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Derrière les selfies, la stratégie de communication rodée de Mohammed VI
Alors que les élections législatives marocaines ont lieu le 7 octobre, le roi reste au centre de l'appareil politique du royaume.
Dix-sept ans que Mohammed VI règne sur le royaume du Maroc. Lors de son intronisation à l'été 1999, quelques jours après la mort de son père Hassan II, «M6» est un roi jeune, âgé de 35 ans. Il est encore officiellement célibataire. Un peu plus de deux ans plus tard, il épouse Salma Bennani, une Marocaine issue de la classe moyenne de Fès. Dans les premières années de son arrivée au pouvoir, Mohammed VI annonce également que la lutte contre la pauvreté sera «le chantier de son règne».
Près de deux décennies plus tard, le tableau n'est pas aussi brillant qu'espéré. Pourtant, «les problèmes sociétaux ont commencé à être traités par le roi actuel dès 2004, avec le lancement d'un programme pour améliorer l'indicateur de développement humain (IDH) du pays», note Jean-Noël Ferrié, directeur du programme Sciences-Po à l'université internationale de Rabat. Mais aujourd'hui, l'IDH du Maroc est toujours à la traîne, avec un 126e rang mondial loin derrière les voisins tunisiens et algériens. Et le taux de chômage avoisine la barre des 20% chez les jeunes.
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Le «roi des pauvres», comme le surnommait son entourage lors de ses premières années à la tête du Maroc, n'a donc pas entièrement réussi son pari de sortir le pays de la pauvreté – même si des progrès importants ont été faits, notamment en matière d'éducation. Mais Mohammed VI reste toujours un roi populaire.
Un roi cool
C'est sur les réseaux sociaux que «M6» s'affiche désormais comme un homme du peuple. Sur Facebook, Instagram ou Twitter, le fils d'Hassan II apparaît sur d'innombrables selfies aux côtés de citoyens marocains, à Rabat, Casablanca, Fès, dans la campagne de l'arrière-pays ou même en voyage à l'étranger. De nombreuses pages de fans, comme le_roi_mohamed6, qui compte 578.000 followers sur Instagram, recensent ces images d'un roi cool et proche des siens.
«Rarement chef d’État aura été autant "partagé" sur les réseaux sociaux que Mohammed VI, dont la propension à poser de bonne grâce devant les objectifs improvisés de ses compatriotes croisés par hasard aux quatre coins du royaume – et du monde – semble sans limites. Nul esthétisme à la Harcourt ou à la Maradji dans ces clichés impromptus. C’est mal cadré, mal éclairé, mais personnel, authentique, sociable, et avant tout heureux», analyse l'éditorialiste François Soudan dans un court texte sur le sujet dans Jeune Afrique.
«Ce n'est pas un grand tribun»
Mais si ces selfies à la chaîne semblent être le résultat du comportement d'un roi qui pose au naturel avec des compatriotes rencontrés lors de ses déplacements, ces photos illustrent la stratégie de communication d'un fils qui n'a jamais eu le charisme de son père.
«Mohammed VI a les qualités inverses à celles de son père, dit Souleïman Bencheikh, auteur de l'essai Le Dilemne du roi où la monarchie marocaine à l'épreuve. Ce n'est pas un grand tribun qui sera à l'aise sur les plateaux télé ou avec la communication officielle. Mais le roi a besoin de communiquer. Cela a été pensé dès le début avec "le roi des pauvres". Aujourd'hui, les selfies s'inscrivent dans cette suite logique».
Ainsi, les pages qui diffusent les photos de la famille royale n'ont en apparence rien d'officiel. Le créateur de la page le_roi_mohamed6, un certain Soufiane el-Bahri, compte lui-même 1,3 millions d'abonnés. Les Marocains sont fous des clichés du roi qu'il dévoile régulièrement. «Ce qui intrigue encore plus chez ce personnage, c’est qu’il n’a jamais été poursuivi par les autorités marocaines pour publication de photos non officielles. En 2008, un jeune internaute, Fouad Mourtada, avait été condamné à trois ans de prison pour avoir publié un profil non officiel du frère du roi, Moulay Rachid, sur Facebook», remarque Jeune Afrique.
Mais le jeune homme avait finalement reconnu, dans une interview à CNN en arabe repérée par l'AFP, qu'il travaillait «en coordination» avec le cabinet de Mohammed VI. Pratique pour récupérer des photos que même les paparazzis n'arrivent pas à se procurer.
«Une image positive du Maroc»
«M6» ne donne jamais d'interview dans la presse marocaine ou internationale et ses discours officiels se font rare. Mais le souverain est habile pour donner du sens aux gestes, comme l'acteur d'un film muet. En décembre 2015, l'image de sa femme sans voile lors d'une visite au Qatar avait ravi une société marocaine où la pratique d'un Islam modéré est majoritaire.
#allezlala #ohlala RT @AlexDeCorato: La princesse Lala Salma épouse de Mohamed VI refuse de porter le voile au Qatar pic.twitter.com/TIqGjJJWvg
— Solveig Godeluck (@Solwii) December 13, 2015
«Cette campagne de selfies donne une image positive du roi du Maroc. C'est un souverain qui ne parle quasiment jamais en public. Les selfies sont une forme de communication non-verbale qui séduit les Marocains», estime Jean-Noël Ferrié, directeur de Sciences-Po à Rabat.
Les mains sur le volant
Sur les réseaux sociaux, les citoyens marocains pris en photo racontent la bonté et la simplicité du roi. Des témoignages qui raviraient tout directeur de communication d'un chef d'Etat.
«Nous faisions des courses en famille sur les Champs-Elysées quand j'ai vu le roi dans un 4X4. J'ai crié avec émotion "Sidna" (majesté). Il a eu la gentillesse de s'arrêter, de venir nous saluer et de prendre ma petite fille Serene dans ses bras pour une photo», raconte par exemple un certain Momo.
De nombreuses photos montrent également un roi en perpétuel déplacement à l'intérieur de son pays. Une image qui colle parfaitement à la réalité. «M6» est un monarque qui a la bougeotte et aime se rendre sur le terrain. Sur les selfies qui abreuvent les réseaux sociaux, on le voit ainsi très souvent au volant de son propre véhicule et entouré de Marocains qui se photographient avec lui.
«C'est vrai que le roi bouge beaucoup à l'intérieur du royaume. Il rencontre son peuple et en profite pour faire des inspections sur le terrain de différents projets dans lesquels il est impliqué. Il fait parfois des visites surprises et quand quelque chose ne va pas, cela arrive qu'il y ait ensuite un licenciement», note Souleïman Bencheikh.
Derrière son volant, Mohammed VI est donc moins «bonhomme» qu'il ne laisse le croire. Mais les Marocains aiment leur roi malgré ses imperfections. «Ce n'est pas un hasard si l'on voit souvent écrit "meilleur roi du monde" derrière les taxis marocains», rigole Souleïman Bencheikh.