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Publicité: le préservatif qui capote
La pub d’Afrique n’est pas toujours africaine. Au programme: mauvais goût et acculturation bancale des agences de communication
«Pourquoi Dieu a-t-il donné des pénis aux hommes? Pour qu'ils aient au moins une manière de faire taire une femme». La blague ne figure pas dans l'Almanach Vermot, la compilation des blagues douteuses. Elle constitue un contenu publicitaire; viral, mais publicitaire. Dans le triptyque “annonceur-communicant-support”, la société Durex est celle qu’on vante, Euro RSCG l’agence conceptrice et Twitter le vecteur médiatique d’un message ici destiné aux Sud-Africains. À en croire le ton de cette campagne, il faudrait donc dérider les “amoureux” pour les voir dérouler les préservatifs.
“Sortir couvert” reste un message précieux, surtout en Afrique subsaharienne où vivent 67% des humains séropositifs; surtout au pays de Mandela où des présidents prétendirent qu’une douche, immédiatement après le coït, suffisait à repousser l’assaut du virus. Mais le caractère misogyne de la devinette de Durex ne rend-il pas contre-productive la campagne? Le contexte sexuel autorise-t-il la paillardise? Le retrait du post du compte sud-africain de Durex justifie la question. Les excuses du directeur marketing de la marque, Faisal Hashmi, semble y répondre.
Humour suffisamment décapant pour activer un buzz
Bien sûr, il est compréhensible que la saturation des supports publicitaires traditionnels –radio, télévision, presse écrite, cinéma et affichage- pousse les agences de communication à investir Internet. C’est souvent la condition pour éviter la cannibalisation de leurs efforts par des concurrents. Bien sûr, il est naturel que la publicité virale fasse tourner les têtes des communicants, en ce sens qu’elle rend gratuits les espaces publicitaires, exigeant tout de même que l’humour soit suffisamment décapant pour activer un buzz. Bien sûr, l’Afrique n’a pas le monopole des gadins promotionnels. Comme Durex, Volkswagen avait dû s’excuser, en 1998, pour une campagne rapidement avortée en Allemagne. Sur une affiche reprenant la Cène peinte par Léonard de vinci, le Christ bénissait le pain, le rompait et le donnait à ses disciples, en disant : «Mes amis, réjouissons-nous, car une nouvelle Golf est née». Difficile de croire que le constructeur automobile n’avait pas les moyens budgétaires d’effectuer les pré-tests requis par tout manuel de marketing. Il aurait pourtant évalué le potentiel scandaleux de ses affiches…
On ne s’improvise pas Benetton, ce pionnier de la provocation qui a toujours zigzagué, avec succès, entre les gouttes de la “bien-pensance” et celles de la censure. Le bon usage de l’humour poil à gratter requiert du talent, mais aussi une scientifique connaissance du contexte culturel dans lequel la campagne promotionnelle est appelée à évoluer. Et c’est souvent sur ce point que le bât blesse en Afrique. Oublier l’article obscur d’un code de la publicité peut arriver. Le 12 octobre 2006, le Conseil supérieur de la communication burkinabè invitait la société Kaiser à revoir le scénario de son spot. Pour vendre des motocyclettes, on y mettait en scène un adolescent “motard”, mais aussi, en simple faire-valoir, celle que l’on imaginait être sa petite sœur. Le film violait ainsi l’article 53 du code de publicité qui stipule qu’aucun «message publicitaire ne doit utiliser les enfants comme acteurs principaux, s’il n’existe aucun rapport direct entre eux et le produit». Le spot sera “recadré” et la campagne continuera sans dommage.
Méconnaissance plus globale de mentalités locales
Si un processus publicitaire trébuche parfois sur la mauvaise assimilation d’un texte de loi, il se vautre souvent sur une méconnaissance plus globale de mentalités locales. Dans le même Burkina Faso, quelques années plus tôt, une banque filiale d’un groupe multinational, mettait en scène un banquier avec une boucle d’oreille. L’accroche graphique était scabreuse: si le point jaune de la boucle d’oreille était censé rappeler celui du logotype de la société, la diffusion de l’encart dans des journaux en noir et blanc annihilait l’effet recherché. Quant au message “éditorial”, celui de tolérer les différences de looks, il se fracassa sur l’idée préconçue qu’une boucle d’oreille sur un lobe masculin trahit plutôt des “différences” de comportements sexuels. Quiproquo inconvenant dans une sous-région où l’homosexualité reste un tabou.
Cette légèreté dans la démarche de conception communicationnelle confine parfois au snobisme, les “créateux” aimant asséner que la pub a censément de l’avance sur les mentalités et les codes artistiques. L’immunité serait-elle légitime, elle ne guérirait pas, pour autant, la démarche créative de sa maladresse anti-commerciale. À la morgue du publicitaire s’ajoute parfois, en Afrique, une mauvaise tropicalisation des ressources créatives. Passée l’excuse de l’impertinence de la boucle d’oreille, voilà que le manque de pertinence du bijou s’explique par une mauvaise connaissance du terrain. Les agences africaines sont souvent des filiales de multinationales de pub qui parachutent des expatriés aux idées quelque peu congelées.
La déontologie approximative
Jacques Séguéla n’a-t-il pas expliqué ce travers aux employés de son empire Euro RSCG? Lui qui condamnait les récentes affiches de Benetton (représentant un french kiss entre le pape Benoît XVI et l’imam Ahmed el Tayyeb) pour non-respect du sacré; Lui dont les conseils en communication enfantèrent l’un des rares échecs que connut un président sortant à une élection africaine. Celui d’Abdou Diouf au Sénégal. La leçon est-elle acquise, à l’heure où l’on prête à l’auteur de “Fils de pub” l’intention de remettre le couvert avec un autre Diouf, son homonyme Jacques, directeur général sortant de l’Organisation des Nations Unies de l’Alimentation et de l’Agriculture.
La déontologie approximative du Net a toutes les chances de dégommer quelques réputations de société bien sous tous rapports. Tentante, la publicité virale deviendra souvent “virus” informatique. Les followers friands de mauvais goût se chargeront de la contagion. Pourvu que le fait-divers Durex n’enfonce pas le clou des déclarations papales sur le préservatif qui «aggrave le problème» du sida en Afrique.
Peut-être les effets néfastes de cette campagne d’humour à deux rands sud-africains ne se feront-ils finalement guère sentir sur l’annonceur. En 2008, la compagnie aérienne Ryanair avait provisionné, à l’avance, le coût du procès que lui intenterait logiquement le président français, à la suite de l’utilisation d’une photographie “privée” des fiancés de l’Elysée. Durex a peut-être déjà amorti le scandale des blagues graveleuses. A défaut de moralité, l’intelligence et l’esprit sont-ils superflus dans la publicité moderne?
Damien Glez
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