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Pourquoi je ne suis pas en couverture de Elle
La journaliste Kidi Bebey s’interroge sur la quasi-absence de mannequins de couleur à la une des magazines français de mode, comme l'hebdomadaire Elle par exemple.
Mise à jour du 20 juillet: La top model Alek Wek, premier mannequin noir à avoir fait la couverture de Elle en 1997, vient de rentrer au Sud-Soudan pour la première fois depuis l'indépendance du pays. En compagnie de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), Alek Wek a notamment visité plusieurs camps de réfugiés.
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J’avoue, ça fait deux fois que j’espère du changement, après un moment de scandale dans le monde du luxe et de la mode. J’avais eu quelque espoir après le dérapage de Jean-Paul Guerlain, en octobre 2010, sur le travail des «nègres». Les trompettes ont sonné et les tam-tams ont battu si fort que la maison Guerlain s’est désolidarisée de son encombrant Jean-Paul.
Plus récemment, nouveau scandale, chez Dior cette fois, avec John Galliano. Le couturier parle de travers, évoque son admiration pour Hitler, ses propos nauséabonds provoquent à juste titre un scandale médiatique et la Maison mère s’écarte et le licencie en pleine Fashion Week. Parfait.
Pourtant… j’espère toujours.
Des couvertures sans couleurs
J’espère toujours qu’un jour les couvertures des magazines changeront enfin et que Elle par exemple, archétype français du féminin, de la mode et du luxe, prouvera qu’il sait être totalement de son temps en… «colorant» un peu ses couvertures.
Quel rapport avec Guerlain et Galliano? Rien de direct, bien sûr, mais simplement cette proposition: pourquoi ne pas profiter de certaines expériences négatives pour gagner en sagesse et communiquer de manière positive? Autrement dit, pourquoi ne pas profiter du moment pour montrer, preuve à l’appui, que l’on ne mange vraiment pas de ce pain-là.
Ainsi, des couvertures de Elle plus… diversifiées seraient la preuve qu’aujourd’hui, on va plus loin que la seule acceptation de mannequins noirs sur les podiums des défilés: on accepte aussi —et on le démontre— que sur 52 couvertures annuelles, un certain nombre présentent des personnes dont la couleur de peau symbolise la diversité d’un pays composé aujourd’hui d’Auvergnats, de Bretons, de Guadeloupéens, de Corses, de Réunionnais ainsi… que de milliers de personnes originaires de pays étrangers.
Car enfin quelqu’un peut-il m’expliquer comment il se fait que, jusqu’à ce jour, la fameuse «diversité» est si peu visible sur les couvertures de Elle? Se pourrait-il que les membres du comité éditorial de ce beau magazine soient tous atteints d’un daltonisme prononcé qui les empêche de distinguer les couleurs?
Le couple parfait
En 2008, l'hebdomadaire a fait très fort avec deux couvertures «noires». La première, en février, présentait le mannequin Heidi Klum avec, en arrière-plan, son époux, le musicien pop-star Seal. Ce beau couple «mixte» (elle est blanche et blonde, il est noir) fait partie de ces personnalités anglophones que les médias aiment cajôler. La titraille indique d’ailleurs: «Les épreuves ont forgé leur amour: la belle histoire de Seal et Heidi Klum.» Le contenu sera dans la même veine: «Heidi Klum et Seal, si bien assortis.» Tous les amateurs de romance en ont pour leur argent.
A la fin de la même année, miracle, une seconde couverture «noire» (ou plus précisément métisse, car il ne faudrait pas exagérer): la mannequin anglaise Jourdan Dunn. Le magazine l’affirme: «La nouvelle Naomi Campbell, c’est elle!» Et, en effet, Jourdan Dunn vient d’être élue Top model de l’année aux British Fashion Awards. Il faut lire ces lignes édifiantes pour le croire: Jourdan Dunn «redonne des couleurs à la fashion (…) Quatre magazines prestigieux (Vogue Italie, I-D, POP et Style) l’ont mise en couverture, fait rare pour un mannequin de couleur», souligne le journaliste, avant de se demander, quelques lignes plus loin: «Jourdan aurait-elle profité de l’effet Obama? Depuis un an, il souffle comme un vent de “black power”. La mode se met au diapason. Lentement mais sûrement.»
Lentement, c’est certain. Sûrement? Lorsque je regarde les couvertures de Elle, j’en doute. J’en doute terriblement. «L’effet Obama» consiste-t-il à préférer les femmes métisses et anglophones? Les Beyoncé et autres Rihanna ou Willow Smith plutôt que les Michelle Obama ou les Naomi Campbell? Toujours est-il que depuis la boule afro de Jourdan sur cette couverture de décembre 2008, je n’ai plus revu une seule top-model noire sur une couverture de Elle. Et franchement, je serais heureuse d’avoir fait erreur sur ce point.
Etonnant conservatisme
Qui sait? Peut-être les rédactrices de Elle se font-elles une idée de la diversité vue des Ve, VIe, VIIe, XVIe arrondissements de Paris et des toutes proches banlieues «sensibles» de Neuilly et Levallois-Perret… C’est forcément différent de la polychromie des couloirs du RER à Châtelet-Les Halles…
Bizarre, bizarre, ce conservatisme. (J’évite de parler de racisme, on pourrait me retourner que je suis parano).
Les premiers mannequins noirs sur les podiums des défilés étaient une idée de Paco Rabanne, jugée scandaleuse à l’époque. Une idée des années… 1970. Et les années ont beau passer, je ne parviens toujours pas à me voir sur les couvertures de Elle. Dois-je attendre la fin du monde (annoncée il y a onze ans déjà par le même Paco) pour que cela change?
Je réfléchis, je cherche, je m’interroge et finalement, à force de m’interroger, je crois comprendre enfin pourquoi je ne suis pas en couverture de Elle. C’est pourtant simple, ça crève les yeux: je ne suis pas assez grande. C’est vrai: ça pourrait se voir sur la photo!
Kidi Bebey
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