mis à jour le

La Libye n'est finalement pas devenue le nouveau fief de Daech
Il y a encore quelques mois, l'Occident s'inquiétait de voir en Syrte la nouvelle capitale du groupe terroriste. La ville est aujourd'hui en passe d'être reprise par les troupes gouvernementales.
La Libye. Elle est apparue en 2015 comme la nouvelle ligne de front de Daech dans la guerre que le groupe terroriste mène au monde entier. À des milliers de kilomètres des côtes d'Afrique du Nord, à l'automne 2015, le groupe terroriste commençait à enregistrer ses premiers revers sérieux notamment en Irak avec les pertes des villes de Sinjar et Ramadi. Depuis le territoire irako-syrien contrôlé par les djihadistes a fondu, passant d'environ 250.000 km2 à 170.000 km2, indique Le Monde à l'aide d'une cartographie interactive.
Dans l'ex-pays de Mouammar Kadhafi, Daech a également enregistré des revers à répétition. Mais de manière beaucoup plus rapide. Alors que la guerre à plusieurs bandes entre milices rivales et l'Etat islamique semblait encore incertaine début 2016, l'embryon d'un gouvernement libyen unifié a permis de rassembler autour de la personne de Faïez Sarraj les brigades et milices de Tripolitaine (province de l'ouest), pour reprendre les quelque 200km de zones côtières contrôlées par les combattants de Daech autour de la ville de Syrte. Le 10 août 2015, les forces pro-gouvernementales libyennes, qui ont reçu le soutien de troupes américaines au sol, ont annoncé la prise du centre de commandement du groupe djihadiste dans son fief libyen.
Si la victoire n'est pas encore totale, Daech semble ne plus être en mesure de contrôler à l'avenir – au moins à moyen terme – de larges territoires dans le pays.
L'Europe a connu le grand frisson
Quand il était devenu clair que l'Etat islamique renforçait ses positions et se construisait un nouvel «Etat» en Libye, quelques mois plus tôt, le continent européen avait pris peur, visualisant une menace directe sur l'autre rive de la Méditerranée.
«Si ce monde explose ou se décompose, les conséquences rejailliront sur tout le continent européen, sans compter l’envoi de terroristes déguisés en migrants qui affluent pour constituer la cinquième colonne. Daech a compris que celui qui contrôle les côtes libyennes contrôlera en fait le flux migratoire vers l’Occident», écrivait Jacques Benillouche sur Slate en novembre 2015.
En fait, l'apparition du groupe terroriste en Libye ressemblait à une Hydre: plus on coupait de têtes de la créature maléfique en Syrie et en Irak, et plus de nouvelles repoussaient à Syrte, Derna ou Benghazi.
Le New York Times indiquait également en novembre 2015 que les djihadistes se préparaient à perdre Raqqa, ce qui avait poussé les têtes pensantes de l'organisation a repensé leur stratégie notamment en dépêchant une partie de son état-major en Libye; comme l'un des chefs irakiens de l'EI, Abou Ali al-Anbari, qui était soupçonné de s'être rendu en bateau à Syrte. Finalement, dix mois plus tard, Raqqa est toujours la capitale de Daech, qui a à l'inverse perdu ses positions dans la ville libyenne.
En février 2016, des haut-gradés du renseignement américain affirmaient que le nombre de combattants de l'Etat islamique avait grimpé à 6.500 personnes, alors que dans la zone irako-syrienne les effectifs de l'organisation avait chuté d'un peu plus de 31.000 djihadistes à environ 25.000, notamment en raison des bombardements.
«L’État islamique conforte son implantation dans le pays en y envoyant toutes ses nouvelles recrues étrangères venant de Syrie et d’Irak. La Libye devient la plaque tournante du djihadisme mondial (...) Il dispose d’une forte capacité de nuisance auprès du monde musulman, tout en étant à quelques centaines de kilomètres de l’Europe», écrivait l'AFP à la même époque.
Pas de soutien des populations
Mais la grande faiblesse de l'Etat islamique en Libye est de n'avoir, contrairement en Irak où il a joué sur la division entre sunnites et chiites, pas bénéficié d'un soutien d'une partie de la population.
«La majorité des Libyens n'accepte pas la présence de l'EI (...) Une armée régulière libyenne est capable de vaincre Daech directement au sol», confiait le général Idris Madi, l'un de haut-responsables de l'armée de Tobrouk au média américain The Daily Beast en février.
Le groupe «fait face à une forte résistance de la population ainsi qu'à des difficultés à bâtir et entretenir des alliances locales, affirmaient quant à eux des experts de l'ONU à l'AFP. L'EI semble freiné dans sa capacité à s'étendre rapidement à partir de sa place forte actuelle (...) L'EI est certes capable de commettre des attaques terroristes partout en Libye mais son nombre limité de combattants ne lui permet pas une rapide expansion territoriale».
Et ce qui a finalement balayé Daech à Syrte, ce sont les négociations entre la communauté internationale et les milices locales, qui a débouché sur la création du GNA (Gouvernement d'accord national).
«Il y a deux scénarios qui se dessinent en Libye, nous disait en février dernier Kader Abderrahim, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Si un gouvernement d'union nationale est mis en place d'ici cet été, on peut supposer que Daech va perdre du terrain sur le plan militaire. Mais si aucun accord n'est trouvé d'ici le mois de juin, l'EI va continuer à se développer en Libye et il sera de plus en plus difficile de l'en expulser.»
Si la guerre contre Daech n'est pas terminée et que les brigades de Cyrénaïque (province de l'est) n'approuvent pas la nomination de Faïez Sarraj à la tête du GNA, c'est pour le moment la première option qui l'a emporté.