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L'Afrique et ses sous
L'Union Africaine prétend mener une action ambitieuse sur le continent. Mais comment peut-elle y parvenir sans indépendance financière?
Du 2 au 4 novembre dernier, j’ai participé à Addis-Abeba, au siège de l’Union Africaine, avec 44 autres responsables de médias africains, à un atelier sur l’architecture de sécurité et de paix de l’organisation panafricaine. Il s’agissait pour nous de comprendre tous les mécanismes mis en place par l’UA pour préserver la paix et la sécurité sur notre continent et, in fine, de mettre sur pied un réseau de journalistes venant de tout le continent qui aideront l’Union Africaine à mieux faire connaître ses actions. Il est prévu la création d’un prix de l’Union Africaine qui récompensera les journalistes qui se seront distingués par des travaux portant sur la paix.
Dubitatif sur l’efficacité des actions menées par l’Union Africaine
Le moins que l’on puisse dire est que l’ensemble des responsables de média était dubitatif sur l’efficacité des actions menées par l’Union Africaine pour préserver la paix, vu le nombre incalculable de conflits qui rongent notre continent. Mais il nous faut reconnaître que l’Union fait ce qu’elle peut. Elle a un Conseil de paix et de sécurité, un panel de sages, des forces sur le terrain en Somalie et au Soudan, des forces en attente, des systèmes d’alerte, et elle a mené plusieurs médiations dans nos crises. Notamment les crises ivoirienne et libyenne. On se souvient tous du médiateur de l’UA, du panel de chefs d’État des cinq régions de notre continent qui ont fait la navette chez nous avec leurs experts lors de notre crise. En Libye aussi, l’UA avait joué les médiateurs et proposé une feuille de route aux différents protagonistes.
Forces extérieures au continent
Mais en Côte d’Ivoire, comme en Libye, il fallut des forces extérieures au continent pour régler la crise, par les armes. Dans le cas de notre pays, c’est à la suite d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU que la France a utilisé la force pour détruire les armes lourdes de Laurent Gbagbo, permettant ainsi son arrestation. Le Conseil de sécurité n’a pris sa résolution qu’après l’avis de l’Union Africaine qui avait reconnu la victoire d’Alassane Ouattara. Dans le cas de la Libye, c’était plus compliqué. Que pouvait faire l’Union Africaine lorsque les Américains et les Européens ont décidé de régler la crise à leur manière? Mais surtout, que peut faire l’Union Africaine lorsque l’argent nécessaire à son fonctionnement est si fortement dépendant de pays extérieurs au continent? Son budget de fonctionnement est financé à plus de 50% par des partenaires extérieurs, dont principalement l’Union Européenne; et la contribution des Etats africains dans le budget des forces de maintien de la paix au Soudan et en Somalie est de… 2%. Les 98% restants proviennent de pays non africains.
Là où les bailleurs de fonds de fonds voudront bien qu’elle aille
Dans de telles conditions, l’Union Africaine ne pourra intervenir que là où les bailleurs de fonds de fonds voudront bien qu’elle aille, là où eux-mêmes n’ont pas envie d’aller, parce que trop dangereux, par exemple. N’oublions pas que les Américains se sont déjà cassé le nez en Somalie avec leur opération «Restore hope». Je gage qu’ils ont trouvé plus simple de payer pour que les Africains aillent tous seuls au casse-pipe pour protéger leurs bateaux qui passent au large de la Somalie.
Entièrement financé par la Chine
Tant que les Africains ne voudront pas mettre la main au porte-feuille, ils seront réduits à ne faire que ce que les autres voudront qu’ils fassent. À la fin de notre atelier, qui, signalons-le, a été financé par le Canada, nous avons visité le nouveau siège de l’Union en construction. Il nous a été rapporté qu’il coûtera 150 millions de dollars, soit environ 75 milliards de francs Cfa. Il est entièrement financé par la Chine et une armée de travailleurs chinois venus de l’Empire du milieu travaillent à sa construction. Merci la Chine. Au cours d’une discussion avec l’un des directeurs de l’Union Africaine, j’ai posé la question de savoir ce que l’Organisation dirait si un jour il arrivait que la Chine commette des choses graves sur notre continent, genre violation grave des droits de l’homme ou pillage à grande échelle de nos ressources.
Un ange aux yeux bridés est passé en se bouchant les oreilles. Je n’ai pas reçu de réponse à ma question. Que représentent 75 milliards de francs pour 54 pays africains? Sortez vos calculettes. La mienne m’indique que cela représente 1,38888889 milliard de francs. C’est en moyenne ce que chaque refondateur ivoirien, ministre ou directeur général qui se respectait a volé chaque année pendant dix ans. Et c’est ce que nos pays ne peuvent pas débourser pour offrir un siège à leur organisation commune. C’est facile de voler ses propres sous et d’aller mendier après pour ce qui est important. Que peut-on attendre de l’Union Africaine lorsqu’elle n’a pas les moyens de financer un atelier réunissant 45 journalistes, un immeuble pour son siège et ses opérations de maintien de la paix?
Venance Konan
Cet article a été publié dans Fraternité Matin
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