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Nomades sur des Chameaux.  Reuters/Rafael Marchante
Nomades sur des Chameaux. Reuters/Rafael Marchante

AQMI, multinationale de l'enlèvement

Au moment où des Européens sont kidnappés au Sud-Ouest algérien entre le Sahara Occidental et le Maroc, des otages algériens sont libérés. Qui gagne quoi et à quel prix?

Mise à jour du 19 juillet 2012: Trois otages européens —deux Espagnols et une Italienne— viennent d'être libérés près de Gao, dans le nord du Mali. Ils avaient été enlevés en Algérie en octobre 2011 par le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), une mouvance extrémiste proche d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Mohamed Ould Hicham, l'un des dirigeants du groupe islamiste, a déclaré à l'AFP: «Considérez qu'ils sont libérés, puisque nos conditions ont été respectées.» Ces libérations ont été obtenues en échange de la remise en liberté de trois prisonniers islamistes «dans un pays musulman», et de la remise d'une rançon dont le montant est encore inconnu. Les otages ont été accueillis par une délégation burkinabè, et ont été conduits à Ouagadougou avant leur retour en Europe.

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Tindouf, au fin fond du désert, à 1500 kilomètres au Sud Ouest d'Alger. Zone sensible de sables mous, comprise entre l'appétit marocain, la revendication indépendantiste du Sahara Occidental, la neutralité mauritanienne et l'intransigeance algérienne. Le 23 octobre dernier, trois européens, deux Espagnols et une Italienne, membres d'ONG qui faisaient la tournée des camps de réfugiés sahraouis installés à Tindouf, sont enlevés à minuit, premier kidnapping d'étrangers en terre algérienne depuis 2003, qui avait mis à mal l'armée et la diplomatie algérienne. Le 4X4 furtif dans lequel sont fourrés les trois otages de Tindouf, prend la direction des frontières sahéliennes entre le Mali et la Mauritanie, pour remettre les «produits» à  l'AQMI, Al Qaïda au Maghreb Islamique. La demande de rançon n'a pas été encore formulée mais tout porte à croire qu'elle se situera comme les précédentes, entre 1 et 2 millions d'euros par tête.

Océan indien, le 1er janvier 2011, en pleine mer, à 150 miles du port de Salalah à Oman. Un navire algérien, le MV Blida, propriétaire d’International Bulk Carriers (IBC), se dirige vers Dar es Salam, la plus grande ville tanzanienne. Il est attaqué en haute mer par des pirates somaliens. 27 marins, dont 17 Algériens, sont kidnappés, emmenés vers un lieu indéterminé. Après 11 mois de captivité et de négociations plus ou moins secrètes, ils sont tous relâchés, contre une rançon de 3.5 millions de dollars, selon le journal en ligne Somalia Report, qui suit de très près les actes de piraterie maritime au large des côtes africaines. 10 jours après le rapt des trois européens en Algérie, les 16 derniers otages algériens sont libérés. L'Algérie perd donc des otages et en récupère d'autres, dans le grand marché du trafic humain. Une question d'argent. Mais qui paye? 

Une question de territoire

Zone sous contrôle du Front Polisario, les indépendantistes du Sahara Occidental, et des militaires algériens (le DRS, renseignements), les camps de réfugiés de Tindouf, dont celui de Rabouni, où les trois européens ont été enlevés, est cerné par des centaines de kilomètres de désert. De fait, dans ces frontières très surveillées, par terre et par air, chaque mouvement est difficile. D'où la stupeur à la suite à ce triple rapt. Les Marocains ont immédiatement accusé le Polisario, de mèche avec l'AQMI, pendant que le Polisario a accusé l'AQMI, voire le Maroc, dans un complot visant à le discréditer en le faisant passer à l'international pour une organisation terroriste. Même le Mali, accusé d'abriter le groupe de l'AQMI qui détient les trois otages européens, a réagi officiellement en demandant au Front Polisario de commencer par arrêter les éléments d’Aqmi qu'il compte dans ses rangs avant toute accusation. Les Algériens, tout aussi étonnés, n'ont pour l'instant accusé personne, si ce n'est le laxisme du Polisario, qui est chargé de la sécurité des camps de réfugiés à Tindouf.

AQMI et la multinationale des otages

En réalité, depuis quelques années, la sous-traitance pour l'AQMI est devenue le mode de transaction le plus courant avec ce système de vente à emporter et les otages remis directement à la multinationale terroriste qui paye les ravisseurs en cash tout en revendiquant la prise. De fait, il peut s'agir d'une action de Mokhtar Belaouar, l'insaisissable renard du désert qui traite avec tout le monde, contrebandiers, terroristes, milices touarègues, voire Etats du Sahel, montré du doigt dans cette opération. Il peut s'agir aussi de membres du Polisario qui auraient monnayé l'affaire avec l'AQMI ou de mercenaires de retour du Front libyen, présents dans les camps de réfugiés, qui ont saisi l'occasion en ces temps troublés d'empocher un bon pactole.

Dans tous les cas, c'est l'Algérie qui se retrouve dans l'embarras, pour ne pas assurer la sécurité des étrangers sur son territoire, même si par ailleurs, on dénombre plus de 100 cas de kidnapping d'Algériens en 2010 par des groupes terroristes au Nord du pays. Les Marocains, ennemis intimes, en ont profité en parlant de gros revers pour l'armée algérienne, particulièrement dans cette zone de Tindouf, hyper militarisée. Un désastre pour la cause indépendantiste sahraouie, dont le territoire revendiqué, ancienne colonie espagnole, a été annexé par le Maroc en 1975. Grosse bourde en interne, le ministre de l'Intérieur algérien a expliqué qu'il y a des zones hors de contrôle de l'état, en l'occurrence les régions gérées par le Polisario. Il a été immédiatement repris par le ministre des Affaires étrangères:  

«il n'y a pas de territoire algérien hors de contrôle de l'état algérien.» L'Algérie n'est pas la Somalie.

«L'Algérie ne paye jamais de rançons»

Depuis les premiers kidnappings dans la région sahélo-saharienne, l'Etat algérien a mis un point d'honneur à refuser de payer des rançons, expliquant que ce ne serait que renforcer les capacités financières, et donc militaires, des groupes terroristes. D’ailleurs, après la pression algérienne pour faire adopter la résolution 1904 au Conseil de sécurité de l'ONU, il s'agit maintenant de criminaliser dans les faits le paiement des rançons. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères l'a encore réaffirmé à l'occasion de la libération des otages algériens:  

«L’Algérie a une position doctrinale immuable et connue y compris au sein du système des Nations unies. Cette position constante, nous l’avons réaffirmée à de nombreuses reprises : l’Algérie ne verse pas de rançons et elle condamne fermement cette pratique, qu’elle soit le fait des États ou d’organismes parapublics ou privés.»

Sauf que selon Somalia Report toujours, la rançon a bien été payée, même si elle a été le fait de l'armateur International Bulk Carriers. L'Algérie, qui en théorie condamne le paiement même de la part d'organismes privés, n'a rien dit, parce qu'il s'agit d'otages algériens réclamés depuis presque un an par leurs familles. Quand aux otages européens enlevés à Tindouf, c'est à l'Europe de payer ou pas, la rançon, discrètement ou publiquement, ce qui va compliquer encore les rapports entre l'Algérie et ses voisins du Nord sur cette question. Seule avancée, dans ce grand marché, on a déjà les tarifs de la mondialisation du kidnapping. Un otage européen vaut 1 à 2 millions d'euros. Les 25 otages de Somalie (16 Algériens, 5 Ukrainiens, 2 Philippins, une Jordanienne et une Indonésienne) ont coûté 3.5 millions de dollars, ce qui fait 140 000 dollars l'individu. Soit encore 100 000 euros, 10 à 20 fois moins qu'un Européen. Qui a parlé de crise financière en Europe?

Chawki Amari

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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