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L'Egypte se lance dans des projets pharaoniques pour relancer l'industrie touristique
Un musée subaquatique à Alexandrie, deux nouveaux musées ultra-modernes au Caire: le régime d'Abdel Fattah al-Sissi voit grand.
Depuis l’expédition de Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle, le goût des Européens pour l’Égypte (et tout particulièrement son Antiquité) n’a cessé de se renouveler. En témoigne, ces jours-ci, la prolongation jusqu’en mars 2016 de l’exposition «Osiris, Mystères engloutis d’Égypte» qui a déjà attiré plus de 200 000 visiteurs.
On peut aussi évoquer la diffusion, le 3 janvier dernier sur M6, d’un reportage au titre quelque peu racoleur, «Trésors, trafics et aventures au pays des Pharaons», qui a séduit plus de deux millions de téléspectateurs. Le Monde a pour sa part récemment annoncé le lancement d’une nouvelle collection d’ouvrages à destination du grand public intitulée «Égyptomania, Les Trésors de l’Égypte ancienne».
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Sur place, c’est une tout autre histoire: depuis la révolution de 2011, l’Égypte peine à attirer à nouveau les visiteurs, et ce malgré son patrimoine exceptionnel. La faute notamment au terrorisme qui en frappant le pays à de multiples reprises, incite les ministères des Affaires étrangères des principaux pays occidentaux à dissuader leurs ressortissants de s’y rendre.
Des projets sensationnels
Le gouvernement égyptien tente toutefois de relancer une industrie touristique cruciale pour le pays à l’aide de projets toujours plus sensationnels. L’actuel ministre des Antiquités, Mamdouh Mohammed Eldamaty, multiplie les annonces et apparitions médiatiques, parfois entouré d’égyptologues (égyptiens ou étrangers) à l’initiative des projets en cours. Dernièrement, le plus médiatisé fut sans conteste l’étude au radar de la tombe de Toutankhamon, dans la Vallée des Rois (KV62). Les résultats de ces analyses incitèrent même le ministre à annoncer que «la probabilité qu’il y ait quelque chose derrière ces murs est de 90 %», réalimentant ainsi les phantasmes autour de la tombe de ce jeune roi découverte en 1922 par Howard Carter.
Le chantier du nouveau musée des pyramides de Gaza, à proximité du Caire le 18 mai 2015. Crédit photo: REUTERS/Amr Abdallah Dalsh
Cette passion égyptienne, parfois proche de l’ésotérisme, s’est également illustrée au travers de la médiatisation du projet ScanPyramids qui, au travers d’études au scanner de diverses pyramides (Khéops et Khéphren pour le plateau de Giza, Snéfrou pour le site de Dahchour), s’est fixé pour objectif de découvrir d’éventuelles chambres encore inconnues, ou encore de comprendre – enfin – comment furent bâties ces géantes de pierre à l’allure immortelle.
Si l’association de technologies de pointe à l’égyptologie permet une couverture journalistique importante, d’autres projets d’ampleur sont en cours, notamment à des fins de vulgarisation et de mise en valeur des découvertes archéologiques. Au Caire, deux musées ultra-modernes devraient par exemple ouvrir leurs portes dans un avenir proche: le Grand Egyptian Museum (GEM) et le National Museum of Egyptian Civilization (NMEC). À eux deux, ils proposeront 150 000 m2 d’exposition, près de 200 000 objets exposés, des salles de conférences et de projection, des conditions de conservation optimales, diverses infrastructures permettant aux touristes de profiter de tout le confort possible pendant leur visite, etc. De plus, le gouvernement a annoncé récemment vouloir relancer un projet incroyable: la construction d’un musée subaquatique dans la baie d’Alexandrie. Cette structure offrirait aux visiteurs une expérience nouvelle en leur proposant d’observer les objets et vestiges encore engloutis directement dans leur environnement sous-marin.
Une population de plus en plus impliquée
La «révolution» de 2011 a donné lieu à divers actes malveillants de la part d’Égyptiens peu scrupuleux: vols d’antiquités dans les musées (on se rappelle des statuettes de Toutankhamon, dont une fut finalement retrouvée brisée dans un bus), fouilles clandestines des sous-sols des maisons… Cependant, ces agissements restent sporadiques et la majorité des Égyptiens a bien conscience de la nécessité que représentent la protection du patrimoine et sa mise en valeur. Un exemple parmi les plus frappants fut sans doute cette chaîne humaine formée autour du musée du Caire afin d’empêcher les dégradations. De même, de plus en plus d’ouvrages traitant de l’histoire ancienne de l’Égypte sont publiés en langue arabe afin d’inciter la population à s’y intéresser et de lui permettre de se réapproprier son passé.
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Un ami égyptien m’a récemment confié que l’une des preuves de l’intérêt croissant porté par ses compatriotes à leur patrimoine antique était la présence quasi quotidienne dans les médias du ministre des Antiquités et de personnalités majeures de l’égyptologie locale, comme Khaled el-Enany (actuel directeur du musée du Caire et du NMEC). Les projets mis en œuvre et leur impact sur la vie quotidienne des Égyptiens sont donc scrutés de près et suscitent à la fois espoir et méfiance. La situation économique préoccupante, l’obscurantisme religieux, les divisions internes entre compatriotes, tout cela crée une atmosphère angoissante que les Égyptiens espèrent voir se résorber une fois les projets prestigieux menés à terme, même s’il perdure une certaine méfiance vis-à-vis du coût de ces réalisations qui, dans un contexte économique fragile, paraît parfois excessif.
Par Simon Thuault, Doctorant contractuel (égyptologie), Université Paul Valéry - Montpellier III
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.