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Les locaux détruits de Charlie hebdo, sous protection policière, le 2 novembre 2011. REUTERS/Benoit Tessier
Les locaux détruits de Charlie hebdo, sous protection policière, le 2 novembre 2011. REUTERS/Benoit Tessier

Charlie hebdo va-t-il trop loin?

L'incendie des locaux de Charlie Hebdo à Paris en novembre 2011 a provoqué de vives réactions. Et pose des questions de fond quant aux relations de la France avec l'Islam.

Mise à jour du 19 septembre 2012: L’hebdomadaire Charlie Hebdo publie le 19 septembre des dessins satiriques représentant le prophète Mahomet, après une semaine de tensions et de violences dans le monde contre le film islamophobe «L’Innocence des musulmans».

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a «dans le contexte actuel» affirmé sa «désapprobation face à tout excès» tout en rappelant la liberté d’expression «dans le cadre de la loi». Il a appelé à «l’esprit de responsabilité de chacun».

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D'abord un axiome de base, on peut rire de tout, et même plus, on se doit de le faire, constamment, pour prendre le nécessaire recul avec ce qui nous entoure et ce que nous fabriquons comme modèles et légendes. Rire de n'importe quoi avec n'importe qui? Peut-on partager des blagues avec Ben Laden et Claude Guéant? C'est à ce niveau que le débat a commencé, depuis les fameuses caricatures danoises, lancées par un journal d'Extrême-Droite, et qui vient de se terminer provisoirement par l'incendie criminelle d'un journal satirique, de gauche.

A Alger, « grande démocratie», les avis sont partagés en deux, du «ils sont chez eux, ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent» au «on demande juste un peu de respect», avec toutes les nuances comprises entre ces prises de position et les inévitables extrêmes «c'est bien fait, il faut qu'ils sachent à qui ils ont à faire.» Un argument éminemment culturel, «quand on te frappe sur une joue, l'Islam comme le Judaïsme d'ailleurs, ne recommande pas de tendre l'autre joue mais de rendre coup pour coup, œil pour œil, dent pour dent», explique un juriste qui collectionne les dessins de presse (algériens). Mais Molotov contre caricature? C'est la disproportion de la réponse à une série de dessins jugés humiliants par une communauté musulmane devenue hypersensible depuis une vingtaine d'années qui a fait peur à tout le monde, en France et en Algérie. Un dessinateur est capable de tout, un Musulman aussi.

Le droit à l'image

Un people peut revendiquer la protection de son droit à l'image. Mais un Prophète? Etant mort, la contestation semble difficile, c'est pour cette raison qu'un certain nombre de Musulmans le font à sa place, ayant hérité de son cahier de charges et n'ayant pas peur de dépasser ses prérogatives. C'est la question fondamentale de Umberto Eco dans son «Au nom de la rose» : Jésus riait-il? Qui nous ramène à la question que personne ne se pose : que pensait Muhammad-Mahomet du rire? En attendant une réponse, ce qui est sûr, c'est que l'explication de l'explication ne tient pas complètement, l'Islam n'interdit pas formellement la représentation des Prophètes, c'est l'islam sunnite, orthodoxie majoritaire qui en a fait un dogme, contrairement aux Chiites ou autres courants de l'Islam qui n'ont pas de problèmes avec la figuration des Envoyés de Dieu. Oui, mais le rire? Les Guignols de l'info sur Canal+, qui se moquent abondamment du Mollah Omar (Ben Laden étant mort), font se plier de rire les Algériens, qui aiment autant rire que les autres. Du Prophète en revanche, ça coince un peu. En France, la liberté d'expression, même très écornée, est sacrée. Dans les pays Musulmans, c'est l'Islam, même très dévoyé, qui l'est. D'où le clash. L'incendie de Charlie Hebdo, qualifié «d'attentat» par Claude Guéant, est effrayant mais n'a au fond étonné personne.

Il faut sauver le soldat Charlie

Dans un pays lissé par le consensus et la difficulté de se moquer des minorités sur le principe du respect, Charlie Hebdo aura eu le mérite d'exister. D'un luxe superflu, il est devenu un besoin pour des Français étouffés par les interdits. Il est pourtant malheureux de se rappeler les péripéties de Charlie Hebdo et le licenciement en 2008 de Siné, grand ami de l'Algérie et fervent anti-colonialiste, qui avait osé faire une blague sur la conversion au judaïsme du fils de Sarkozy.

Alger n'a pas oublié cet épisode et penche évidemment du côté Siné, anarchiste convaincu, contre Philippe Val qui a repris en main le journal pour en faire un média politiquement très correct. En 2009, il a d'ailleurs quitté Charlie Hebdo pour devenir directeur de la radio France Inter. Quel rapport entre Charlie Hebdo et France Inter? Aucun, à part Philippe Val et les médias, dont les marges se resserrent. Depuis la première guerre du Golfe, les médias sont sur la ligne de front et ne sont plus ces observateurs neutres qui rapportent et reportent, ils font partie du grand échiquier des forces en présence, d'où la suspicion permanente qui touche maintenant Charlie.

Les médias «streamline» sont déjà «embedded» dans les grandes actions gouvernementales et des puissances financières, restaient les petits journaux, la presse atypique et les satiriques. Jusqu'à quand? A  Alger, où l'on se demande déjà si l'affaire Charlie n'est pas un coup monté, d'autres questions se posent : «pourquoi ne font-ils pas de unes méchantes sur les Juifs?» Et cette autre, atypique et typique de la parano algéroise : «pourquoi appeler Charlie, prénom américain, un journal satirique français de gauche ?»

Timing maladroit

Au delà de la condamnation de l'incendie, il faut quand même se poser des questions. Pourquoi faire une «une» sur Mahomet maintenant, dans un climat pré-électoral où tous les coups sont permis, où la communauté musulmane, raillée en permanence par les ministres sarkozistes foulant les terres de l'Extrême-droite, est devenue la cible du malaise global ? Les dessinateurs de Charlie connaissent-ils la conjoncture ? Évidemment. C'est donc de la provocation, par ailleurs moteur numéro 1 de la satire. «La provocation est utile», résume un éditorialiste d'un quotidien d'Alger, «Elle permet de faire bouger les lignes. Mais un vrai provocateur doit s'attendre à tout.» Il y a donc une logique, avec l'exacerbation des tensions communautaires. Mais il n'y a pas mort d'hommes, c'est l'essentiel, même si le débat doit être reposé, sur ce combat inégal entre l'encre et l'essence. Seule ombre au tableau, la maladresse de Charlie Hebdo visant deux peuples, tunisien et libyen, qui ont lutté pour se débarrasser de leurs dictateurs, ont vu les leurs mourir pour cette cause et  cherchent aujourd'hui leur voie. Peut-on se moquer d'eux? Oui. Mais non. Mais si.

Les adorateurs du feu

Quelle est la différence entre l'incendie d'un journal et l'incendie d'une mosquée? Il y a des criminels partout, des deux côtés, qui ne représentent pas toute la communauté musulmane d'un côté, ni toute la communauté française de l'autre. Pour autant, doit-on héberger les fidèles d'une mosquée incendiée à Libération, pour qu'ils continuent à faire leur prières dans la salle de rédaction? Non, pas forcément. Mais cette affaire va encore profiter aux islamophobes d'un côté, et aux intégristes musulmans de l'autre, qui vont continuer à propager l'idée d'une guerre orchestrée contre l'Islam.

Les Mazdéens, qui ne sont ni Chrétiens ni Musulmans, ont mis le feu au centre de leurs rites. Adorateurs du feu, ils lui consacrent toute leur existence. ils n'allument pas de feu puisque le feu originel est entretenu de générations en générations depuis des milliers d'années. Et ne s'en servent pas contre les autres. L'affaire Charlie Hebdo est-elle une question de religion ? Ce que l'on peut dire, c'est que ce n'est pas par hasard si cette incendie criminelle et facile a eu lieu en France et pas dans un autre pays occidental à forte minorité musulmane. La France a un problème avec ses Musulmans, ses Musulmans ont un problème avec la France. Et c'est même pas rigolo.

Chawki Amari

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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