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La guerre n'est pas finie
En Egypte, pays qui a depuis longtemps perdu le leadership révolutionnaire, tous les autocrates du monde arabe sont réunis: il s'agit de contrer la contagion tunisienne.
En Egypte, pays qui a depuis longtemps perdu le leadership révolutionnaire, tous les autocrates du monde arabe sont réunis: il s'agit de contrer la contagion tunisienne.
Organiser la survie du monde arabe
10.000 mètres d'altitude, un nuage de fumée blanche traverse le ciel tunisien chargé d'incertitudes. L'avion présidentiel algérien se dirige vers l'Egypte en passant au-dessus de la Tunisie. Destination Charm El-Cheikh, où un sommet économique panarabe est prévu depuis longtemps, sauf qu'il s'agit surtout pour les régimes de la zone de parler du cas tunisien et ses implications dans la région.
10.000 mètres au dessus de la terre, comme le fait souvent le président Abdelaziz Bouteflika en traversant d'autres cieux aériens à bord de son jet français, il envoie son premier message depuis l'insurrection du pays voisin —commencée le 17 décembre, elle s’est traduite par la fuite du président Ben Ali le 14 janvier—, destiné à la nouvelle direction du pays.
Le message est neutre «Mes sincères salutations fraternelles, en vous souhaitant plein succès afin que vous puissiez faire parvenir la Tunisie à bon port», agrémenté d'un équivoque «pour œuvrer au bien-être de votre cher peuple.» Resté muet autant sur les émeutes dans son pays que sur la situation tunisienne, le président Bouteflika, fatigué et malade, ne se déplace pas beaucoup, mais là, il y va de sa propre survie, à l'image de tous ses collègues du monde arabe.
A ce «sommet de la diversion», les 22 représentants arabes sont tombés d'accord sur des solutions socio-économiques à apporter à la contestation arabe; «la Révolution en Tunisie n'est pas loin de ce que nous vivons ici», a averti Amr Moussa.
Sauf qu'il ne s'agit toujours pas de libertés, et le diagnostic est entendu: «l'âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement», a expliqué le secrétaire général de la Ligue arabe.
Déjà, quelques jours avant, le Koweit avait offert 3.000 dollars à chaque démuni de son pays. La Libye a supprimé les taxes sur tous les produits alimentaires, tout comme la Syrie et la Jordanie, et l'Arabie saoudite a réactivé les «grands projets structurants» à forte valeur de main-d'œuvre. Pour sa part, l'Algérie va recevoir une commande de céréales à l'avance et a supprimé les taxes et droits de douane sur l'huile et le sucre.
Tout va bien dans le monde arabe, sauf que le nouveau ministre des Affaires étrangères tunisien a claqué la porte avant l'ouverture du Sommet, et est retourné à Tunis pour protester contre les tentatives de retour en arrière sur les questions de liberté.
A Alger et Tunis, capitales en pleine effervescence, on a du mal à prédire la fin des autocraties arabes et l'instauration de grandes démocraties, de Nouakchott à Ryad, sur le modèle sud-américain. Mais pourquoi pas?
Quel avenir pour la région
Après la relative accalmie en Algérie, le chaos post-révolutionnaire en Tunisie, et un début de contagion dans le monde arabe, tout le monde pense à l'après. C'est connu, les régimes de la région n'ont pas d'avenir. Mais y a-t-il un futur pour le monde arabe?
En attendant de répondre à cette question, les immolations par le feu se poursuivent à une vitesse effrayante. Un cas en Mauritanie, trois en Egypte, un au Yémen, et l'Algérie, qui fait toujours mieux que tout le monde dans ces domaines, en est déjà à 30, entre immolations et tentatives d'immolation. Une femme a également tenté de s’immoler.
A Alger, le dispositif anti-émeutes est maintenu et il n'est toujours pas question d'ouverture —pas même un geste pour amortir le choc.
A Casablanca, au Maroc, la même angoisse plane [PDF] et à Tunis, c'est l'attente, entre désir de consolidation de la fraîcheur du jasmin et pulsion de retour à la case départ mode tropical, par crainte raisonnable devant l'incertitude.
Ben Ali, fuyard ou stratège?
Ben Ali a sous-estimé son peuple, son peuple le sous-estime aujourd'hui. «Pourquoi n'a-t-il pas fait un discours annonçant sa démission et installé des structures de transition avant de partir?», se demande un manifestant tunisien de retour de guerre, inquiet des devenir. La fuite désespérée du despote, laissant, sciemment ou pas, un état de chaos derrière lui, est maintenant le sujet principal des conversations.
Cette sortie précipitée de Ben Ali, d’abord apparentée à une fuite, commence à être perçue comme une stratégie. Installer le chaos, à distance, auquel participeraient les pays voisins, inquiets de la contagion. Le discours clair de Kaddhafi, qui regrette Ben Ali. Des voitures piégées qui seraient prêtes à exploser en Tunisie. Des rumeurs sur les envois d'armes et d'argent aux milices tunisoises ou ces Algériens attrapés en Tunisie, armes à la main, qualifiés de «petits voyous» —comme lors des émeutes en Algérie, étrangement— sont autant de signes.
Coincée entre les deux puissances de la région —Algérie et Libye— et au centre d'une reconfiguration du monde arabe, la Tunisie pense à demain et développe des centaines de scénarios. «Normal, on n'a que ça à faire puisque le couvre-feu est toujours en vigueur, à partir de 17 heures», commente une Tunisoise.
Chawki Amari