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Maroc: islamisme rampant et alibi juif
Avec un taux de participation très faible, les islamistes pourraient sortir gagnant des élections législatives. Un résultat qui ne menace en rien la monarchie alaouite.
Mise à jour du 27 novembre: Les islamistes modérés sont en voie de remporter les législatives au Maroc pour la première fois de l'histoire du royaume chérifien.
Selon les résultats officiels de plus des deux tiers des circonsriptions, le Parti justice et développement (PJD) est crédité de 80 sièges pour le scrutin du 25 novembre.
Fort de ce score historique, le PJD --qui était jusqu'ici le premier parti d'opposition avec 47 sièges-- a annoncé qu'il était prêt à ouvrir des tractations avec d'autre formations pour former un gouvernement.
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Le Maghreb est périodiquement agité par des secousses orchestrées par des courants islamistes. Les régimes, certains autoritaires, n’arrivent pas à freiner un islamisme qui s’appuie sur le mécontentement d’une classe majoritaire de pauvres. Les élections législatives se sont déroulées au Maroc le 25 novembre 2011, à la suite du référendum constitutionnel du 1er juillet qui a débouché sur une réforme de la Constitution. Ces élections devaient avoir lieu en septembre 2012 mais, étant donné les protestations dans le monde arabe et les réformes prévues, elles ont été anticipées.
Le PJD, le Parti de la Justice et du Développement
Parmi les dizaines de partis politiques qui se présentent aux législatives, le PJD (Parti de la Justice et du Développement), parti royaliste islamiste dit modéré, a fait de la lutte contre la corruption son fer de lance. Il n’avait pas gagné en 2007 comme prévu mais il était arrivé deuxième, devancé par le parti conservateur Istiqlal (indépendance). Les partis de la coalition au pouvoir avaient crié à la manipulation orchestrée par le roi Mohamed VI tandis que la presse marocaine s’interrogeait, elle, sur une autre réalité plus grave, la corruption. En fait le Monarque a choisi le moindre mal en mettant en avant le PJD parce qu’il représente pour lui le meilleur rempart contre le djihad islamiste radical qui organise les attentats à travers tout son Royaume.
Les islamistes du PJD ont réussi à s’infiltrer dans les rouages démocratiques en profitant d’un vote sanction contre les partis politiques traditionnels. La mauvaise gestion économique du pays et l’absence de mesures sociales adéquates ont représenté le terreau dans lequel les extrémistes ont prospéré. La stratégie des islamistes, dits modérés, s’est d’abord voulue modeste et discrète en prônant les vertus de l’intégrisme des lois islamiques. Puis, grâce aux relais des multiples associations sur le terrain et surtout à la discipline de leurs militants, ils ont diffusé la bonne parole auprès de tous ceux qui se montraient attentifs à leur dialectique. Reste à savoir si l’adjonction du qualificatif modéré à tout ce qui fait peur est judicieuse.
Un moindre mal
Les rares optimistes espèrent qu’au sein du nouveau gouvernement, la démocratie se développe à l’image de celle existant actuellement en Turquie, une sorte d’islamisme à visage laïc. La comparaison entre les deux pays est loin d’être symbolique puisque dans les deux cas l’armée arbitre. Elle reste au Maroc entre les mains royales qui détiennent les pouvoirs politiques et religieux. Mohamed VI a trouvé cette seule parade pour contrecarrer les activités montantes d’al-Qaida qui ne désespère pas de punir les «dirigeants corrompus» de la région. S’inspirant du même vocabulaire, Saad Eddine Osmani, responsable du PJD, estime «qu’il y a beaucoup à faire pour combattre la corruption et les inégalités sociales ainsi que pour réformer notre justice et notre éducation».
En privilégiant le PJD au détriment des partis traditionnels, les Marocains avaient voulu affirmer qu’ils ne supportaient plus que les rouages de l’Etat soient confisqués par une petite élite qui gouverne loin des réalités quotidiennes et qui se voile la face devant la misère de millions de pauvres. Mais ils ne se font aucune illusion car, même si la victoire du PJD avait été totale, le Roi n’aurait pas pris le risque improbable d’être le premier à nommer un islamiste à la direction d’un gouvernement. En donnant un début de coup de semonce, ils ont voulu marquer leur volonté de ne plus voir le Maroc, dirigé comme du temps d’Hassan II, d’une manière dictatoriale et féodale. Ils estiment que le pays a besoin de réformes sociales dont l’absence risque de générer une explosion aux conséquences imprévisibles. En donnant leur vote aux islamistes, ils ne s’engageaient pas dans l’aventure car ils se savaient protégés par leur Roi qui pouvait, par son véto, s’opposer à toute loi tendancieuse décidée par un gouvernement à la botte des islamistes.
Désintérêt de la jeunesse marocaine
Les élections ont été influencées par les attentats terroristes et les révolutions arabes, qui ont marqué les esprits parce qu’on ne comprenait pas la finalité de gestes inspirés par le désespoir sinon par la volonté de mettre à feu et à sang la région. La nature du mode de scrutin proportionnel a privilégié le phénomène de résurgence de notables plutôt que de partis et a favorisé la présentation des petites listes à la Chambre des représentants. Certains considèrent cependant que les élections sont orchestrées en sous-main par le Monarque puisque le système politique est totalement sous son contrôle, ce qui n’encourage pas les jeunes à s’exprimer. La nouvelle génération, adepte d’Internet et sensible aux informations qu’elle reçoit de l’Occident, semble désintéressée du scrutin. En 2007, elle avait boudé les urnes puisqu’à peine 37% des électeurs se sont déplacés. La même situation risque de se reproduire en 2011.
Les jeunes acceptent difficilement cette démocratie parlementaire en trompe-l’œil qui voit les principaux ministères clefs échapper au contrôle des partis. Les Affaires Religieuses, l’Intérieur, les Affaires Etrangères et surtout le secrétariat du Gouvernement restent du domaine royal. Ils regrettent aussi que la plupart des décisions législatives soient préalablement préparées dans l’ombre du Palais, sous la férule d’un Monarque omniprésent. Cette mainmise du pouvoir pousse le Marocain moyen à s’éloigner des préoccupations politiciennes et à privilégier plutôt la lutte contre le chômage et la corruption et surtout l’amélioration du système de santé.
Une candidate juive, un alibi
Le coté original de ces élections reste la présence de la candidate juive Marie Yvonne Kakon du minuscule PCS (Parti du Centre Social), auteur de plusieurs essais sur la culture judéo-marocaine, qui se veut un symbole de la diversité de la nation arabe et de la tradition d'ouverture marocaine. Elle a déclaré au quotidien Akhbar al-Yaoum que sa présence aux élections témoigne de la «richesse culturelle des pays nord-africains, où arabes, berbères et juifs ont cohabité pendant des siècles». Elle veut surtout prouver que «les juifs de culture arabe ont toujours été parfaitement intégrés».
La participation active de juifs au scrutin ne se justifie plus puisque la communauté compte à peine 5000 âmes sur les 270.000 qui vivaient au Maroc. «Si je suis candidate, c'est parce que je me sens chez moi dans ce pays», explique t-elle, mais son programme flou atteste que sa candidature tient beaucoup plus de l’alibi, de la volonté de certains juifs à prouver qu’il n’y a pas d’antisémitisme dans leur pays. Pareille situation avait existé en Tunisie avec l’industriel Roger Bismuth, nommé à 81 ans en 2005, membre du Sénat.
Mais les adversaires de cette réalité se sont déjà exprimés à l’instar du professeur Elie Elbaz, candidat sans succès en 2002 sur la liste socialiste de l'USFP: «ce sont des candidatures fantoches de personnes sans passé politique, elles visent à offrir la vitrine d'un judaïsme florissant alors qu'il est agonisant». Mais la candidature d’une juive tend cependant à être un pied de nez aux tenants d’un islamisme pur et dur au Maroc.
Jacques Benillouche
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