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Des pompiers devant les locaux endommagés de Charlie Hebdo, 2 novembre, Paris. REUTERS/Benoit Tessie.
Des pompiers devant les locaux endommagés de Charlie Hebdo, 2 novembre, Paris. REUTERS/Benoit Tessie.

Charia Hebdo: la presse maghrébine réagit mal

Les réactions du Maghreb à ce qui a été perçu comme la «provocation» de Charlie Hebdo n'ont pas tardé.

Mise à jour du 4 novembre: Pour combler l'absence de son site internet piraté le 2 novembre, l'hebdomadaire Charlie Hebdo a décidé de lancer son blog <http://charliehebdo.wordpress.com/>.

***

La rédaction de Charlie Hebdo a été détruite par un incendie provoqué par un ou plusieurs cocktails Molotov dans la nuit du 2 novembre vers une heure du matin, à Paris. L’hebdomadaire satirique français a fait scandale quelques jours auparavant, en annonçant la publication le 2 novembre d’un numéro spécial titré «Charia Hebdo», pour «réagir à l’annonce de l’instauration de la charia en Libye et à la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie», a affirmé le directeur de la publication, Charb.

Dès le soir du 30 octobre, la polémique s’est propagée comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. La page Facebook du journal a été envahie de messages islamistes extrémistes incitant à la haine. Sur Twitter, certains internautes ont perçu cette couverture «comme une insulte», rapporte le site Afrik.com, avant d’ajouter que la rédaction a également reçu des menaces de mort.

De nombreux médias et personnalités politiques françaises ont condamné cet acte. L’incendie d’un journal rappelle des pages sombres de l’histoire, celles des autodafés, rappelle un chroniqueur de France Culture. Le soutien à l’hebdomadaire est unanime, de François Hollande aux membres du gouvernement, en passant par les internautes qui «aiment» et «partagent» leur solidarité avec Charlie Hebdo sur les réseaux sociaux, au nom de la liberté d’expression. Le quotidien français Libération a même décidé d’héberger les journalistes de l'hebdo, en attendant.

Charlie Hebdo «joue la provoc»

En Tunisie, le ton change. Ici, on n'a pas tout à fait digéré le scandale de la publication des caricatures de Mahomet en 2006, dans Charlie Hebdo. L’éditorialiste du magazine de Tunivision regrette la parution de ce numéro.

«Le plus choquant, c’est que les lecteurs allaient découvrir dans ce numéro un "édito de Mahomet" intitulé "L'apéro Halal", une double page de dessins pour expliquer "la charia molle" ou encore un supplément "Charia Madame", affirme-t-il. Même si ce magazine est soi-disant "satirique", il ne devrait pas rouvrir la plaie causée par le scandale des caricatures de Mahomet, publiées dans l’un de ses hebdos d’il y a cinq ans», a-t-il ajouté.

Le site tunisien Kapitalis renchérit et voit dans la sortie de ce nouveau numéro, une provocation de la part de l’hebdomadaire. Une idée reprise brièvement par le site Businessnews et partagée par le quotidien algérien El Watan qui titre:

«un hebdo provocateur sort un numéro avec "Mahomet comme rédacteur en chef".»

 Cependant, aucun d’entre eux n'a cautionné les actes commis contre le journal.

Réquisitoire contre l’intelligentsia française

Le site tunisien Kapitalis va néanmoins plus loin, en publiant une tribune générale sur la manière dont l’intelligentsia française regarde la Tunisie, notamment après la victoire d’Ennahda aux dernières élections. Cette lettre ouverte s’adresse à la fois à

«Ceux qui, depuis des années, servent la même soupe médiatique: "l’islam politique est insoluble dans la démocratie", "le musulman est un polygame égorgeur de moutons et accessoirement anti-occidental; mais également à tous les Tunisiens.»

L’auteur de la tribune rappelle le ton qui prédominait au lendemain des premières élections tunisiennes, celui des hommes bienpensants:

«inquiets de la remise en question des droits de la femme, de la liberté de pensée, de la liberté cultuelle en Tunisie alors que sous Ben Ali, grand démocrate comme vous savez, ils étaient silencieux sinon complices.»

Enfin il s’adresse aux Tunisiens:

«Si j’écris cet article, c’est aussi à l’adresse de mes compatriotes tunisiens. Il ne faut pas tomber dans le piège des provocations de quelques politiques ou pseudo intellectuels français qui regrettent le régime de Ben Ali.»

Le marché de l’islamophobie

Mais pour le quotidien d’Oran, cette une de Charlie Hebdo n’est que le reflet de l’opinion publique française, baladée à droite ou à gauche par les médias métropolitains.

«Au-delà de toute attente. Charlie Hebdo a eu, comme beaucoup de médias en France, de l'urticaire et des démangeaisons après le vote "incorrect" des Tunisiens. Son numéro de "Charia Hebdo" avec le prophète Mahomet comme rédacteur en chef est donc la première grande provocation post-élection en Tunisie.»

L’éditorialiste oranais explique que croquer Mahomet est une manière de critiquer Ghannouchi et condamne l’utilisation de la violence. Mais il rejette totalement le «coup de pub» que constituent les provocations de Charlie Hebdo auxquelles «la majorité des musulmans haussent les épaules et ne prêtent pas attention», mais qui en pousseront «toujours quelques-uns à réagir comme prévu par les concepteurs de la provoc' à coups de dénonciations et de menaces». Pour lui, cette histoire donne «une victoire facile aux islamophobes et aux racistes», puisque les coupables sont tout de suite désigné: «l'islam, les musulmans».

Nadéra Bouazza et Fanny Roux

 

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Journalistes à SlateAfrique.

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