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Bénin: un grain de sable dans le modèle démocratique (Màj)
Pour la première fois depuis 1991, le modèle démocratique béninois est mis à rude épreuve dans la mouvance d’une élection présidentielle. A l’origine, les contestations inhérentes à la Liste électorale informatisée.
Il y a quelque mois, le président Boni Yayi a déclaré publiquement face aux revendications des syndicalistes qu’il n’était candidat à rien. Mais il s’est finalement mis dans la course à sa propre succession, et avec lui, treize autres candidats sont en lice pour la présidentielle prévue pour le 6 mars 2011.
Parmi ceux-ci, Me Adrien Houngbédji, un ancien avocat d’affaires et candidat malheureux de 2006 ainsi qu’Abdoulaye Bio Tchané, président démissionnaire de la Banque ouest-africaine de développement (Boad) et précédemment directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), sont considérés comme les deux prétendants sérieux à la magistrature suprême.
Depuis la Conférence nationale de février 1990 qui a consacré la fin du parti unique et le retour du Bénin à la démocratie, le pays a connu un parcours sans faute en organisant quatre élections présidentielles. Pour la première fois depuis 1991, le modèle démocratique béninois est aujourd’hui mis à rude épreuve dans la mouvance d’une élection présidentielle. A l’origine, les contestations inhérentes à la Liste électorale permanente informatisée (Lepi) par l’opposition, toutes tendances confondues.
Les ratés de la Lepi
Ce que les Béninois appellent communément Lepi devrait normalement permettre l’organisation d’élections fiables et transparentes, pour rompre avec les accusations de fraudes généralement enregistrées lors des échéances électorales, et leur corollaire de contestations des résultats. Mais manifestement, elle n’a produit que le résultat contraire. Du début du processus d’élaboration du fichier électoral à la publication de la liste des électeurs inscrits en passant par l’enregistrement, de graves erreurs ont été relevées.
De nombreux Béninois restent ainsi introuvables sur le fichier; au total 1,3 millions de personnes —soit plus du tiers du corps électoral. Tout comme les départements d’origine du président Boni Yayi [le Borgou et l’Alibori, ndlr] devenus subitement ceux à la plus forte densité du pays. Un constat qui a suscité l’ire de l’opposition et des manifestations à Cotonou.
Si l’on s’en tient au respect des textes et délais légaux en matière d’élections, la tenue même du scrutin présidentiel à bonne date est déjà compromise. En effet, l’article 7 de la loi 2010-33 stipule qu’il faut attendre 21 jours pour la vérification et la validation de la liste électorale. En outre:
«La Lepi ne peut être prise en compte pour une élection que si après achèvement de son élaboration, selon les procédures légales prévues à cet effet, elle est mise à la disposition de la Commission électorale nationale autonome (Cena) 60 jours au moins avant le jour du scrutin».
Au demeurant, tel n’est pas le cas. Le Bénin se retrouve donc de facto dans une situation d’empêchement définitif de l’exercice du pouvoir pour des raisons de calendrier constitutionnel. Et l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle devraient alors statuer sur la vacance du poste de président de la République, avec en perspective l’application de l’article 50 de la Constitution —lequel prévoit de faire assurer l’intérim par le président de l’Assemblée nationale jusqu’à l’élection du prochain président de la République (prévue dans un délai de 90 jours le cas échéant).
Les «sages» de la Cour constitutionnelle sur la sellette
Dans cette bataille électorale et constitutionnelle, le président de la Cour constitutionnelle, Me Robert Dossou, est manifestement sur la sellette.
«J’ai été militant. J’ai aidé des exilés, mais le militant suit une cause, pas un homme. Est-ce qu’on m’a vu tremper dans une magouille quelconque ?», s’est-il défendu sur les antennes de la télévision nationale —mais sans vraiment convaincre, pour beaucoup.
Face aux critiques de l’opposition, ce proche du président Boni Yayi a fort à faire pour démontrer aux Béninois l’indépendance de la Cour qu’il préside. Surtout quand on sait que rarement des décisions de cette Cour —dont les membres sont généralement qualifiés de «sages» au Bénin— n’ont suscité autant de controverses depuis son installation.
Collectifs et comités pour sauver l'élection présidentielle
En vérité, le pays a déjà raté la parfaite organisation de sa présidentielle. Reste maintenant à faire amende honorable. Face à l’imbroglio électoral qui se profile, un comité de six membres présidé par l’ancien chef d'Etat béninois Emile Derlin Zinsou a été mis en place.
Dans son rapport, il a proposé une solution de consensus pour sortir de l’impasse. Il s’agit de la nécessité d’un audit international et national de la Lepi et de l’aménagement du cadre légal, en vue de prendre en compte tous les citoyens en âge de voter sur le fichier électoral. Et c’est à des experts internationaux que ledit comité souhaite voir confier cette délicate mission.
Mais encore faudrait-il que l’opposition et la mouvance présidentielle s’entendent sur les critères de choix des experts et les insuffisances à corriger. Surtout que l’opposition accuse les experts des institutions internationales basées au Bénin d’être de collusion avec le régime du président Boni Yayi depuis le début de la confection de la Lepi.
A travers une déclaration rendue publique le 20 février dernier, un collectif formé par 11 candidats sur les 14 en lice avait déjà réclamé le report de la présidentielle, au regard des graves insuffisances constatées. Ce collectif n’entend pas participer à une farce électorale programmée, et qui risque fort de conduire le pays vers des dérapages imprévisibles si le régime en place persiste et signe.
«Le président Boni Yayi sait qu’il ne peut pas honnêtement gagner cette élection, à cause des nombreux scandales qui ont émaillé son mandat —et parce qu’il fait l’unanimité de l’opposition contre lui. Il veut par conséquent contraindre cette dernière à boycotter le scrutin pour être seul à se présenter à la présidentielle. Mais cela risque d’entraîner le pays dans le chaos, car nous n’accepterons pas une parodie d’élection au Bénin», a laissé entendre un militant de la société civile.
Les Béninois prêts à tout pour sauver la démocratie
Le clergé, représenté par l’archevêque de Cotonou Mgr Antoine Ganyé, le médiateur de la République Albert Tévoèdjrè et d’anciens présidents de la République tentent ainsi vaille que vaille de concilier les positions des uns et des autres pour éviter le pire. Car les Béninois ne sont décidément pas prêts à accepter en 2011 une farce électorale après le lourd tribut qu’ils ont payé pour l’avènement de la démocratie à la fin des années 80. Et dans tout le pays, beaucoup se préparent pour défendre la démocratie. A n’importe quel prix, au besoin.
A regarder de près la situation sociopolitique actuelle du Bénin, seule une solution politique consensuelle peut encore lui permettre de sauver les meubles. Laquelle solution n’est, de toute évidence, pas facile à trouver pour l’heure —même si les Béninois croient toujours en leur génie propre pour se sortir de cette mauvaise passe, comme en 1990 lors de la Conférence nationale souveraine.
Pour Me Joseph Djobénou du Front des organisations de la société civile pour des élections libres, transparentes et apaisées (Fors-Elections), «à une situation politique, il est pertinent de trouver une solution politique… Cela relèverait de l’extraordinaire que nous allions aux élections le 6 mars prochain».
Marcus Boni Teiga