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Les Bejas se plaignent d'être toujours marginalisés par le pouvoir de Khartoum. © Maryline Dumas, tous droits réservés.
Les Bejas se plaignent d'être toujours marginalisés par le pouvoir de Khartoum. © Maryline Dumas, tous droits réservés.

Kassala, le prochain foyer de violence du Soudan

En proie à des conflits armés depuis des décennies, le Soudan ne cesse de s'enfoncer dans la violence.

Mise à jour du 6 janvier: Les journalistes Mathieu Galtier et Maryline Dumas affirment avoir été expulsés du Soudan par les autorités, rapporte l’AFP. La raison officielle est que leur visa a expiré. Mais les journalistes estiment qu'ils n'ont pas été autorisés à rester dans le pays en raison de leur couverture la semaine précédente d'une manifestation à l'université de Khartoum, et pour un article sur les tensions dans l'Etat de Kassala (est).

***

Darfour, Abyei, Sud-Kordofan, Nil Bleu, au Soudan les conflits se déplacent d’ouest en est. Géographiquement, la prochaine région touchée devrait être l’Etat de Kassala. Et c’est exactement ce que redoute les observateurs internationaux sur place.

«Nous sommes assis sur un volcan qui s’apprête à entrer en éruption. Des soldats Bejas se pressent en ce moment dans les montagnes Hamid, du côté érythréen. Quand ils seront assez nombreux, ils traverseront la frontière. Déjà, des sources non officielles affirment qu’il y a trois mois, ces combattants ont organisé des attaques au Soudan. D’ici quelques mois, l’Etat de Kassala sera dans la même situation que le Kordofan-Sud ou le Nil Bleu», prédit un agent de terrain pour la sécurité au sein du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Kassala.

La génèse du conflit

Il redoute qu’en cas d’entrée des combattants Bejas sur le territoire soudanais, le gouvernement de Khartoum ne décide de bombarder la zone.

Le 14 octobre 2006, le gouvernement et les deux factions rebelles représentant les Bejas et les Lions libres ont signé un accord de paix. Les Bejas appartiennent à l’ethnie majoritaire dans l’est du Soudan. Les Lions libres sont un groupe armé issu des Rashaidas, une ethnie arabe semi-nomade. Depuis cette date, la situation militaire s’est apaisée mais les Bejas et les Lions libres se sentent toujours marginalisés par le pouvoir de Khartoum. Et ils possèdent encore des armes.

«Nous avons récolté les armes et munitions de 598 combattants Bejas et 792 insurgés appartenant aux Lions libres. Cela ne représente qu’une partie des combattants de l’époque, pas la majorité. Et puis, les Lions libres sont nomades. Pour protéger leur troupeau, ils ont l’habitude d’avoir des armes», explique Yassin Yafar Abdallah, responsable de l’unité de désarmement et démobilisation de Kassala.

Originaire de Kassala, le député soudanais Ahmed Tirik tempère les inquiétudes:

«La situation est imprévisible. Mais tant que la relation entre le Soudan et l’Erythrée reste bonne, on peut penser que la frontière sera bien gardée et qu’il sera difficile de la franchir pour les Bejas menés par Cheikh Mohamed Taher.»

Sans même parler de guerre, la région est déjà le théâtre de nombreuses escarmouches entre les forces de l’ordre et des groupes criminels. Situé à la frontière avec l’Erythrée, l’Etat de Kassala est un point de passage pour la contrebande. Au cœur même de la ville de Kassala, la police n’a pas hésité à tirer sur un camion de contrebande rempli de sorgho.

Bilan: un mort et un blessé parmi les fuyards. Et une grosse frayeur pour la population qui a assisté à la scène.

«Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autre», témoigne un ancien officier de l’armée, aujourd’hui reconverti dans la sécurité.

Chef d’une communauté Beja et président du réseau Al-Gandoul qui regroupe trente villages autour de la capitale de Kassala, soit 36.000 personnes, Mohamed Ali Adam connaît bien la région: 

«Globalement, beaucoup de Bejas pensent, que même cinq ans après la guerre, la situation ne s’est pas améliorée pour eux. Il n’ont toujours pas accès aux services publics promis par l’Etat, comme les écoles. Mais, depuis 2006, les discussions se sont améliorées avec les autorités. Le gouvernement nous a fourni, par exemple, le support technique indispensable pour construire nos pompes à eau.»

Une aide technique jugée insuffisante par certains chefs du Congrès des Bejas. Le 15 novembre, le parti politique a rejoint officiellement le Front révolutionnaire. Cette organisation, qui regroupe entre autres, les rebelles darfouris du Mouvement pour la justice et l'égalité et les principaux partis politiques d’opposition, appelle au renversement du régime d’Omar el-Béchir.

Sur le terrain, cette alliance politique ne suscite guère d’espoir parmi la population. Quelques chiffres de l’agence japonaise de coopération, Jica, qui possède sa plus importante mission soudanaise à Kassala, suffisent à mesurer l’ampleur du désarroi de la population: 91% des ménages n’ont pas accès à une nourriture correcte, seuls 39% ont accès à une eau salubre et la mortalité maternelle s'élève à 1.414 pour 100.000 naissances contre 500 avant la guerre.

Au bord de l'explosion

A ces données structurelles, s’ajoute une catastrophe conjoncturelle: la sécheresse. Cette année, l’eau de la rivière Gasch n’a été présente que d’août à octobre au lieu de juillet à octobre. La période de récolte vient de se terminer, et beaucoup prédisent une mauvaise année. Résultat, les prix flambent sur le marché.

«La population est en ébullition. Au moment de l’accord de paix, on parlait de développer la région. Cela ne s’est pas matérialisé autant que prévu. La région est encore plus pauvre que le Darfour. Si des mouvements doivent émerger, ils viendront de la population et pas de l’extérieur», précise Mohamed Dualeh, responsable de l’antenne du Haut commissariat aux réfugiés pour les Etats de l’est.

Les premiers à réagir ont d’ailleurs été les étudiants. Fin octobre, des centaines de jeunes ont manifesté faisant de nombreux blessés et un mort. Une première de mémoire d’observateurs.

«La révolte du printemps arabe pousse les gens à agir. Pour toute réponse, les autorités ont mis en place un plan de sécurité très dur», avance Ibrahim Omer Osman, coordinateur pour l’est du Soudan à l’ONG locale Practical action.

Ahmed Tirik se veut rassurant:

«L’atmosphère est comparable à celle de 1964 [en octobre, de grandes grèves avaient débouché sur la fin du régime militaire]. La différence c’est que le gouvernement peut encore apaiser la situation en aidant la population à se nourrir.»

Et si ce n’est pas le cas?:

«L’est du Soudan est une région stratégique pour Khartoum. Il y a le grand aéroport de Kassala, des routes, et les pipelines. Et vous savez la région est vaste, il est facile d’attaquer des pipelines puis de se cacher.»

Le gouvernement est averti.

Mathieu Galtier

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Mathieu Galtier

Mathieu Galtier, journaliste français installé au Sud Soudan.

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