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Lady in Blue, by emilio labrador via Flickr CC
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Le serpent de mer du code de la famille

Le nouveau code favorisant l'égalité des sexes au Mali n'a pas vu le jour. Sous la pression religieuse, le président a fait machine arrière et un nouveau texte sera présenté aux députés en avril.

La révision du code des personnes et de la famille en vigueur depuis des décennies déchire le Mali, pays musulman à plus de 90%. Y toucher fâche une partie de la population pour laquelle l’égalité hommes-femmes n’a pas de raison d’être.

Entre les religieux musulmans défenseurs des traditions et la société civile qui plaide pour un code laïque et moderne promoteur de l’émancipation des femmes, la voie est étroite pour le président du Mali, Amadou Toumani Touré (ATT). Du coup, la révision du code de la famille est dans une impasse.

Sous la pression d’associations féminines et d’ONG œuvrant pour la cause des femmes, un texte de 1.055 articles —dont une dizaine considérés comme particulièrement litigieux— prévoyait, entre autres, de relever l’âge légal du mariage à 18 ans, d’accorder des droits de succession élargis aux femmes, de légaliser le partage à part égale de l’autorité parentale, de ne reconnaître que le mariage civil, de légitimer les naissances hors mariage. A cela s’ajoutait une pièce maîtresse, «le respect mutuel des époux» qui devait remplacer «le devoir d’obéissance de l’épouse envers son mari».

Controverse religieuse

Le code ainsi modernisé a été présenté au Parlement le 3 août 2009 et adopté en première lecture par une large majorité de députés après trois jours de débats publics. Il n’attendait plus que sa promulgation par le Président. C’était compter sans la vigilance du Haut conseil islamique (HCI) —créé en 2002 et devenu en quelques années une voix prépondérante au Mali— qui s’est insurgé contre le texte.

Le HCI a en effet estimé qu’étant d’inspiration occidentale («il fait la part belle aux femmes») le nouveau code de la famille n’était pas adapté aux valeurs maliennes. Mahmoud Dicko, chef du HCI depuis 2007, a également reproché au gouvernement de ne pas avoir pris la peine de consulter les autorités religieuses et a menacé d’excommunication tous les députés ayant voté sa réforme.

A l’appel du Haut Conseil, une grande manifestation d’opposants au nouveau code avait rassemblé dans un stade de Bamako, le 22 août 2009, plus de 50.000 personnes convaincues qu’il était contraire à l’islam. Poussé dans ses retranchements, le président ATT a vite fait machine arrière «au nom de la paix, de la quiétude sociale et de l’unité nationale», a-t-il précisé dans un discours retransmis à la radio et à la télévision.

Vers un nouveau code consensuel?

Après consultation des autorités musulmanes, une nouvelle mouture du texte, «plus consensuelle», aurait dû être débattue au cours de la session parlementaire qui s’est ouverte le 4 octobre 2010. De nombreuses dispositions ont été revues à la baisse ou supprimées, le mariage religieux a été réintroduit et les droits de succession pour les femmes largement abrogés.

Le sujet est si sensible que tous les observateurs de la vie politique malienne se sont accordés à dire que le débat pourrait durer encore plusieurs mois. Reporté une nouvelle fois en octobre dernier, le texte sera de nouveau examiné par les députés lors de la session parlementaire d’avril 2011.

En attendant, la controverse continue de faire rage. Des membres de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) s’inquiètent de la confiscation du dossier par les islamistes qui eux-mêmes se déchirent sur le sujet. El-Hadj Sékou Ahmadou Diallo, l’imam de Kati, dans la banlieue de Bamako, a en effet reçu des menaces de mort pour avoir défendu le texte proposé aux députés en août 2009. Il a dû quitter sa ville et se terre depuis dans un lieu inconnu.

ATT, qui s’est engagé à quitter la présidence à la fin de son deuxième mandat en 2012, aimerait partir en ayant bouclé la révision de ce code tant controversé. En prévision du scrutin toutefois, quelques candidats potentiels à sa succession l’ont déjà intégré à leur programme. Néanmoins la balle est encore dans le camp du président et, pour le moment, nul ne sait de quel côté le nouveau texte va pencher.

Awa Ba

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