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Un Pygmée ougandais chasse le singe dans la région de Bundibugyo, à l'est de Kampala, le 8 août 2006. REUTERS/James Akena
Un Pygmée ougandais chasse le singe dans la région de Bundibugyo, à l'est de Kampala, le 8 août 2006. REUTERS/James Akena

Cameroun: Pygmées, la tradition en héritage

Certains campements essaient de trouver l’équilibre entre coutumes et modernité. Ambiance.

19 janvier. Quelque 1.200 exposants s’affairent au Comice agro-pastoral d’Ebolowa, chef-lieu de la province camerounaise du Sud. Les agriculteurs qui ont pu obtenir un stand exposent avec fierté leurs plus beaux plantains, macabos, maniocs... Tandis que les éleveurs présentent avec le même enthousiasme leurs vaches, poissons et autres escargots géants.

A une dizaine de mètres de la cage du lion, trois filles et un garçon en uniforme se tiennent en rang. C’est la première promotion de Pygmées de l’Ecole nationale des eaux et forêts (Enef) de Mbalmayo.

«On nous apprend comment reboiser, créer une forêt communautaire», confie Cyriaque Bidja, un Baka de 27 ans aux sourcils fournis et pommettes saillantes. «De mon côté, je raconte ce que mes grands-parents nous conseillaient pour préserver l’environnement. Et ça fait vraiment plaisir!»

«Une culture en voie de disparition»

Sur un stand voisin, la Commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac) salue l’initiative des ministères des Forêts et de la Faune (Minfof) et des Affaires sociales (Minas):

«Les Pygmées ont toujours été marginalisés, spoliés», observe Henriette Bikie, socio-économiste à la Comifac. «Si une partie d’entre eux gagnent de nouvelles connaissances, ils deviendront des porte-voix de la conservation.»

Un rôle en droite ligne avec à leur statut de «sages de la forêt»; un statut néanmoins menacé. Sur les dizaines de Pygmées (baka, bagyeli, medzan) du pays, «certains se sédentarisent ou théâtralisent leurs coutumes pour le tourisme», regrette Watteau Bityili, président de la Fondation d'appui à l'autopromotion des groupes pour l'environnement (Fagape)

«Le développement pèse sur la culture: quand les Pygmées se tournent vers la modernité, ils oublient leurs mœurs et, aujourd’hui, la culture est en voie de disparition.»

Que reste-il de leur savoir? Direction le village de Biboulemam, en plein Parc de Campo Ma’an. C’est là, dans une bâtisse en dur, que James Akom vit avec sa femme en attendant d’être soigné pour son hernie et sa tuberculose.

«Il y a beaucoup d’arbres qui soignent en brousse, mais il m’arrive d’aller à l’hôpital ou à la pharmacie pour me soigner.»

Il y a des limites de la pharmacopée traditionnelle, reconnaît ce Bagyeli, les joues creuses, le torse amaigri.

Antilope contre manioc

Le vieil homme ne s’exprime que dans sa langue: il n’a jamais été à l’école. Quant à ses trois enfants, le taux de déperdition scolaire est élevé, comme c’est encore souvent le cas chez les Pygmées.

«Deux de mes enfants ont abandonné parce qu’ils ne voyaient pas l’intérêt, mais mon fils est resté tout en continuant à chasser, pêcher et cueillir», explique James Akom. «Ils ne pouvaient pas se passer des activités de survie, car c’est ça qui nous fait vivre!»

«Les Bagyeli s’installent toujours là où la terre est fertile», poursuit Moïse Emwana-Mbozoo, de Bagyeli originaires d’Afrique équatoriale jamais intégrés (Bodeji). «Mais ils ne font que deux ou trois pousses de plantains et laissent le reste. Leur priorité, c’est la chasse». Problème:

«Les forêts sont de moins en moins giboyeuses», s’inquiète Henriette Bikie. «C’est la conséquence du braconnage. Les chasseurs utilisent les voies ouvertes par l’exploitation forestière et se servent parfois des Pygmées pour les guider et pister le gibier, moyennant une piètre rémunération.»

Escale à Awomo, à six kilomètres de Biboulemam. Céline sort de son panier en raphia une cuisse de céphalophe (une sorte d’antilope). Cette mère bagyeli est venue la troquer contre des morceaux de manioc, que compte méticuleusement Marie, son hôte bantoue évangélisatrice de Pygmées.

«Elles n’utilisent pas l’argent: ici, c’est seulement le troc. C’est l’une des rares scènes du genre auxquelles on peut encore assister.», commente, fasciné, Watteau Bityili.

Habitat 100% bio

Honorine confirme. Ce jour-là, cette villageoise de Nyabitande a d’ailleurs acheté du poisson à Ebolowa, où son campement avait été invité pour danser en marge du Comice.

«Pour avoir de l’argent, quand tu as de la viande et que tu ne veux pas la troquer contre du manioc, tu vends aux Bantous», explique en français cette mère de six enfants. «Et après, tu achètes le maïs, l’arachide… et tu plantes!»

D’autres se procurent du tabac ou des «condoms», le surnom des petits sachets d’alcool que l’on retrouve vides par endroits sur les sentiers du parc de Campo Ma’an.

Le paysage, lui, trahit notamment l’abattage des arbres par les Pygmées qui s'installent. Leur habitat est souvent 100% bio. Les feuilles de raphia sont tressées pour les toits et les «murs», quand ces derniers ne sont pas en écorce de mwambe jaune —infusé pour combattre le paludisme.

L'intérieur est naturellement climatisé, et les couches de raphia sont parfois remplacées par des planches de bois, offertes dans le cadre d’une convention de gestion entre communauté villageoise et administration forestière. Un accord témoignant d’une meilleure reconnaissance et prise en compte des «gardiens de la forêt».

Leurs préoccupations foncières et environnementales seront d’ailleurs au cœur du deuxième Forum international des peuples autochtones d'Afrique centrale, qui se tiendra du 15 au 18 mars 2011 à Impfondo (Congo). Le thème: «Droits des peuples autochtones et dynamiques de la conservation de la biodiversité dans le bassin du Congo».

D’ores et déjà, des Pygmées collaborent avec autorités, ONG et associations pour réapprendre la gestion durable des forêts —sans perdre de vue l’importance d’obtenir pour tous actes de naissance et cartes d’identité, précieux sésames pour voter.

Habibou Bangré

Habibou Bangré

Habibou Bangré. Journaliste, spécialiste de l'Afrique. Elle collabore notamment avec The Root.

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