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Avant d'être l'opposant historique, Tshisekedi avait été un proche de Mobutu
Le leader du parti d'opposition l’Union pour la démocratie et le progrès social est décédé mercredi 1er février à Bruxelles.
À Kinshasa, Etienne Tshisekedi était le deuxième «président». Opposant historique de Laurent-Désiré Kabila puis de son fils Joseph, le leader du parti de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) était nommé ainsi par ses proches. Battu en 2011 par Joseph Kabila lors d'une élection présidentielle très contestée, par les Nations unies notamment, Etienne Tshisekedi n'avait jamais accepté sa défaite et avait prêté serment lors d'une cérémonie organisée dans sa demeure de Limete.
Mais c'est à Bruxelles qu'il est décédé, à l'âge de 84 ans, mercredi 1er février. Il s'est éteint dans un hôpital de la capitale belge, d'une embolie pulmonaire.
Né dans le Congo belge en 1932, Tshisekedi devient le premier diplômé de droit du Congo indépendant en 1961. Il «s'initie à la politique dans ce qui deviendra le Zaïre de Mobutu Sese Seko, souligne le journal Le Monde. Le jeune Etienne Tshisekedi s'accomode bien à ce régime dictatorial qui le propulsera ministre de l'Intérieur dès 1965. En ce temps-là, il ne trouvera rien à redire à l'assassinat de Patrice Lumumba, le Premier ministre martyr, puis à la répression et aux exécutions comme la pendaison de quatre politiciens dont le Premier ministre d'alors, les "martyrs de la Pentecôte"».
Le début de la fronde
Dans les années 1960, le «sphinx», comme ces partisans le surnomment, appartient au premier cercle politique de Mobutu. Tshisekedi prend part à la rédaction de la Constitution congolaise de 1967. Cette même année, il rédige avec Mobutu le manifeste de la Nsele, créant ainsi le Mouvement populaire de la Révolution. Un organe politique qui deviendra ensuite le parti unique congolais.
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C'est un peu plus tard que Tshisekedi a commencé à s'éloigner du dictateur: en 1980, quand il commence à mener la fronde avec d'autres élus.
«S’il faut retenir un événement comme l’acte fondateur de l’opposition politique au Zaïre de Mobutu, c’est bien celui-là: la lettre des treize parlementaires. En décembre 1980, treize membres du Parlement, dont Etienne Tshisekedi, adressent une lettre ouverte au président Mobutu. Cinquante-deux pages dans lesquelles ils dénoncent la dérive dictatoriale du régime et les mauvaises conditions de vie de la population. La lettre fait l’effet d’une bombe au pays de Mobutu», relate le média congolais Radio Okapi.
Etienne Tshisekedi avait expliqué le cheminement intellectuel qui l'avait poussé à se démarquer de Mobutu lors d'une interview accordée à Radio Okapi en 2011.
« En 1977, après les critiques de partout particulièrement de l’Occident, Mobutu était obligé d’organiser des élections et de donner à ces élections une apparence de démocratie. Comme toujours, il voulait donner l’impression qu’il faisait quelque chose de démocratique, alors qu’il faisait le contraire. J’ai été encore une fois élu comme député dans cette législature-là. Mais la population ne voulait plus des pratiques de Mobutu. Pour être élu, il fallait qu’on critique tout ce qu’on vivait comme Mobutisme. Il fallait critiquer. C’est comme cela que la population aimait notre discours et nous a fait confiance pour nous élire une deuxième fois», disait-il.
Etienne Tshisekedi le 5 septembre 2011 à Kinshasa. JUNIOR KANNAH / AFP
Premier ministre sous Mobutu
Le «sphinx» a cependant toujours été ambigu dans son rapport au pouvoir. Ses dénonciations des pratiques du régime se transformant souvent par une poignée de main avec Mobutu. Du 29 septembre au 1er novembre 1991, Etienne Tshisekedi devient ainsi Premier ministre de la République démocratique du Congo. Par cette manoeuvre, Mobutu espère alors calmer la gronde populaire qui secoue le pays.
C'est sous la dynastie des Kabila qu'Etienne Tshisekedi deviendra véritablement une figure de l'opposition. L'homme qui résiste.
Il dénonce, «les dérives dictatoriales de Laurent-Désiré Kabila puis de Joseph Kabila qui a succédé à son père assassiné en 2001. L’opposant professionnel dit ne plus reconnaître l’autorité du président, convoque des manifestations d’ampleur, s’emporte lors de discours enflammés. Les laissés-pour-compte de Kinshasa adulent leur "sphinx", très vraisemblable vainqueur de l’élection présidentielle de 2011», analyse Le Monde.
Le leader de l'opposition avait pourtant été convaincu par des émissaires de Kabila de diriger un Conseil national de suivi de la transition, chargé d'organiser le prochain scrutin présidentiel. Un dernier geste à mi-chemin entre volonté d'occuper le devant de la scène et de résister à la dictature.
Même déclinant physiquement, Tshisekedi demeurait pour la population congolaise l'homme qui pouvait renverser Joseph Kabila, dont le second mandat s'est terminé officiellement le 19 décembre 2016, mais qui s'accroche au pouvoir. Selon un sondage réalisé par le Bureau d'études et de recherches de Kinshasa et par le Congo research group de l'Université de New York en octobre, seuls 7,6% de Congolais disent vouloir voter pour Kabila en cas d'élection.
Dès l'annonce de la mort du «sphinx», les hommages se sont multipliés en République démocratique du Congo. Parmi d'autres, Denis Mukwege, «l'homme qui répare les femmes», un gynécologue qui soigne des femmes violées dans l'est du Congo, a souligné la perte qu'était son décès pour un pays proche du chaos.
Emu d’apprendre la mort à #Bruxelles d’Étienne #Tshisekedi. Grande perte pour la nation. #RDC #RIPTshisekedi
— Denis Mukwege (@DenisMukwege) February 2, 2017