mis à jour le

Des manifestantes défilent contre les violences faites aux femmes, le 17 novembre 2014 à Nairobi. SIMON MAINA / AFP
Des manifestantes défilent contre les violences faites aux femmes, le 17 novembre 2014 à Nairobi. SIMON MAINA / AFP

Au Kenya, les femmes ont fait face à une violence politique inédite

Les campagnes pour l'élection présidentielle et les scrutins locaux ont vu la multiplication des agressions envers les candidates.

Lors des primaires en Avril, Ann Kanyi, qui était en lice pour une désignation à un siège de député par son parti Tetu en vue de l'élection générale du 8 août, a été tirée de force de sa voiture et brutalement battue par quatre hommes masqués armés de barres de métal et d'un revolver. Pendant l'assaut, l'un de ses agresseurs lui a demandé de quitter la politique. Elle n'a pas été la seule femme physiquement attaquée pendant les primaires après une vague de testostérone dans l'arène du pouvoir kényane: plusieurs femmes candidates ont été agressées par des hommes munis de machettes et de bâtons, d'autres ont vu leur QG de campagne pris d'assaut, certains de leurs supporters ont été tués, menacés et frappés en public. 

Ces agressions n'avaient rien d'épiphénomènes. C'est le signe de la tendance alarmante d'une forte augmentation de la violence à laquelle sont confrontées les femmes politiques au Kenya. Il ne faut pas se méprendre, la violence à toujours fait partie du paysage politique dans le pays, sans distinction de genre. Il y a une semaine, un officiel de haut rang du processus électoral a été torturé à mort par des assaillants non identifiés. Mais nos recherches suggèrent que les femmes engagées en politique –autant les militantes, les membres de staff de campagne ou les membres de la famille d'une candidate– sont visées de manière ciblée en raison de leur sexe. Le but: faire marche arrière concernant la parité homme-femme en politique, en pleine progression actuellement grâce à la création d'un quota de sièges réservés aux femmes et inscrit dans la révision constitutionnelle de 2010. Aujourd'hui, plus de femmes que jamais ont accès à des postes de pouvoir à Nairobi et partout dans le pays. 

La violence du patriarcat

À travers le monde, nous assistons à une progression régulière du nombre de femmes en politique. Dans des pays comme le Rwanda, le Népal ou le Timor-Oriental, les quotas de genre –souvent instaurés lors de révisions constitutionnelles– ont provoqué des hausses encore plus rapides du nombre de femmes. Ces gains sont généralement annoncés comme des succès pour les droits des femmes, bien que les limites des quotas soient aussi documentées. Il est revanche moins connu qu'une meilleure représentation des femmes puisse mener à de nouvelles formes de préjudices, spécialement dans les poches de résistance fortement conservatives. 

Le niveau de violence contre les femmes politiques autour du globe est atterrant. Selon un sondage réalisé par l'Union inter-parlementaire atant de 2016 et dans lequel 55 femmes parlementaires de 39 pays ont été interrogées, 82% affirment avoir été victimes de violences psychologiques, 44% rapportent des menaces de mort, de viol, d'enlèvement ou d'agression pour elle ou leurs enfants; 26% ont directement subi des violences physiques et enfin 22% ont été agressées sexuellement. Alors qu'une meilleure protection des femmes pouvait être espérée en ricochet de leur meilleure représentation, ces chiffres suggèrent à l'inverse une réaction masculine violente contre l'accès au pouvoir des femmes. Un phénomène que la sociologue britannique Sylvia Walby définissait, il y a deux décennies déjà, comme «la nouvelle détermination par les forces du patriarcat de maintenir et renforcer la subordination des femmes» après qu'elles aient commencé à empiéter sur l'espace contrôlé par les hommes. 

 

C'est une réforme qui a fait date dans l'histoire du Kenya. En 2010 la constitution a établi que les hommes ne pouvaient pas détenir plus de deux tiers des positions dans n'importe quel gouvernement ou assemblée politique (ce qui assure mathématiquement un tiers des postes pour les femmes). L'élection générale suivante en 2013 déboucha sur le plus grand nombre de femmes de l'histoire du pays au gouvernement. Mais depuis, les politiciennes ont fait face à un niveau jamais atteint de violence, à la fois pour les décourager de terminer leur mandat et de tenir tête à leurs homologues masculins. 

La violence invisible avec laquelle les femmes doivent composer à également des conséquences moins visibles. Dans le cadre de nos recherches, quelques élues nous ont confié qu'elles ressentaient souvent le besoin de s'allier avec leurs puissants collègues masculins pour bénéficier de leur protection. Un phénomène particulièrement important au niveau local, où des femmes ont apporté leur soutien à des candidats au poste de gouverneur dans le but de réduire les réticences contre leur propre candidature. Une fois en poste, ces femmes sont redevables à ces gouverneurs et suivent leur agenda politique. De plus, les femmes font face à une flambée de leurs coûts sur le terrain à cause des nombreuses mesures supplémentaires qu'elles doivent prendre pour leur propre sécurité, comme rester dans des hôtels pendant la saison électorale ou recruter des gardes-du-corps. Quelques politiciennes, comme la seule kényane candidate au poste de gouverneur dans le comté de Meru County, ont simplement choisi de ne pas prendre part à des meetings officiels après la tombée du jour. Un gros handicap face à leurs candidats masculins. 

«Mon parti politique affirmait même que j'étais la coupable»

Alors que les menaces de violence sont spécialement hautes pendant la course électorale, elles atteignent également un niveau alarmant contre les femmes qui ont décroché un mandat. L'an passé, Elizabeth Manyala, une membre de l'assemblée du comté de Nairobi, a affirmé que son collègue Elias Otieno l'avait cogné contre un mur, l'envoyant à l'hôpital avec des blessures multiples à la tête et au cou. Son crime? Avoir refusé une demande d'Otieno qui exigeait qu'elle lui alloue les fonds d'une réunion féminine de son comté pour financer un projet d'animaux domestiques. Manyala, titulaire d'un doctorat en gouvernance et l'une des élues les plus diplômées du pays, nous a raconté que bien que la police ait arrêté l'agresseur, il n'avait ensuite jamais été poursuivi et elle-même a reçu un blâme pour «altercation». 

«Mon parti politique affirmait même que j'étais la coupable. Tout le monde, même les femmes que je représentais, disait que c'était de ma faute», raconte-t-elle. La plupart des femmes politiques que nous avons interrogé nous ont confié qu'elles avaient également été blâmées pour les attaques et le harcèlement dont elles ont été victimes. 

Notre enquête au Kenya nous a révélé que les femmes comme Manyala qui sont visés uniquement pour leur qualité de femme. Elles sont fréquemment attaquées, verbalement et physiquement, par leurs collègues masculins au gouvernement ou au parlement lors de leurs heures de travail, souvent après avoir tenu tête sur des sujets en public ou en refusant d'accepter leurs demandes. Les politiciens sont eux, par contraste, harcelés par les lobbyistes à la sortie du bureau. Ces différences suggèrent que la violence dirigée directement contre les femmes en politique est, d'abord, l'indice d'un mouvement plus profond d'opposition aux femmes dans l'espace politique qui a été traditionnellement la chasse gardée des hommes. 

La faillite de autorités

Les optimistes ont fait valoir que la récente explosion de violence est la conséquence de l'arrivée de femmes au pouvoir et que cela se calmera une fois que le leadership des élues se normalisera. Mais nos recherches laissent plutôt penser que c'est la violence à l'encontre des politiciennes qui est en train de se normaliser à grande vitesse. Et la faute en revient en grande partie aux autorités du Kenya, qui ont failli à renfocer la loi pour protéger les femmes et punir durement leurs agresseurs. Les médias et les partis politiques ont aussi leur part de responsabilité dans cet échec, en ne réagissant pas pour responsabiliser les coupables.

Nous devons donc considérer que les efforts pour promouvoir davantage les femmes au sein du gouvernement puissent être annihilés s'ils ne sont pas accompagnés d'un effort similaire pour mettre fin aux structures patriarcales qui rendent possibles les discriminations violentes de genre. Cette problématique soulève également la question des efforts des agences de développement pour promouvoir le leadership des femmes sans fournir les ressources et le soutien nécessaires pour s'assurer que les femmes pourront participer en toute sécurité au processus politique. Pour que les quotas de genre soient une réussite, ils doivent donc être accompagnés d'efforts pour renforçer la législation et permettre la participation sans entrave des femmes. 

Alors que les Kényans se déplaçaient aux urnes mardi, il est impératif que les autorités garantissent la sécurité des femmes qui accéderont à des postes d'élus. Si, l'avancée qu'est la meilleure représentation des femmes pourrait devenir un jour un réel progrès d'un point de vue politique, elles affrontent pour le moment un vicieux retour en arrière qui annule les bénéfices de leur accès facilité au pouvoir. 

                                        **********************

Par Marie Berry, Yolande Bouka et Marilyn Muthoni Kamuru

Traduction par Camille Belsoeur

Cet article a d'abord été publié sur le site Foreign Policy le 7 août 2017. 

élection présidentielle

Election présidentielle

Le site de la commission électorale piraté au Ghana avant l'annonce des résultats

Le site de la commission électorale piraté au Ghana avant l'annonce des résultats

Une année d'élections

La «révolution des smartphones» n'a pas encore vaincu la fraude électorale en Afrique

La «révolution des smartphones» n'a pas encore vaincu la fraude électorale en Afrique

Liberté d'expression

En Côte d'Ivoire, l'élection présidentielle est-elle vraiment démocratique?

En Côte d'Ivoire, l'élection présidentielle est-elle vraiment démocratique?

Kenyatta

AFP

Kenya: Uhuru Kenyatta investi président d'un pays divisé

Kenya: Uhuru Kenyatta investi président d'un pays divisé

AFP

Kenya: au moins deux morts après la confirmation de la réélection de Kenyatta

Kenya: au moins deux morts après la confirmation de la réélection de Kenyatta

AFP

Kenya: la Cour suprême valide la réélection d'Uhuru Kenyatta

Kenya: la Cour suprême valide la réélection d'Uhuru Kenyatta

Odinga

AFP

Kenya: l'opposition "investit" Raila Odinga malgré sa défaite électorale

Kenya: l'opposition "investit" Raila Odinga malgré sa défaite électorale

AFP

Kenya: Kisumu n'a qu'un président, l'opposant Raila "Baba" Odinga

Kenya: Kisumu n'a qu'un président, l'opposant Raila "Baba" Odinga

AFP

Kenya: Kenyatta et Odinga appellent au calme pour l'élection du 26

Kenya: Kenyatta et Odinga appellent au calme pour l'élection du 26