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Paul Biya, le 9 octobre 2011. Seyllou/AFP
Paul Biya, le 9 octobre 2011. Seyllou/AFP

Le Cameroun plus que jamais dans l'incertitude

Avec la réélection de Biya, le meilleur comme le pire peuvent arriver au Cameroun.

Bouba est le boy du commandant Moro, qui perd régulièrement de petites sommes d’argent, sans s’en émouvoir. C’est qu’il croit savoir l’auteur de ces larcins. Pour lui, Bouba est un kleptomane.

«Mettez des selles dans une boîte, placez-là bien en vue au salon. Ou pas, d'ailleurs. Cela peut être risqué pour le larron. Cachez-là dans un endroit où ne peut tomber que quelqu’un qui fouillerait je-ne-sais-quoi ou ferait la propreté. Il y a fort à parier que vous ne trouverez plus la boîte le lendemain, si vous habitez chez le commandant Moro.»

Eh bien! Le commandant Moro, il en a plus qu’assez! Son argent va «sortir»! Il ne s’agit que de 1000 F. CFA (1,50 euro). Mais, l’heure de sa révolte a sonné.

Bouba, pauvre Bouba, il se défend comme il peut, ce n’est pas un maître de la parole et, à dire vrai, il a une tête de coupable par-dessus le marché.

— Ah patron! Je serais bien fou d’oser toucher votre argent!

— Le scoop, c’est que tout le monde considère déjà que tu es fou. Admettons, ce n’est pas toi. Alors qui est-ce? 

— Patron, je ne sais pas, si je savais je ne… je ne peux rien dire. Mais n’y a pas que moi ici, les cousins de madame, les neveux…

— Accuse mes enfants, pendant que tu y es!

— Mais patron, je n’entre même pas dans votre chambre.

— La belle excuse! Viens, regarde, tu vois tout cet argent jeté négligemment sur la commode? Eh bien je sais exactement combien il y avait là! J’ai perdu mille francs.

Bouba regarde, il voit un Ipod, un Ipad, un Iphone, des parfums, des bijoux…

— Patron, comment quelqu’un peut entrer dans une chambre où il y a tout ça, des appareils, de l’argent et ne prendre que mille francs?

— Quelqu’un qui volerait un œuf en attendant de voler un bœuf!

Bouba s'approche de la commode, observe attentivement, scrute alentour, puis revient, victorieux, avec 1500 F. CFA.

— Patron, je crois qu’on ne vous a pas volé mille francs. Mais vous avez perdu 1500 F.CFA, un coup de vent sûrement.

Le commandant Moro est déçu, il voulait un coupable et il retrouve 1500 francs. Il a choisi le mauvais moment pour se révolter, car ce coup-ci, on ne lui avait rien volé. Il trouve quand même le moyen de conclure:

— Tu aurais très bien pu faire tomber cet argent, pour prendre le vent et t’assurer qu’il n’y aurait pas de vagues.

— Patron, ça fait trop de «si» pour 1000 francs, non?

— Chien vert! Imbouk! (injures typiquement camerounaises) Pas d’insolences, ok?

La défaite du Social Democratic Front

A cause de ce type de traitements, et parce que le commandant Moro fait partie du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), Bouba ne manque plus une occasion de se plaindre de son peuple et de sa patrie. Il emprunte au vocabulaire de la politique pour blâmer les drames de sa vie personnelle. Le Cameroun est comme-ci, les Camerounais sont comme-ça. J’en ai presque de la peine pour lui.

C’est pourquoi je lui ai demandé, passez-moi la violence du propos, d’allez se pendre, d’aller «se jeter» dans le Wouri (le grand fleuve qui traverse la ville de Douala, la capitale économique du Cameroun): si la vie, sous nos latitudes lui semblait à ce point sans intérêt, c’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire pour lui, pour ses concitoyens, et pour son pays. C’était de l’humour noir.

Le bon bougre ne l’a pas pris ainsi. Très sérieusement, il m’a dit qu’il songeait depuis un moment à mettre fin à ses jours. Seulement, il se trouvait un lâche dans l’âme, il savait être courageux tant qu’il ne s’agissait que de manipuler des idées, mais passer à l’acte avait toujours été au-dessus de ses forces. En mettant les genoux au sol, Bouba m’a demandé de l’aider à mourir: Mais non, ça va pas la tête?!

Je suis le Camerounais le moins susceptible de commettre un crime en ce moment: on a été dire au prince d’Etoudi (le quartier où se trouve le palais présidentiel) que de lui je rigole dans des médias occidentaux, que par ma faute bien de blagues circulent à son propos sur Internet. Alors, tu penses bien, mon cher Bouba, ce serait pain-bénit pour eux, s’ils pouvaient m’accuser de t’avoir aidé à te suicider.

Bouba ne voulait rien lâcher… Façon de parler! Il voulait en finir… Ne voulait pas en finir avec l’idée d’en finir. Je lui suggérai de se rendre promptement à Bamenda, le chef-lieu de la région du Nord-Ouest. C’était le 25 octobre. Dès le lendemain, le leader de l’opposition John Fru Ndi retournerait dans son fief, après sa débâcle électorale et son séjour infructueux dans la capitale politique, Yaoundé.

Bamenda, c’est probablement l’une des villes au monde où l’on déteste le plus le président Biya. Il fallait que Bouba campe Sonac Street, l'une des grandes artères de la ville, où le leader anglophone viendrait à passer. S’il choisissait le moment de ce passage pour hurler: «Vive Biya, le meilleur choix du peuple! I vote for Biya!», alors il se ferait probablement tuer.

Mal lui en a pris, le 27 octobre, Bouba rappliquait, clopin-clopant, le visage tuméfié, avec un bras cassé, toutes les incisives arrachées. J’avais selon lui surestimé la haine que l’on vouait au président Biya. Certains supporters de Fru Ndi l’avaient en effet tiré d’affaire quand ceux qui le lynchaient étaient si désarmés qu’il leur eût fallu un lynchage collectif d’une heure pour lui ôter la vie.

L’investiture du Président Biya

Pauvre Bouba! Nous avions choisi le mauvais ennemi, il n’avait pas les épaules suffisamment larges pour aller au bout d’une petite exécution de rien du tout. Ce jeudi 03 novembre, le président Biya prêterait serment. Bouba devrait se rendre à l’Assemblée nationale où la cérémonie aurait lieu et devrait crier non pas «Biya must go», qui est devenu une belle blague populaire, mais «Biya must die! Fru Ndi, my president!» C’est sûr, cette fois, on ne le manquerait pas. La sécurité présidentielle est sur les dents, on ne le laisserait pas prononcer deux fois un tel blasphème… Pour sûr, on le mettrait à feu et à sang!

Bouba m’a demandé c’était quoi la prestation de serment? A quoi j’ai répondu trivialement que c’était comme une cérémonie de mariage. Le président de l’Assemblée nationale était le maire. Le président renouvelait en quelque sorte ses vœux au peuple. Le peuple s’engageait avec lui pour le meilleur et pour le pire. Il y avait beaucoup de personnalités, beaucoup d’armes, du soleil, c’était en effet un beau jour pour mourir.

Mon ami est arrivé à la prestation de serment avec un léger retard. Il a bien hurlé. Mais il s’emmêlait les pédales, hurlant tour à tour: «Fru Ndi must die, Biya must die». Quand le premier coup de canon a retenti, Bouba a vu défiler sa vie devant lui, il quittait cette vie sans regret, il a touché son cœur, estimant par avance que les snipers l’avaient sans doute touché en plein cœur. Dans sa chute, il lui sembla qu’il entendit un deuxième, un troisième, un quatrième… Il finit par se dire que c’était l’écho du premier tir de canon qu’il continuait à entendre dans le couloir de la mort.

Un pays en sursis

Les forces sont venues le tirer de sa torpeur. Quelqu’un l’avait clairement entendu dire: «Biya must die!» Bouba se palpait, étonné d’avoir survécu à un coup de canon. Les policiers lui demandèrent, en tordant son bras fracturé, s’il en avait assez de vivre.

Bouba, on le sait, n’était pas courageux quand il le fallait. Alors il invoqua un «argument d’autorité»: Il était le boy du commandant Moro, qui travaille dans la Garde présidentielle. Les hommes en tenue n’ont pas manqué de l’abreuver d’injures.  

Pour le narguer davantage, on lui a tendu un téléphone, le mettant au défi de faire venir le commandant Moro. Quand celui-ci est arrivé, il a passé un savon aux hommes en tenue et les a obligés à payer les soins médicaux de Bouba.

Bouba avait voté deux fois plutôt qu’une pour le président Biya: il avait eu ses quatre cartes d’électeur. Il ne sait même pas parler anglais, alors de quoi l’accusait-on? Il fallait être fou pour ne pas réaliser que Bouba était un agneau.

Je crois que ces policiers étaient aussi du RDPC. Mais la galère qui va s’abattre dans les mois à venir va toucher tous les Camerounais, indépendamment de l’appartenance politique. Tenez, c’est seulement après les élections que l’information selon laquelle le Fonds monétaire international a exclu le Cameroun de l’initiative PPTE (Pays puvres très endettés) depuis août 2011 fait du bruit dans les médias locaux.

C’est vrai, on compte sur notre sous-sol et les projets structurants qu’il a engendrés, on compte sur un autre emprunt obligataire dans les mois à venir, on compte sur notre jeune président de 78 ans, bref le meilleur comme le pire peuvent arriver.

Et en cas de «pire», Bouba, tu n’as pas à t’en faire, si tu n’as pas pu mettre fin à tes jours, ce pays t’y aidera probablement dans les mois à venir. S’ils ne voient pas le meilleur, les Camerounais se résoudront au pire.

Eric Essono Tsimi

 

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Eric Essono Tsimi

Eric Essono Tsimi est un dramaturge camerounais. Il est l'auteur de l'ouvrage Le jeu de la Vengeance (éd.Sopecam, 2004), et publie régulièrement des tribunes dans les quotidiens Mutations et Le Messager au Cameroun.

Ses derniers articles: Opération Serval: une néocolonisation choisie  Centrafrique: Biya snobe Bozizé  Depardieu, au Cameroun, les riches sont des dieux! 

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