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Syrie et ailleurs : les observateurs, ça sert à quoi?
Envoyer des observateurs en Syrie fait sourire les Algériens et tous les arabes conscients de la ruse des régimes pour créer des illusions.
Mise à jour du 6 janvier 2012: Le chef de l'Armée syrienne libre (ASL), qui regroupe les militaires dissidents, a appelé jeudi 5 janvier la Ligue arabe à reconnaître l'"échec" de la mission des observateurs en Syrie.
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Mise à jour le 19 décembre: La Syrie a signé un protocole autorisant l'envoi d'observateurs étrangers, qui fait partie d'un plan de sortie de crise préparé par la Ligue arabe. Bachar al-Assad va t-il veritablement ouvrir ses prisons aux observateurs? Ce revirement apparaît plûtot comme une manière de gagner du temps pour un régime de plus en plus asphyxié.
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La ligue arabe tente d’obtenir d’envoyer des observateurs en Syrie. Que peuvent-ils y faire? Observer. Mais que peut observer un observateur dans ce cas là? Le chroniqueur se souvient de sa découverte du sens du mot «observateur» avec les années 1990 en Algérie: des gens aimables mais trop doux, sous escorte stricte, avec un agenda fouillé et préparé et bien filtré, une liberté de mouvement qui équivaut à celle d’une aiguille de montre sur un bras d’honneur invisible, une impossibilité linguistique à comprendre les doubles sens et les demi-morts et un programme si chargé qu’il ne permet de rien d’observer mais seulement d’être observé.
Généralement blonds, étrangers européens, fonctionnaires internationaux trop diplomates, les observateurs ont leur morphologie dans la géographie des dictatures du tiers-monde et qui permet de bien les surveiller et de loin. Plus ils sont blancs, plus on les croit crédibilisant les résultats et les fraudes.
La Syrie ou l'art de manier les apparences
Revenons en Syrie: là, comme ailleurs dans le monde arabe, le régime a développé une ruse étonnante pour gérer les apparences. Il sait louvoyer, intoxiquer, manipuler, forcer et violer les apparences à un point inimaginable. Qu’y feront les observateurs? Rien. Ils seront escortés pour «leur sécurité». Ils auront droit de rencontrer des rebelles fabriqués de toute pièce, des «victimes» de groupes terroristes mais aussi des «victimes» de dépassements des forces armées (actes isolés) pour faire un peu la bonne mesure. Déjà, et c’est ce que précise les révoltés, les villages sont nettoyés, les murs repeints, les chars retirés des trajets des futurs observateurs, des hôpitaux sont mis en scène, des témoins, de faux témoins, de faux rescapés, de faux rebelles et de faux repentis sont briefés. Pour les chiffres n’en parlons même pas, et ne parlons pas des listes des témoins que les observateurs ont en mains: en Syrie comme ailleurs, on peut fabriquer un mort ou un vivant, des identités, des papiers, des documents et les «preuves» et les même les aveux.
Les observateurs: les arabes ne sont pas dupes
Observateurs? Le chroniqueur se souvient de leurs visages durant les années 1990 en Algérie, de notre sourire moqueur face à des gens qui, fondamentalement et par définition, ne pouvaient rien observer, ni voir, ni prouver. Dès qu’ils repartaient, on bourrait les urnes en s’esclaffant. Escortes rapides, gardes du corps, agenda serré, bousculades autour d’eux pour les désorienter, choix de l’itinéraire déjà balisé, des témoins déjà identifiés, quelques minutes pour le coup d’œil puis s’en vont. Derrière, reste le pays face à lui-même, obscure, fermé, en prison. Car, curieux paradoxe des instruments de contrôle universel des démocraties, les observateurs ne peuvent pas servir à dire que des élections ou une démocratisation ne sont pas vraies, mais ils peuvent servir à donner du crédit à des fraudes bien menées et des mises en scènes. On n’a jamais vu, dans ce monde arabe, un rapport «d’observateurs» servir à rejeter des résultats d’élections ou à licencier un dictateur. Les Syriens ont bien raison de rire de l’offre molle de la Ligue arabe malgré ses bonnes intentions: ils savent leur régime rusé, malin, fourbe et sans limite. Les Syriens le savent et nous «arabes», tous, nous savons ce que valent les observateurs et ce que vivent les observés.
D’ailleurs la question reste la même: à quoi servent les «observateurs» dans les pays sans démocraties? La formule avait du sens avant le multimédia, internet, les réseaux sociaux et les caméras intégrées aux téléphones. A l’époque, les sons et images étaient si assujettis aux propagandes que le seul moyen d’accéder au réel était d’y aller à pied, en physique.
Depuis, les dictatures ont compris et appris: comment observer un observateur arriver de loin, comment le manipuler, le vider de son sens, en faire un artifice, un spectateur impuissant. Et les observés ont appris aussi: à filmer, témoigner, mettre en réseaux, en twitter et en ligne pour que le monde entier soit «observateur».
Kamel Daoud (Le quotidien d'Oran)
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