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Le président Zuma veut-il vraiment lutter contre la corruption?
Le président controversé de l’Afrique du Sud durcit enfin sa position contre la corruption. Mais n'est-ce pas une manière habile de neutraliser ses adversaires?
Lorsque Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, a limogé fin octobre deux ministres et suspendu le chef de la police, beaucoup se sont demandé s’il avait voulu envoyé un message fort aux responsables corrompus de la plus grande économie africaine, ou si cette réforme n’était qu’un prétexte pour regagner les faveurs des Sud-africains, et ce en pleine préparation des prochaines élections.
La mise sur la touche de Malema
En outre, le renvoi, le jeudi 10 novembre, de Julius Malema, le principal et populaire opposant de Jacob Zuma, son collègue au sein du Congrès national africain (l’ANC) où il dirigeait la Ligue de jeunesse forte de 350.000 membres, met encore plus en lumière la volonté de Zuma de garder son parti uni alors qu’il se prépare pour l'élection présidentielle de décembre 2012. Ce sera la première fois que Jacob Zuma se présente réellement à la présidence, ayant délogé son prédécesseur, Thabo Mbeki, lors d’un coup de force au sein du parti en 2007.
Cette action décisive à la fois contre la corruption et contre Julius Malema, un agitateur âgé de 30 ans que des responsables de l’ANC ont qualifié «d’embarras», prouve que Jacob Zuma ne veut prendre aucun risque. Reste à savoir si le président n’a pas attendu trop longtemps avant d’agir et si ces décisions ont envoyé un signal assez fort – ou si ces initiatives sont trop faibles et trop tardives. Sa mainmise sur le pouvoir est peut être, déjà, en train de s’affaiblir. Un sondage datant de septembre, réalisé par TNS, un groupe d’études marketing, a montré que 45 pour cent des adultes vivant dans des centres urbains approuvaient le travail réalisé par Jacob Zuma, contre 48 pour cent six mois auparavant.
Une démarche électoraliste?
«Il se porterait sacrément mieux s’il avait prit ces initiatives il y a sacrément longtemps», a déclaré David Lewis, responsable de Corruption Watch, une nouvelle agence fondée par la confédération syndicale sud-africaine Cosatu.
«Je ne peux penser qu’à quelques démocraties dans le monde où ils ne seraient pas partis depuis longtemps. Zuma a eu le temps de prendre la température de l’eau».
Avec le limogeage de deux ministres en octobre, c’est la seconde fois cette année que Jacob Zuma remanie son équipe ministérielle, tentant ainsi de calmer les critiques de son indulgence vis-à-vis de la corruption. Deux personnages publics renommés ont été renvoyés: Sicelo Shiceka, ministre de la Gouvernance coopérative (et chargé des Affaires locales), et Gwen Mahlangu-Nkabinde, ministre des Travaux publics, accusés tous deux par Zuma de mauvaise gestion.
Les efforts du président pour afficher son nouvel engagement à éradiquer la corruption n’ont rencontré qu’un certain scepticisme. Au sein de la classe politique sud-africaine, beaucoup pense que Jacob Zuma a longtemps profité, financièrement, de la corruption.
«Une partie de cela était de la démagogie politique», a déclaré Thomas Cargill, directeur adjoint du programme Afrique du think-tank londonien Chatham House, mais aussi le besoin de gérer un mécontentement de plus en plus audible avant les élections.
«Depuis deux ans, il existe une vraie colère au sujet de cette culture de la corruption, une colère qui grandit. Zuma a compris qu’il devait répondre, et répondre publiquement», précise-t-il.
La jeunesse ANC fidèle à Malema
Pourtant, il n’y a pas que le grand public qui ait besoin d’être apaisé. Jacob Zuma a dû essuyer les critiques virulentes au sein de son propre parti. Son conflit avec la Ligue de Jeunesse, qui contrôle un nombre de voix non négligeable, pourrait conduire le président «à chercher un soutien unifié, prenant en compte tant la pression publique que les nouvelles divisions politiques», affirme David Lewis.
Des milliers d’adhérents à la Ligue de jeunesse continueront à soutenir Julius Malema, malgré son limogeage. Un challenge pour Jacob Zuma, d’autant plus que Malema a déclaré à la télévision sud-africaine qu’«on ne prend plus de gants».
Si c’est le cas, Jacob Zuma risque de connaître des temps difficiles en 2012. L’an dernier, le journal sud-africain Mail & Guardian a cité Helen Zille, dirigeante de l’Alliance démocratique, qui déclarait que Zuma ne pourrait pas agir contre la corruption car il était lui-même pris «dans les filets de la corruption».
«Les responsables de l’ANC ont les mains tellement sales qu’ils n’osent pas prendre d’initiatives contre la corruption»,a-t-elle écrit sur son blog. «Si l’un d’entre eux coule, il entraînera les autres avec lui… La plupart des gens pensent que Zuma devait échapper à la prison pour pouvoir devenir président. En fait, c’est le contraire qui est vrai. Zuma devait devenir président pour pouvoir échapper à la prison».
L'échec et l'incompétence de Zuma
Malgré la réputation d’extrémiste qui colle à la peau de Malema, le grand public et la Ligue de jeunesse partagent la même opinion sur une chose: leurs griefs quant à l’administration de Zuma, griefs qui vont au-delà de la corruption pour parler d’incompétence totale et même de stagnation économique. L’Afrique du Sud souffre actuellement d’un taux de chômage abyssal chez les jeunes, elle qui fut reconnue comme une réussite après sa sortie de l’apartheid pour devenir le moteur économique de l’Afrique et un pays attractif pour les investissements étrangers. L’an dernier, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a évalué le taux de chômage des jeunes à quasiment 50%, alors qu’il est de 20% dans des marchés émergents similaires.
Durant ces deux dernières semaines, des manifestants ont défilé dans Sandton, une banlieue chic de Johannesburg, pour manifester contre le chômage, perturbant ainsi les habitants. La semaine dernière, un groupe dans le nord-ouest du pays s’est rassemblé pour s’élever contre une mauvaise utilisation, par des responsables, de fonds destinés aux travailleurs. L’inefficacité est l'une des caractéristiques du mandat de Zuma.
Le 4 novembre, la secrétaire à la Défense, Mpumi Mpofu, et le responsable des forces aériennes sud-africaines ont tous deux démissionné après que l’avion du vice-président Kgalema Motlanthe a rencontré des problèmes techniques qui l'ont empêché à effectuer une visite officielle en Finlande. L’avion a rencontré plusieurs difficultés en plein vol, y compris des problèmes de moteur.
«C’est le genre de chose», selon Thomas Cargill, «qui n’est peut être pas lié à la corruption, mais à l’incompétence. Ils n’ont pas réussi à maintenir en vol un avion qui transportait une des personnes les plus importantes du pays. Et cela a accentué le sentiment grandissant qu’une vraie réforme est nécessaire».
La lutte anti-corruption ira-t-elle jusqu'à Zuma?
Reste à voir si Zuma ira plus loin dans sa lutte contre la corruption, mais le revoi de deux ministres de son gouvernement constitue sans aucun doute l’attaque contre la corruption la plus médiatique et la plus visible dans le pays depuis des années.
«Dire que c’est sans précédent serait trop fort» a déclaré David Lewis, «mais ce n’est pas courant. Nous n’avons pas une longue tradition de réforme de la corruption. Nous n’avons pas une longue tradition de présidents limogeant des ministres ou des ministres se faisant hara-kiri».
Il existe une explication moins louable: Jacob Zuma écarterait ainsi ses adversaires.
«Un des ministres remerciés n’était pas très puissant politiquement, d’après ce que je comprends de la dynamique interne du parti», a noté David Lewis.
Des questions subsistent quant à l’accord de Zuma pour la mise en place d’une commission d’enquête sur un contrat de vente d’armes de plusieurs millions de rands, affaire dans laquelle il serait personnellement impliqué. La commission a deux ans pour enquêter, et il y aura d’importantes investigations au sein des branches anti-corruption des forces de l’ordre du pays. Ainsi, cette commission pourrait montrer, en fin de compte, que Jacob Zuma adopte vraiment une position plus ferme contre la corruption.
Les résultats de ces efforts ne seront pas visibles avant plusieurs mois.
«Il reste beaucoup de cynisme sur le degré d’implication de Jacob Zuma ou de la hiérarchie de l’ANC dans la lutte contre la corruption, et ce cynisme se base sur le fait que cela dure depuis des années sans que grand-chose ne soit fait à ce sujet», a souligné Thomas Cargill.
En attendant, maintenir le pays calme et stable ne serait pas une mauvaise idée. Le matin de la manifestation de Sandton, un homme d’affaire sud-africain qui se rendait à l’aéroport en notre compagnie s’est tourné vers nous pour nous parler.
«C’est une bonne journée» a-t-il dit, «pour quitter Jo’Burg».
Karen Leigh
Foreign policy
Traduit par Sandrine Kuhn
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