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Johan Persson, journaliste inculpé de terrorisme en Ethiopie, le 12 novembre 2010. Scanpix Sweden/AFP
Johan Persson, journaliste inculpé de terrorisme en Ethiopie, le 12 novembre 2010. Scanpix Sweden/AFP

Éthiopie: la liberté de la presse menacée

Le 1er juillet 2011, les journalistes Johan Persson et Martin Schibbye ont été arrêtés en Ethiopie dans l'exercice de leur métier.

Mise à jour du 10 septembre 2012: Deux journalistes suédois ont été libérés aujourd'hui à l'issue de quatorze mois de détention en Ethiopie après avoir été arrêtés aux côtés d'un mouvement rebelle, a annoncé à l'AFP un responsable gouvernemental. Le gouvernement d'Addis-Abeba a gracié le reporter Martin Schibbye et le photographe Johan Persson à l'occasion du Nouvel an éthiopien (11 septembre). Ils étaient condamnés à onze ans de prison, pour "entrée illégale sur le territoire éthiopien" et "soutien au terrorisme". "N'oublions pas que les journalistes ont été détenus pendant quatorze mois sans aucun motif sérieux. Ils accomplissaient simplement leur devoir d'informer", rappelle Reporters sans Frontières.

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Les journalistes suédois accusés de terrorisme en Éthiopie sont victimes d'une répression massive de la liberté d'expression et de la liberté de la presse dans le cadre de laquelle plus de cent leaders de l'opposition et au moins six journalistes ont été arrêtés depuis le mois de mars dernier.

Cela montre que la liberté d'expression et la liberté de la presse doivent être constamment défendues. Le gouvernement éthiopien doit relâcher immédiatement tout détenu arrêté uniquement pour avoir mené des activités pacifiques et légitimes. La Commission européenne doit adopter une position ferme et montrer clairement où l'Europe se situe, exigent Amnesty International et Reporters sans frontières.

Une législation liberticide

Deux journalistes suédois, Johan Persson et Martin Schibbye, se sont rendus en Éthiopie pour voir de leurs propres yeux ce qu'il s'y passait. Ils avaient entendu les témoignages de réfugiés sur la situation dans la région Somali, plus souvent connue sous le nom d'Ogaden, en proie à des conflits.

Des témoignages faisant état de villages réduits en cendres, de viols, de civils tués et abandonnés dans les rues pour servir d'avertissement aux autres sont rapportés depuis de nombreuses années et attestés par les organisations de défense des droits de l'homme.

Les deux hommes ont décidé de se rendre dans un endroit interdit d'accès aux journalistes étrangers, aux chercheurs et aux organisations de défense des droits de l'homme pour raconter ce qu'il s'y passait. Afin d'y parvenir, ils sont entrés illégalement en Éthiopie.

Le 1er juillet 2011, ils ont été arrêtés par les forces éthiopiennes. Depuis, Johan Persson et Martin Schibbye sont retenus dans une prison éthiopienne, accusés de crimes terroristes car ils ont tenté de révéler ce que le gouvernement éthiopien aurait préféré continuer à cacher.

Le procès a commencé le 20 octobre et a repris le 1er novembre à Addis-Abeba. La législation anti-terroriste éthiopienne donne une définition tellement large des activités terroristes que celle-ci peut être utilisée pour criminaliser la liberté d'expression dans le pays.

Les arrestations effectuées depuis le mois de mars indiquent une attaque en règle contre les dissidents et les critiques du gouvernement sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Les autorités éthiopiennes sont résolues à détruire les derniers vestiges de liberté d'expression et de liberté des médias du pays.

Les arrestations constituent d'ailleurs une violation du droit éthiopien et du droit international qui visent tous deux à protéger la liberté d'expression et la liberté de la presse. La Commission européenne doit maintenant adopter une position claire sur la question et promettre le soutien inconditionnel de l'UE à tous les journalistes et membres de l'opposition qui ont été emprisonnés en Éthiopie ces dernières années.

Depuis plusieurs années maintenant, Reporters sans frontières signale les attaques systématiques de l'Éthiopie contre la liberté de la presse ainsi que les emprisonnements de journalistes. Ces dernières années, plus de 80 journalistes ont été forcés à s'exiler d'Éthiopie.

Rien qu'en 2011, au moins 105 membres de l'opposition et quatre journalistes éthiopiens ont été emprisonnés après avoir critiqué le régime ou enquêté sur celui-ci ou après s'être opposés au gouvernement en menant des activités politiques pacifiques.

Soutenus par les lois anti-terroristes du pays, des journalistes éthiopiens, et maintenant des journalistes étrangers, ont été arrêtés et poursuivis en justice, souvent pour avoir simplement fait leur travail de journaliste.

L'Ethiopie doit respecter ses engagements

Amnesty International, dont l'équipe de recherche a récemment été expulsée du pays, a pu confirmer au cours de sa visite que les restrictions et les obstacles importants auxquels doivent faire face les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme indépendants sont récemment devenus plus nombreux.

En juillet, un employé éthiopien de l'ONU a été arrêté pour avoir négocié la libération d'otages enlevés par le mouvement rebelle FNLO. D'après la législation anti-terroriste, communiquer avec un groupe terroriste proscrit constitue un crime.

Le droit de toute personne à la liberté d'opinion et à la liberté d'expression, sans considération de frontières, est protégé par l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'article 79 de la Convention de Genève précise également qu'il est nécessaire de protéger les journalistes engagés dans des missions dangereuses dans des zones de conflits armés.

Frank La Rue, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, a prononcé la déclaration suivante :

«Il faut admettre que tout crime commis contre des journalistes pour leur profession, pour ce qu'ils ont publié ou pour ce qu'ils prévoient de publier ne constitue pas un simple crime ordinaire. C'est un crime contre la démocratie.»

En 2010, l'Éthiopie a accepté de suivre les recommandations du Conseil des droits de l'homme de l'ONU de «prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer des moyens d'information libres et indépendants qui rendent compte du pluralisme dans les opinions». La répression continue contre les médias et les dissidents contraste vivement avec ces engagements.

Nous appelons le gouvernement éthiopien à respecter ses engagements internationaux et à cesser immédiatement d'utiliser des procédures criminelles pour faire taire les critiques, les hommes politiques d'opposition et les journalistes qui font un travail légitime.

La Commission européenne doit préciser clairement que les actions de l'Éthiopie constituent une violation des droits de l'homme et ne peuvent pas être acceptées.

Lise Bergh, Directrice, Amnesty International Suède

Jesper Bengtsson, section suédoise de Reporters sans frontières

Professeur Peter Englund, écrivain et Secrétaire permanent de l'Académie suédoise

Henning Mankell, écrivain

Sara Torsner et Anne Markowski, Free the Swedish journalists Johan Persson and Martin Schibbye  

 

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