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RDC: le casse-tête des législatives
32 millions de Congolais sont appelés à voter le 28 novembre. Outre l'élection de leur président, ils ont fort à faire pour choisir leurs députés.
Mise à jour du 29 novembre: Le dépouillement des votes a débuté ce matin au lendemain du scrutin marqué par la violence. A Lubumbashi, capitale de la province du Katanga (sud est), deux policiers et une électrice ont été tués dans l'attaque d'un bureau de vote, et un convoi chargé de matériel électoral a été la cible d'une attaque armée dans laquelle sept à huit assaillants ont été tués par la police.
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La République Démocratique du Congo (RDC) se prépare à l'échéance du 28 novembre prochain: la deuxième élection présidentielle pluraliste depuis l'indépendance de l'ancienne colonie belge en 1960. Mais ce 28 novembre, se tient aussi les élections législatives en RDC. Car on a tendance à l'oublier, mais en plus des onze candidats en lice pour le poste de président de la République Démocratique du Congo, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a enregistré près de 18.500 candidatures pour les 500 sièges à pourvoir à l'Assemblée nationale.
Violences pré-électorales, provocations et surenchères entre postulants à la présidence (notamment entre Joseph Kabila, l'actuel président, et Etienne Tshisekedi, l'éternel opposant), rumeurs, démentis, candidat qui ne passe pas inaperçu par son nom familier sont autant d'éléments qui ont quelque peu réléguer au second plan cette autre élection.
Quels sont les principaux partis?
Sur les 417 partis référencés en RDC, 347 ont présenté des candidats aux élections législatives. Les partis qui proposent le plus de candidats sont par ordre décroissant: le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), c'est à dire le parti au pouvoir de Joseph Kabila, avec 494 candidats, suivi du Parti lumumbiste unifié (PALU) d'Antoine Gizenga, avec 476 candidats en lice, puis l'Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe qui propose 447 candidats, et enfin l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d'Etienne Tshisekedi qui avance 389 candidats. Difficile d'y voir clair dans cette jungle électorale.
Rares sont les partis qui ont la possibilité de faire parler d'eux à grande échelle ou mieux, de disposer de leur propre site Internet pour y développer leur programme électoral, solliciter l’adhésion de membres ou faire des appels de fonds. Une inégalité que dénonce notamment l'Agence Syfia Grands Lac, —une agence de presse qui couvre la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, et le Burundi—, dans un article intitulé «Kisangani: seuls les candidats nantis ont accès aux médias»:
«Depuis le début de la campagne électorale, tous les candidats ne bénéficient pas du même temps d’antenne dans les radios, comme le prévoit les directives du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication. Ceux de la majorité qui disposent de plus de moyens sont privilégiés.»
«Trop, trop de candidats»
Avec autant de partis représentés, il est encore plus difficile pour les candidats de sortir du lot. Ceux qui ne sont pas rattachés à un parti d'envergure financent leur campagne eux-mêmes, le plus souvent avec un budget dérisoire. Faute de moyens, certains ont recours à des ballons volants pour faire parler d'eux, d'autres à des banderoles en tissus sur lesquelles sont imprimées quelques informations difficilement lisibles pour les électeurs. La plupart n'ont même pas la place d'y faire figurer leur programme électoral, leur appartenance à un parti. Certains le font même volontairement, préférant taire le nom de leur parti politique.
Il y a de quoi se perdre comme l'affirme une habitante de la province de Tshangu interrogée par RFI:
«Il y a trop, trop de candidats. Jusque là je n'ai pas encore entendu le programme d'un candidat.»
Pour preuve, lors de l'élection présidentielle de 2006, la RDC détenait déjà le record du plus grand bulletin du monde. En 2011, le record a encore été battu: le bulletin en lui seul représente 56 pages!
Cette profusion de candidats peut s'expliquer par une raison très simple: la rémunération. Car un député de l'Assemblée nationale touche en moyenne 6.000 dollars par mois (environ 4.500 euros) contre le salaire minimum de 208 dollars (environ 155 euros) que revendiquent les fonctionnaires congolais depuis 2004. Il n'en fallait pas plus pour être motivé par la politique. L'appât du gain aurait même poussé certains candidats à postuler sur plusieurs listes. D'anciens élus de 2006 devenus impopulaires auraient de leur côté changé de circonscription pour être réélus.
Médecins, ingénieurs, enseignants de tous niveaux et paysans, toutes les couches sociales sont représentées. L'exemple de ce transporteur de marchandises à vélo à Kisangani (une ville de l'est du pays) est en est la preuve: Alphonse Awenze Makioba, surnommé «le candidat des pauvres» se présente à la députation nationale dans la Province Orientale. Une candidature chaleureusement saluée par le journal congolais Le Potentiel, qui écrit à son sujet:
«Des 18.500 candidats qui se sont lancés dans une folle course aux obstacles pour échapper… à la misère, le phénomène Awenze fait pâlir d’envie ses concurrents de Kisangani. [...] Il n’est pas non plus un "fils de… ", dont la carrière est toute tracée depuis le berceau. [...] Sacré transporteur cycliste! Lui, au moins, par chance, pourrait échapper à la misère institutionnalisée en RDC.»
Une abondance de candidats qui laisse perplexe et indécis les quelques 32 millions de Congolais votants (sur les 66 millions d'habitants qui composent le pays). A la difficulté de différencier les postulants, s'ajoute une organisation logistique difficile à mettre en œuvre. Car avec une superficie de 2.345.409 km2, la RDC, —ce qui représente par exemple l'équivalent de l'Europe de l'ouest—, est le deuxième plus grand pays d'Afrique. D'où des difficultés d'acheminer par avion ou par routes le matériel nécessaire aux élections.
Sorti d'une guerre de dix ans en 2003, le pays a un vrai défi à relever avec l'organisation de telles élections. Pour y faire face, il est chapoté par la communauté internationale. Des dizaines de milliers d'observateurs électoraux congolais et étrangers ont été envoyés sur le terrain. 63.000 bureaux de vote ont été installés pour recevoir toute la logistique qui arrive des quatre coins du monde. Les isoloirs proviennent du Liban, l'encre indélébile de Chine, les bulletins de vote imprimés d'Afrique du Sud, et les urnes ont été commandées à l'Allemagne.
Des médias présents pour instaurer un vrai débat
La radio congolaise Radio Okapi, créée en 2002 par la fondation suisse Hirondelle et l'ONU, s'occupe, elle, d'expliquer aux électeurs leurs droits civiques et le fonctionnement du vote. Dans ce pays où les journalistes font face aux pressions constantes et à la corruption, Radio Okapi se veut un outil d'information pédagogique le plus neutre possible tout en faisant exister le débat entre la majorité et l'opposition. Ce qui n'est pas une mince affaire.
L'agence de presse Syfia Info essaie elle aussi de parler équitablement de tous les partis et de faire vivre le débat en RDC en cette période électorale. Créée en 1988, l'Agence dispose de deux médias en RDC: Mongongo, et Syfia Grands Lacs. Elle travaille avec des journalistes africains et européens, directement sur le terrain avec pour but de montrer le vrai visage de l'Afrique et donner la parole aux premières personnes concernées. Sur son site internet, l'Agence Syfia explique ses raisons d'être:
«Parce que les journalistes africains sont les mieux à même de parler de leurs pays. Parce que l’information journalistique de qualité est un facteur de paix et de démocratie. Parce que des citoyens avertis sont une des conditions du développement.»
En matière de démocratie, le pays n'est pas encore parvenu à ses fins. Par exemple, dans une récente requête, Human Rights Watch a appelé les autorités de la RDC à arrêter l'un des 18.500 candidats à la députation nationale. Son nom? Ntabo Ntaberi Sheka, un chef de milice maï maï accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité —plus précisément de viols massifs et de pillages dans l'est de la RDC—. Or, en dépit d'un mandat d'arrêt national lancé contre lui, Ntabo Ntaberi Sheka, peut se présenter aux élections législatives en toute tranquilité.
Pour Anneke Van Woudeberg, spécialiste de la RDC à Human Rights Watch, interrogée par RFI:
«Pour mettre fin à la culture d'impunité, on a besoin des actions concrètes du gouvernement congolais.»
Et le chemin de la démocratisation sera long. D'autant plus long que le régime de Kabila tarde à donner des signes d'ouverture.
Audrey Lebel
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