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Des parlementaires algériens votent la réforme constitutionnelle, le 7 février 2016. Crédit photo: FAROUK BATICHE / AFP
Des parlementaires algériens votent la réforme constitutionnelle, le 7 février 2016. Crédit photo: FAROUK BATICHE / AFP

En France comme en Algérie, des révisions constitutionnelles sapent les droits des binationaux

Mais ce ne sont pas les mêmes motifs qui sont invoqués de part et d'autre de la Méditerranée.

C'est une grande famille aux deux passeports. Les Franco-algériens qui cumulent les deux nationalités sont plusieurs centaines de milliers à vivre sur l'une ou l'autre des rives de la Méditerranée. Ils lient deux pays que l'histoire a plusieurs fois rapprochés et éloignés. Mais aujourd'hui, à Paris comme à Alger, ils sont discriminés par des réformes constitutionnelles qui, contre la logique habituelle, suppriment des droits plutôt que d'en ajouter de nouveaux.

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Le parlement algérien a adopté dimanche 7 février une réforme de la Constitution qui se faisait attendre depuis plusieurs années. Si, elle prévoit de limiter le nombre de mandats présidentiels à deux, elle interdit aussi l'accès à de hauts postes dans la fonction publique, dont la présidence, à des binationaux. 

«Des citoyens de seconde zone»

Une mesure qui suscite la colère dans la communauté franco-algérienne. Pour Chafia Mentalecheta, une Franco-algérienne qui siège comme député à l'Assemblée populaire nationale algérienne et représente les Algériens de l'étranger dans la zone «France Nord», l'article 51 de la nouvelle constitution «va créer des citoyens de seconde zone», comme elle l'affirme au journal Le Temps. «Cette nouvelle version de la constitution sonne comme un nouveau code de l'indigénat pour la partie de la population algérienne établie à l'étranger», ajoute t-elle. 

Dans le même temps, les députés français ont voté en faveur d'un projet de révision constitutionnelle qui vise à rendre possible une déchéance de nationalité. D'abord restreinte aux binationaux qui ont acquis la nationalité française par mariage ou ascendance française, la déchéance de nationalité en cas de condamnation pour terrorisme a été étendue à tous les Français dans la dernière mouture du texte présenté à l'Assemblée nationale le 10 février. Mais cette modification «pourrait être ensuite rétablie en cas de deuxième lecture à l’Assemblée», explique Le Monde.

Une partie de la classe politique française a dénoncé cette mesure, comme le député de Seine-Saint-Denis, Jean-Christophe Lagarde, qui a déclaré: «Il ne peut y avoir deux catégories de Français».

En France comme en Algérie, les binationaux – même si ce terme a été supprimé du texte de révision constitutionnelle dans l'Hexagone – se voient discriminés par rapport à leurs concitoyens: la même nationalité mais pas les mêmes droits.

Mais pour Luis Martinez, directeur de recherche à Science-Po et spécialiste de l'Algérie, les deux réformes constitutionnelles ne s'inscrivent pas dans le même contexte.

«En France, c'est plus une inquiétude liée à la loyauté. Les autorités craignent un retournement possible de certains citoyens contre la République par le biais du terrorisme. Les gens se disent: "si on emprisonne quelqu'un pour terrorisme mais qu'on le libère après 20 ans, on fait comment?". Alors qu'avec la déchéance de nationalité cette question peut sembler réglée avec une expulsion du territoire qui devient légale. En Algérie, c'est différent. La constitution est attendue depuis 2011. Il y a une approche nationaliste avec une exclusion de la diaspora de hautes fonctions politiques pour – aux yeux du pouvoir – éviter d'avoir à faire face à des individus non-contrôlables qui mettraient sur la table tous les types de sujets possibles avant les élections», nous confie t-il.

Les députés français ont voté en faveur de la réforme constitutionnelle, le 10 février 2016. Crédit photo: JACQUES DEMARTHON / AFP

«Recroquevillement des nations»

En France comme en Algérie ces réformes ressemblent à des reculs. «Par la filiation, puis par le sol, par la naturalisation enfin par le mariage, la binationalité n’a cessé d’accompagner le développement de notre nationalité, d’augmenter notre nombre et notre influence dans le monde (...) Ils avaient confiance en la France, en la force de ses valeurs et de leur message», écrit sur son blog Patrick Weil, historien français, spécialiste de la nationalité, de l'immigration, de la laïcité. Il y a environ 3,5 millions de binationaux sur le territoire français, selon les différentes estimations

Même sentiment sur le sol algérien. C'est, le «recroquevillement des nations, qui se sentent menacées par la mondialisation», dit Chafia Mentalecheta, député des Algériens de l'étranger.

Mais ces replis identitaires et cette discrimination envers les binationaux ne sont pas une première. «En Algérie, c'est très ancien comme phénomène, commente le chercheur Luis Martinez. Déjà pendant la guerre civile algérienne, les binationaux étaient accusés de traîtrise. Certains Algériens disent souvent que les binationaux donnent la pire image possible de leur pays, comme cela avait été le cas lors des débordements autour du match de football France-Algérie en 2001». 

Camille Belsoeur

Journaliste à Slate Afrique. 

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