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En Tunisie, les suicides «politiques» sont de plus en plus stigmatisés
Des dizaines de jeunes se sont immolés en 2015, mais ils ne récoltent plus la compassion.
En Tunisie, Mohamed Bouazizi est un héros au destin tragique. Le vendeur ambulant de fruits et légumes, symbole d'une jeunesse désabusée, s'était immolé par le feu en décembre 2010 – avant de décéder de ses blessures – pour dénoncer la politique de l'Etat tunisien et dont l'acte a été le point de départ de la révolution tunisienne.
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Un peu plus de cinq ans après, le pays a changé de visage. Ben Ali a été chassé du pouvoir, un régime démocratique a émergé malgré les troubles sécuritaires et sociaux qui continuent de secouer le pays. Mais une large partie de la jeunesse – et plus généralement de la population – est toujours confrontée au chômage et à la misère.
Et pour manifester leur désespoir, certains reproduisent le geste tragique de Mohamed Bouazizi. Selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, 105 personnes se sont immolées en 2015, dont 56 sont âgés de 16 à 35 ans.
Mais la société tunisienne ne voit plus forcément en eux des «héros», affirme le site tunisien Nawaat.
«Si tu es un homme, fais comme Bouazizi»
«Les jeunes doivent arrêter de faire ce chantage suicidaire! Celui qui veut mettre fin à sa vie, qu’il le fasse chez lui et pas sur la place publique!» a osé une journaliste sur le plateau d’un talk show, rapporte Nawaat. «Si tu es un homme, fais comme Bouazizi et montre nous ton courage!», avait lancé de manière tout aussi cruelle un policier à un vendeur ambulant en 2014.
Le docteur Messadi du service des grands brûlés de l'hôpital de Ben Arous explique également à Nawaat que «cette illusion de devenir héros, de trouver un travail et de sauver sa famille de la misère. Il faut leur dire que rien de tout ça n’est vrai. La personne qui le fait, se trouve après, dans une situation encore plus dramatique.»
Malgré la stigmatisation, le nombre de suicides politiques est en forte hausse en Tunisie. Et le pays ne sait pas quelle place donnée à ces victimes.