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RDC: fin de campagne dans la violence
Retour sur le dernier jour de la campagne pour la présidentielle et les législatives qui se sont déroulées le 28 novembre. Reportage.
Mise à jour du 4 décembre 2011: Les partis d'opposition en République démocratique du Congo (RDC) rejettent les résultats partiels donnant une avance au candidat sortant Joseph Kabila à la présidentielle. Ils ont appelé les dirigeants africains à une mission de médiation pour éviter de nouvelles violences.
Dans un communiqué conjoint signé par les principales formations, dont celle de l'opposant historique Etienne Tshisekedi, l'opposition invoque des irrégularités et estime que la commission électorale «préparait psychologiquement la population à la fraude».
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Samedi 26 novembre 2011. Les deux principaux candidats à la présidentielle ont choisi de finir leur campagne à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Depuis tôt le matin, des militants portant des drapeaux et vêtus de tee-shirts, bandanas et casquettes à l’effigie du président sortant Joseph Kabila, candidat à sa succession, affluent à pied ou en camionnette au stade des Martyrs, un stade mythique de la ville. Musique, chants, danse… L’ambiance est bon enfant.
Climat tendu à un kilomètre de là, sur la place du Cinquantenaire, érigée pour célébrer le demi-siècle d’indépendance de la RDC, ex-colonie belge. Les partisans d’Etienne Tshisekedi, qui avait boycotté les élections en 2006, portent des goodies flanqués du visage tout en rondeur de leur favori. Certains ont ajouté à la panoplie un de ces bérets qui ne quittent jamais l’ex-Premier ministre du dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko.
Détonations
La police lance des gaz lacrymogènes, sous le regard d’observateurs électoraux de la Communauté de développement d’Afrique australe, déployés dans l’immense RDC avec une flopée de confrères congolais et étrangers —notamment européens. En cinq minutes, la place du Cinquantenaire est déserte. Les militants reviennent. Nouvelle dispersion. On court, se retranche dans une rue parallèle. La colère monte.
«Il faut que les observateurs internationaux viennent voir ce que l’opposition est en train de subir au lieu de se focaliser sur le pouvoir», enrage un «combattant» de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), fondé en 1982 par Etienne Tshisekedi.
«Je ne viens pas chercher l’argent! Je viens chercher le changement!», s’emporte un autre, alors que le soleil rend encore moins respirables les vapeurs de gaz lacrymogène. «Pas venu chercher l’argent.» Il fait allusion au fait que les candidats les plus aisés motivent parfois leurs militants avec quelques billets. «Lui, c’est mon frère! Il est venu prendre l’argent mais c’est normal, nous n’avons rien!», lance un militant de l’UDPS, encerclant chaleureusement de ses bras un sympathisant pro-Kabila, qui se laisse faire, baisse la tête et ne dément pas.
A l’aéroport international de Ndjili —où devaient à l’origine atterrir Etienne Tshisekedi et Joseph Kabila, finalement aiguillés sur Ndolo— des supporters des deux candidats se sont retrouvés au même endroit, au même moment. La police tente de les démêler et, plus tard, des soldats de la Garde républicaine arrivée pour chercher Joseph Kabila tirent à bout portant sur les opposants, selon une vidéo de l’AFP.
Confusions
En début d’après-midi, coup de théâtre: le gouverneur de la province de Kinshasa interdit toutes les manifestations pour «préserver» la population, a-t-il déclaré à l’AFP. Habillé d’une chemise imprimée du visage du président, André Kimbuta justifie ainsi la décision: il est trop «dangereux» de laisser trois candidats à la magistrature suprême faire meeting quasiment à la même heure et dans la même zone. Le troisième homme? L’ex-numéro un de l’Assemblée nationale et opposant Vital Kamerhe.
En apprenant l’interdiction, les militants sont dépités. Mais certains reconnaissent que c’était peut-être la décision la plus sage.
«Ça ne dérangeait pas que les militants de l’UDPS soient à côté, explique Seyfou, 33 ans, partisan de la majorité présidentielle. Mais on était dans l’insécurité, les deux camps allaient encore s’affronter.»
Pressions
Etienne Tshisekedi, lui, compte bien braver le mot d’ordre et rassembler ses militants avant la joute du 28 novembre. Raté. La police le retient à Ndjili jusqu’à plus de minuit, dernier carat pour battre campagne. Réaction: il appelle ses «combattants» à braver la fin officielle de la campagne lors d’un meeting dimanche. Nouvel échec. Après les événements de samedi, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a appelé à la «retenue» pour que les élections se passent dans un «climat apaisé et sécurisé». Le ministre de l’Intérieur, Adolphe Lumanu, a pour sa part déploré «des incidents sanglants» ayant fait «deux morts» et de «nombreux blessés». Human Rights Watch dresse, elle, un autre bilan:
«Au moins 12 partisans de l'opposition et des passants ont été atteints mortellement, 41 autres ont été blessés par balles» à l’aéroport de Ndjili quand des soldats de la Garde républicaine ont «tiré (…) directement sur la foule des opposants».
L’ONG américaine des droits de l’Homme précise qu’en repartant, des militaires de la Garde avaient «tiré de façon indiscriminée le long de la route». Globalement, Adolphe Lumanu a jugé que, malgré «quelques incidents», la campagne s'est «déroulée dans le calme, la sérénité et dans un esprit démocratique». Le 28 octobre 2011, une fillette a été tuée par la balle perdue d’un policier lors de la dispersion d’une marche de l’opposition fêtant le premier jour de la campagne. Aussi, des affrontements ont opposé l’UDPS à des partis de la majorité dans plusieurs villes, des journalistes ont été violemment agressés, des discours haineux ont été prononcés et des associations des droits de l’Homme ont accusé des politiciens de payer des spécialistes en arts martiaux et des délinquants —dotés d’armes blanches— pour violenter les manifestants de l’autre bord.
Habibou Bangré, à Kinshasa
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