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Un présumé mercenaire africain au palais de justice de Benghazi, le 25 février 2011. Reuters/Suhaib Salem
Un présumé mercenaire africain au palais de justice de Benghazi, le 25 février 2011. Reuters/Suhaib Salem

Les Subsahariens otages de la guerre en Libye

Accusés d’être des mercenaires à la solde de Kadhafi, les travailleurs subsahariens fuient en masse la guerre civile en Libye. D’autres Subsahariens, notamment des Touaregs et des Soudanais, seraient enrôlés dans les troupes du Guide.

Des noirs qui tirent sur des manifestants. Dès les premiers jours de l’insurrection libyenne, ces images de mercenaires à la solde du colonel Kadhafi ont enclenché une vague de violences à l'encontre des ressortissants subsahariens et fait resurgir le racisme à fleur de peau d’une partie de la population.

La pureté du combat pour la liberté n’est plus de mise. Un combat dévoyé et perverti par une guerre civile qui détruit au passage les mythes du Guide libyen, autoproclamé «Roi des rois d’Afrique», grand panafricaniste soucieux d’unifier le continent dans toutes ses composantes.

Un mythe d’autant plus friable que c’est ce même Kadhafi qui organisait régulièrement des expulsions massives d'immigrés. Comme si le discours tenu aux Africains et celui à usage domestique à propos de l’union de l’Afrique différaient radicalement.

La chasse aux noirs est lancé

Aux frontières tunisienne et égyptienne de la Libye, les réfugiés racontent tous la même histoire. Que ce soit dans les zones insurgées ou à Tripoli, les noirs africains sont pris à partie, violentés, chassés, dépouillés et parfois même abattus en pleine rue par la foule. Ils sont des milliers à avoir fui les villes, parfois en traversant le désert, comme ces 600 Africains arrivés le week-end dernier à Dirkou, dans le nord du Niger.

Lundi 7 mars 2011, «une équipe des Nations unies à la frontière égyptienne a interrogé un groupe de Soudanais venant de l'est de la Libye, qui disaient que des Libyens armés passaient de maison en maison pour forcer les Africains subsahariens à partir. On raconte même qu'une Soudanaise de 12 ans a été violée», rapporte Adrian Edwards, le porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Il poursuit:

«Beaucoup de gens se sont fait confisquer ou détruire leurs papiers. Nous avons entendu des témoignages similaires de la part de Tchadiens qui ont fui Benghazi, Al-Baïda et Brega au cours des derniers jours.»

Selon l'UNHCR, «le nombre de personnes qui ont fui les violences en Libye a dépassé 212.000, 112.169 vers la Tunisie et 98.188 vers l'Egypte».

Des travailleurs émigrés venus de toute l'Afrique

Dans le Christian Science Monitor, l'universitaire et blogueur spécialisé sur le Sahel Alex Thurston a compilé un ensemble de sources d'informations pour réunir quelques données chiffrées sur les «Africains subsahariens» de Libye, souvent employés dans les tâches délaissées par d’autres immigrés plus «nobles», plus qualifiés, comme les Egyptiens et les Tunisiens.

Ainsi, les plus gros contingents de noirs en Libye sont des Soudanais et des Tchadiens, respectivement au nombre de 500.000 et 300.000. Les Nigérians forment le troisième groupe, à hauteur de 50.000 personnes, suivis numériquement par les Ghanéens, cinq fois moins nombreux.

Ensuite, les autres minorités recensées s'élèvent de quelques milliers à quelques centaines, voire dizaines de personnes, dont des Nigériens, Sénégalais, Ethiopiens, Mauritaniens, Maliens, Sierra Léonais, etc.

Evidemment, prévient Thurston, il s'agit d'une liste non-exhaustive basée sur des estimations. Malgré tout:

«La taille et la diversité de la communauté subsaharienne en Libye est claire: elle comprend des gens issus de nombreuses nations et venus pour des raisons différentes (respectivement pour du travail, des études ou obtenir l'asile).

Ainsi, tous ceux qui comme moi écrivent sur la Libye doivent prendre beaucoup de précaution quand ils parlent de l'expérience des Africains. Il convient mieux de parler d'expériences au pluriel.»

Le destin incertain des mercenaires

Ces Africains subsahariens de Libye sont des victimes. Mais ceux que Mouammar Kadhafi enrôle dans ses troupes le sont aussi, d'une certaine façon. Les rebelles darfouris du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) qui auraient, par centaines, rejoint les troupes de Kadhafi, sont devenus rebelles précisément parce qu’ils s’estimaient victimes du racisme des autorités de Khartoum au Darfour.

Les Touaregs nigériens et maliens qui, depuis des années, se sont implantés au sud de la Libye y furent accueillis par le Guide en personne, soucieux de se constituer une milice frontalière à bon compte.

Certains d’entre eux sont incorporés dans les plus hautes structures de l’appareil militaire libyen et procéderaient à des recrutements dans le Sahel, selon des informations en provenance du Niger et du Mali.

Que deviendront-ils si le Guide tombe? Reviendront-ils au Mali et au Niger, des pays qu’ils ont quittés faute d’y trouver leur place? Seront-ils chassés par les Libyens comme de vulgaires collabos? 

Obligés du Guide ou travailleurs émigrés, les ressortissants d'Afrique subsaharienne sont aujourd’hui des victimes collatérales de la guerre civile libyenne. Une guerre dont les répercussions politiques sur le Sahel risquent d’être considérables. D’ores et déjà, la fracture raciale est profonde; et les rêves d’unification africaine de Mouammar Kadhafi sont bel et bien enterrés.

Alex Ndiaye et Philippe Randrianarimanana

Alex Ndiaye et Philippe Randrianarimanana

Alex Ndiaye est un journaliste sénégalais spécialiste de l'Afrique. Philippe Randrianarimanana est un journaliste franco-malgache spécialiste de l'Afrique, Madagascar et la Russie.

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