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Une plantation de teff dans la réfgion d'Oromia en février 2014. SOLAN GEMECHU / AFP
Une plantation de teff dans la réfgion d'Oromia en février 2014. SOLAN GEMECHU / AFP

Avec le succès du teff, l'Ethiopie craint d'être victime de «la fièvre du quinoa»

Le teff, graine très riche en fer, en minéraux et gluten-free, est de plus en plus présent dans l'assiette des consommateurs occidentaux.

C'est ce que les anglophones nomment superfood. Un aliment plein de nutriments et qui est très bénéfique pour la santé et le bien-être de ses consommateurs. Le teff, une graine cultivée depuis environ 3.000 ans en Ethiopie, remplit tous ces critères. Elle est riche en fer, en minéraux, gluten-free et est très conseillée dans le régime des sportifs, notamment dans les disciplines d'endurance. Les grands marathoniens éthiopiens, comme Haile Gebrselassie, ont depuis longtemps fait du teff un aliment de base de leur régime. Comme la population du pays. 

Dans un article consacré à cette graine magique, le New York Times rappelait que le teff correspond à 15% des calories ingérés quotidiennement par les Ethiopiens. Aliment de base, le teff fournit également du travail à 6,5 millions de cultivateurs locaux. Le pays fournit en effet 90% de la production mondiale. À l'étranger, la demande pour cette denrée rare est de plus en plus forte. Sur la seule année 2014, les ventes de teff ont explosé de 58% aux Etats-Unis, selon un rapport du Packaged Facts.

«L'intérêt grandissant pour le teff fait partie du désir toujours plus fort des consommateurs pour ce que l'on appelle les anciennes graines comme le farro, le quinoa, l'épeautre, le millet et l'amarante. Les consommateurs soucieux de leur santé se tournent vers ces graines car elles sont riches en nutriments et n'ont pas été génétiquement modifiées», analyse le New York Times. 

«Nous ne laisserons pas cela se faire»

En apparence, cet intérêt soudain pour le teff devrait donc être une excellente nouvelle. Une croissance de la demande signifie plus de ventes et lance un cercle vertueux, dont les producteurs éthiopiens de teff devraient être les premiers bénéficiaires. Mais les choses ne sont en réalité pas si simples. 

Le gouvernement éthiopien craint de subir à son tour les effets d'une «fièvre du quinoa». Entre 2009 et 2013, le prix de cette graine des Andes a été multiplié par dix en raison de l'explosion de la demande mondiale et de son nouveau statut de superfood dans les milieux aisés en Europe ou en Amérique du Nord. Conséquence, les habitants de Bolivie et du Pérou, pour qui le quinoa était un aliment de base, n'ont plus eu les moyens de consommer cette graine mangée à toutes les sauces à Paris ou New York. Comme le teff, le quinoa exige en effet des conditions climatiques très spéciales et n'a pas pu être cultivé ailleurs malgré de multiples tentatives. La rareté de l'offre augmente donc mécaniquement les prix. 

En Ethiopie, pays de 94 millions de personnes, un habitant sur dix a eu besoin d'une aide alimentaire en 2016, selon les chiffres gouvernementaux. Une hausse du prix du teff pourrait donc avoir des conséquences désastreuses. Une problématique dont sont conscientes les autorités. 

«Ce qui s'est passé avec le quinoa ne se reproduira pas avec le teff. Nous ne laisserons pas cela se faire», a confié dans une interview accordée au média britannique The Guardian, le directeur de l'Agence de transformation de l'Agriculture éthiopienne, Khalid Bomba. 

Une Ethiopienne cuisine un injera, un pancake à base de teff, dans la villle de Bishoftu, en Ethiopie. SOLAN GEMECHU / AFP

Une exportation contrôlée

Pour éviter le scénario noir des Andes, le régime éthiopien a donc interdit à partir de 2006, toute exportation de teff. En parallèle, un programme de modernisation de l'agriculture locale a été mis en place dans le pays. Une politique qui porte ses fruits: en cinq ans, la production de teff a augmenté de 50% et le prix de la denrée n'a pas connu de forte hausse sur les bords de la mer Rouge. 

Mais l'Ethiopie ne doit pas rater le train en marche. 

Le teff qui est vendu aux Etats-Unis ou en Europe aujourd'hui est cultivé aux Pays-Bas, en Australie ou dans le sud de l'Espagne. Un business qui devrait profiter à Addis-Abeba, mais qui pourrait lui échapper dans un avenir proche. C'est dans cette optique que 48 producteurs de teff éthiopiens ont pour la première fois été autorisés à exporter leur production – qui correspond au surplus local – de teff l'année dernière, explique The Guardian. 

Une première qui est scrutée de près par les revendeurs étrangers. «Les Ethiopiens devraient être ceux qui bénéficient de leur culture de base, c'est leur droit, leur histoire», admet Sophie Sirak Kebede, co-fondatrice de Tobia Teff, une entreprise londonienne, dans les colonnes du journal britannique. 

Sinon, ll est conseillé de mélanger quinoa et teff dans son assiette pour une salade très «healthy». 

Camille Belsoeur

Journaliste à Slate Afrique. 

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