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L'impuissance africaine en Côte d'Ivoire
Alors que l'urgence d'un règlement crève les yeux, l'Union africaine a accordé un mois supplémentaire au panel des chefs d'Etat africains chargé de résoudre la crise ivoirienne à la date du 28 février.
Que peut vraiment l'Afrique pour la Côte d'Ivoire? Alors que l'urgence d'un règlement crève les yeux, l'Union africaine (UA) a accordé un mois supplémentaire au panel des chefs d'Etat africains chargé de résoudre la crise ivoirienne à la date du 28 février. Un mois de plus, c'est long, alors que la guerre civile a déjà commencé et que le bilan des morts depuis la mi-décembre est passé, en une semaine, de 300 à 365.
Un climat de guerre civile
Dire que la tension est à son comble à Abidjan relève désormais de l'euphémisme. Les camps Gbagbo et Ouattara rivalisent de mobilisation en appelant les femmes à manifester. Des femmes du camp Gbagbo seraient mortes mercredi à la suite d’affrontements, et au moins six femmes du camp Ouattara auraient été tuées jeudi matin par des mitrailleuses lourdes des Forces de sécurité (FDS).
Abobo, ce vaste quartier populaire d'un million de personnes, a été déserté par au moins 200.000 de ses habitants ces derniers jours. A Yopougon, un quartier pro-Gbagbo, les routes sont hérissées de barrages et les gens portant des noms du Nord sont harcelés, et parfois brûlés vifs.
A Treichville, les immigrés ouest-africains se terrent: Charles Blé Goudé, ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo et chef des Jeunes patriotes, a appelé le 25 février à la chasse aux étrangers. Les boutiques tenues par des Maliens, des Sénégalais, des Burkinabè ou des Nigérians sont pillées depuis dans les quartiers du Plateau (centre-ville) et à Treichville.
L'Angola et le Zimbabwe complices de Gbagbo
Le panel se réunit aujourd'hui à Nouakchott en présence du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, conspué par les partisans de Gbagbo et empêché, pour des raisons de sécurité, de se rendre en Côte d'Ivoire. Prochaine étape: Abidjan dans l'après-midi, pour les présidents Jacob Zuma (Afrique du Sud), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie), Idriss Déby (Tchad) et Blaise Compaoré (Burkina), en l'absence du Tanzanien Jakaya Kikwete.
La situation est d'autant plus complexe pour l'UA que l'Angola de José Eduardo dos Santos aurait accordé, selon un conseiller de Laurent Gbagbo cité par Libération, un prêt de 200 millions de dollars (143 millions d’euros) à Laurent Gbagbo pour payer les salaires des fonctionnaires en février. Le Zimbabwe de Robert Mugabe est aussi accusé depuis jeudi par les Nations unies d'avoir livré des armes à Laurent Gbagbo, en violation de l'embargo décrété en 2004 contre la Côte d'Ivoire.
La faillite de l'Union africaine, évidente, se passe de commentaires. Comment un club de dictateurs qui fermait les yeux sur tous les caprices de Mouammar Kadhafi pourrait-il trouver une solution sensée et légitime au casse-tête ivoirien? Alors que chacun, en Afrique, défend surtout ses intérêts, les chancelleries occidentales semblent se concentrer sur la diabolisation de Laurent Gbagbo.
En Occident, opération diabolisation et asphyxie
Le département d'Etat américain a choisi de critiquer «la faillite morale» de Laurent Gbagbo, après la mort des femmes qui manifestaient à Abobo. La faillite morale est aussi celle de Jacob Zuma, chef de la plus grande puissance africaine, et qui ne parvient pas à imposer la moindre solution à ses pairs.
A en croire Washington, la stratégie d'asphyxie économique adoptée à l'encontre du régime Gbagbo commence à porter ses fruits: le carburant manque, de même que les médicaments. Les deux filiales de banques françaises «nationalisées» par Laurent Gbagbo ont rouvert leurs portes mercredi, sans qu'on sache si les comptes des clients de la Bicici et de la SGBCI ont été «reconstitués» comme l'affirment les autorités ivoiriennes —alors que les opérations financières sont gérées depuis les sièges français de BNP Paribas et de la Société Générale. Un employé de la poste a déclaré avoir touché son salaire de février.
Même l'Onuci s'y perd
Quant aux errements de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), elles suscitent quelques interrogations qui restent sans réponse. Après avoir dénoncé lundi la livraison d'hélicoptères de combat biélorusses, poussant le secrétaire général des Nations unies à demander une réunion d'urgence sur la Côte d'Ivoire, l'Onuci a reconnu mercredi que l'accusation était erronée. Et les Nations unies ont dû présenter leurs excuses à la Biélorussie, qui avait rejeté les accusations.
Résultat, le camp Gbagbo crie au complot, plus que jamais, et se place de manière toujours aussi légitime, aux yeux de ses partisans, sur la défensive. Certains observateurs de la crise, peu écoutés, estiment qu'il faudrait reprendre les négociations à zéro pour éviter la guerre, et proposer à Laurent Gbagbo une porte de sortie honorable —l'absence de poursuites par la Cour pénale internationale, notamment.
L'ampleur des exactions perpétrées par les FDS, sur fond de réarmement du camp adverse, laisse penser qu'il est déjà trop tard.
Anne Khady Sé