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Les forums inter-africains se multiplient, mais pour quelle utilité?
L'Algérie organisait en grande pompe du 3 au 5 décembre 2016 son premier Forum africain d'investissement et d'affaires.
Ils se multiplient comme les crocodiles dans les passages à gué des rivières du parc Serengeti à la saison de la grande migration des gnous. Depuis plusieurs années, le continent connaît une véritable inflation de forums et sommets sur le développement économique de l'Afrique. Organisés sous l'égide des Etats, ces grands barnums où se mêlent diplomates occidentaux et asiatiques, hommes d'affaires et politiciens étrangers et locaux, visent à faire la publicité de la politique pro-business de tel ou tel pays et convaincre les partenaires internationaux d'investir leurs devises sur place.
Parmi d'autres, on peut citer le Forum Africain de développement qui se tient à Casablanca, le CEO Africa Forum organisé à Abidjan, le Forum sur le développement industriel, inclusif et durable à Dakar ou encore le tout nouveau Forum africain d'investissement et d'affaire qui se tenait du 3 au 5 décembre à Alger. Des rendez-vous qui clament leur ambition de renforcer les échanges inter-africains et les investissements dans les secteurs des nouvelles technologies ou du développement durable. Et pour convaincre un peu plus du bien-fondé de leurs initiatives, les Etats africains à la manoeuvre tentent d'en mettre plein la vue question décor.
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À Alger, le premier évènement du genre se tenait dans le flambant neuf Centre international des conférences Abdelatif-Rahal. Un immense complexe riche d'un amphithéâtre aux dimensions incroyables et situé à l'écart de la ville, dans la luxueuse station balnéaire du Club-des-Pins où les palmiers et les espaces de verdures sont plus nombreux que les immeubles. Un écrin qui a un coût puisque sa construction aurait été facturée à près d'un milliard de dollars par le groupe public China state construction engineering corporation (CSCEC), selon l'hebdomadaire Jeune Afrique.
Division politique
Plus de 2.000 chefs d'entreprise et consultants en affaires étaient annoncés à Alger. Dans un pays où la rente du pétrole a bloqué toute modernisation de l'économie pendant des décennies –avant que l'effondrement récent des prix du baril ne change le cours des choses–, ce forum était annoncé par le gouvernement comme un signe fort de la nouvelle dynamique du pays sur le chemin de la libéralisation.
Pour quel résultat concret?
«Il y a des deals qui ont été signés, mais c'étaient des accords déjà prévus de longue date, note Kaci Ait Yala, le représentant à l'international des chefs d'entreprises algériens. Il faut des résultats maintenant. Aujourd'hui, on travaille sur une transition vers une économie de marché».
Un grand patron algérien qui a refusé l'invitation des organisateurs, est moins amène envers ce genre d'évènement. «Ce sommet était de l'esbroufe. Le gouvernement algérien communique mais n'entreprend aucune vraie réforme pour encourager l'investissement. C'est de la communication, il n'y a rien eu de concret de fait».
S'il a sans doute permis de créer du lien entre la classe politique algérienne et les entrepreneurs locaux qui demandent moins de bureaucratie et plus de libertés, le Forum d'Alger a aussi mis en évidence les tensions au sommet de l'Etat concernant la politique économique à tenir. Pour le dire plus simplement, l'opération de communication a buté sur les rivalités politiques.
«L'image du pays était en jeu, sa stratégie aussi. S'il en avait une. Et voilà qu'un incident gâche tout. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal, et son staff, ont quitté le centre international des conférences au moment où le président du Forum des chefs d'entreprise, Ali Haddad, allait prononcer son discours. La scène s'est déroulée sous le regard des participants et invités étrangers. L'évènement, qui devait donner une meilleure image d'une Algérie entreprenante, se transforme en flop», analysait le journal El Watan dans son édition du 5 décembre.
La mission de l'homme occidental
Au Forum Forbes 2015 à Brazzaville qui traitait du développement numérique de l'Afrique, le manque de volonté des gouvernements pour mettre la poche et soutenir les projets innovants créés dans leurs pays avait été pointé du doigt par de nombreux participants. Un an après, pas sûr que les choses aient vraiment changé à Brazzaville où le président Sassou-Nguesso avait exigé, lors de son discours de clôture, l'aide financière des occidentaux pour électrifier son pays.
Les invités occidentaux justement, sont l'une des curiosités de ces sommets «inter-africains». Au centre de conférence du Club-des-Pins d'Alger, l'ancien ministre français de l'Environnement Jean-Louis Borloo était là pour prêcher la bonne parole et celui de sa fondation Energies pour l'Afrique. On lui a posé la question de l'utilité de ce genre de forum et du bien-fondé de sa présence à cet évènement:
«Vous avez besoin de trucs comme ça, vous avez besoin de mobiliser tout le monde pour avancer. Il y a ici un grand nombre d'Africains, des ministres, des chefs d'entreprise, on a besoin de ça. Moi je ne suis pas là pour prêcher la parole de l'homme occidental, je suis simplement invité pour discuter des moyens d'électrifier le continent, de mettre en place les bonnes politiques», dit-il.
Dans un article intitulé «Coupure de courant entre Borloo et les Africains, Le Monde rapportait les propos de diplomates qui critiquaient la «mission évangélisatrice» de l'ancien ministre français qui milite pour la création d'une agence pour l'électrification en Afrique.
«Nous pensons (...) que, pour la première fois, des institutions africaines travaillent ensemble et que nous n’avons pas besoin de créer un nouveau “machin” pour faire progresser l’accès à l’électricité», témoignait au journal français un membre de l’Initiative africaine, un comité panafricain créé pour développer les énergies renouvelables sur le continent. «En fin de compte, il continue à nous traiter comme des nègres qui ne peuvent pas faire les choses par eux-mêmes», disait de manière plus violente un autre.
En mettre plein la vue
En définitive, s'ils s'inscrivent dans une politique cohérente et construite, les forums pro-business ou sur le développement numérique peuvent être efficaces, comme une rouage dans une machine bien huilée. Mais de trop nombreux Etats mettent sur pied des sommets aux noms ronflants et au décor grandiose, uniquement pour en mettre plein la vue à leurs concitoyens ou aux donateurs internationaux. «Si Alger a organisé son propre forum, c'est pour concurrencer le Maroc qui avait déjà le sien», souffle un patron de presse algérien.