anti-émeute pourchasse les opposants, le 10 décembre. REUTERS/Stringer

RDC: Kinshasa va-t-elle retrouver la paix?

La capitale congolaise revient à la vie malgré la peur de violences. Pendant ce temps, la police, moins visible, traque les fauteurs de troubles présumés.

Mise à jour du 15 décembre: Rejettant les résultats officiels, le parti de l'opposant Etienne Tshisekedi, l'UDPS, a appelé hier le "peuple à protéger sa victoire" à travers des "manifestations pacifiques" en RDC, où plusieurs opposants ont été blessés lors de la dispersion d'une marche par des soldats de la Garde républicaine.

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Mise à jour du 14 décembre: La mission d'observation de l'Union européenne a publié, hier, un rapport très critique sur l'élection présidentielle de la RDC. L’UE déplore le manque de transparence et les irrégularités dans la collecte, la compilation et la publication des résultats.

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Kinshasa retrouve peu à peu ses bouchons et ses rues marchandes bondées. Signe que la vie reprend dans la capitale congolaise, devenue par endroits fantôme la semaine dernière: les habitants craignaient des violences après l’annonce du vainqueur de la présidentielle du 28 novembre, remportée par le chef de l’Etat Joseph Kabila avec 48,95% des voix, selon les résultats provisoires complets de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

La vie reprend son cours...

Au Grand Marché, quasiment déserté, les commerçants ont repris possession des étals en bois:

«La semaine dernière je n'ai pas travaillé car j'avais peur, mais aujourd'hui je n'ai plus peur parce que j'ai trop faim! On a nous avait dit de faire des provisions et j'ai dépensé tout mon capital. Alors je me suis dit autant revenir pour vendre», explique Constantine, qui vend des articles de lingerie suspendus ou exposés à même le sol.

Comme plusieurs commerçants, elle se plaint de la rareté des clients:

«Il faut qu’on leur dise qu’ils peuvent revenir», plaide-t-elle.

«Le marché n’a même pas repris, on peine à vendre!», se fâche une de ses voisines.

La semaine dernière Ruffin est venu chaque jour au marché, où il stocke sa marchandise. Mais il s’y rendait la peur au ventre:

«Les policiers ne font pas de désordre mais quand ils arrivent tout le monde fuit. Eux, ils ramassent leur marchandise pour la vendre mais c'est parce qu'ils sont mal payés», commente-il avec compassion.

«Quel jour il y aura la paix dans notre pays?», explique un petit bout de femme excédée surnommé «maman Mapasa», maman de jumeaux, en lingala (la langue la plus parlée à Kinshasa).

«Nous, les grands-mères, on a tout le temps peur avec les chars qui passent. Je suis vieille, j'ai des cheveux blancs, je veux élever tranquillement mes petits enfants. Pourquoi nos enfants souffrent toujours? Tout ce qu’on demande c’est manger trois fois par jour.»

Le souci des Congolais, «c’est leur ventre», confirme Joseph un revendeur de vêtements.

Entre des étals de draps, José revient sur la présidentielle.

«Est-ce que réellement nous sommes indépendants? Là, ce sont les Européens qui ont choisi notre président!», lance le chauffeur très remonté, alors que de nombreux Congolais blâment notamment la France pour la victoire de Joseph Kabila, qu’ils jugent frauduleuse.

«On ne peut pas voter sous la pluie pour qu’on nous impose quelqu’un d’autre! Qu’on respecte la volonté du peuple!», ajoute-t-il, avant de jurer qu’il ne «votera plus jamais puisque c’est sans importance».

... mais les troubles persistent

Direction le siège de la Légion nationale d’intervention, qui a «eu à mettre la main, ce lundi 12 décembre 2011, sur un groupe d’inciviques qui ne cessent de troubler l’ordre dans la capitale de Kinshasa», déclare un responsable de la police.

Dix-neuf personnes arrêtées, toutes de sexe masculin et dont au moins deux semblent mineures, sont assises contre un mur. Elles sont pieds nus ou en chaussettes, l’une ne porte qu’une chaussure. Devant le groupe, neuf bouteilles présentées comme des cocktails Molotov.

Le policier raconte devant la presse que «16 individus ont été arrêtés 7e rue Limete», près du siège et de la résidence de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, arrivé deuxième à la présidentielle selon la Céni – un classement qu’il ne reconnaît pas, martelant que selon les procès-verbaux recueillis par son parti, il a remporté le scrutin, à un seul tour, avec 54% des voix, contre 26% pour Joseph Kabila.

Il s’est autoproclamé «président élu» et ses partisans tentent de manifester leur mécontentement des chiffres provisoires de la Commission électorale mais sont aussitôt dispersés plus ou moins violemment par la police.

Les dix-neuf accusés «ont été arrêtés ce matin en flagrant délit en train de semer du trouble à Limete, poursuit le responsable de la police, laissant entendre qu’ils sont pro-Tshisekedi. La preuve en est que vous avez vu des bouteilles remplies de liquide, communément appelées cocktails Molotov. Ce n’est pas la police qui a inventé ça, ça vient d’eux. Ce sont eux qui sont les détenteurs de ces effets. N’eut été l’intervention de la police, il y aurait eu des dérapages à Limete et on allait parler de plusieurs cas d’incendie.»

Alors que les suspects, pas encore auditionnés, ne sont pas autorisés à donner leur version sans l’autorisation d’un supérieur de la police, l’un d’entre eux marmonne:

«Pourquoi tu m’as abandonné! Mon Dieu, pourquoi tu m'as abandonné! Les voyous, ce sont eux! On nous a dit de travailler, j'ai ouvert mon magasin, ils sont venus et ils m'ont arrêté. Je suis père de trois enfants, je ne suis pas un voyou!».

Interrogé sur ses dires, le policier n’en démord pas: ils ont été arrêtés «en flagrance».

A la suite de la présentation par les forces de  l'ordre.

«Le deuxième lot est constitué de trois personnes, dont parmi eux un chef de bande, (…) qui s’adonnent à vendre de la drogue et du chanvre pour donner le courage aux inciviques d’aller perpétrer leurs actes infractionnels», indique le policier – assurant que le leader avait fomenté le pillage d’une église kimbanguiste, dont le mouvement avait appelé à voter pour Joseph Kabila.

Pourquoi la police a-t-elle voulu présenter ces hommes aux journalistes?

«Tenant compte de la politique de décourager ceux qui n’ont pas été récupérés et qui ont des intentions nuisibles de matraquer la liberté de la population et de leurs biens, on doit présenter ceux qu’on a eu à appréhender en flagrant délit pour décourager les autres.»

Habibou Bangré à Kinshasa

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Habibou Bangré. Journaliste, spécialiste de l'Afrique. Elle collabore notamment avec The Root.

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