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La rédaction de l'hebdomadaire Charlie hebdo. Regis Duvignau/Reuters
La rédaction de l'hebdomadaire Charlie hebdo. Regis Duvignau/Reuters

Charlie hebdo, «brûlé par les flammes de l’enfer»

L’attentat contre les locaux du journal satirique français en novembre 2011 suscite l’indifférence au Maroc, voire une certaine complaisance pour ses auteurs. Une réaction qui n'est heureusement pas unanime.

Mise à jour du 19 septembre 2012: L’hebdomadaire Charlie hebdo publie le 19 septembre des dessins satiriques représentant le prophète Mahomet, après une semaine de tensions et de violences dans le monde contre le film islamophobe L’innocence des musulmans.

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a «dans le contexte actuel» affirmé sa «désapprobation face à tout excès» tout en rappelant la liberté d’expression «dans le cadre de la loi». Il a appelé à «l’esprit de responsabilité de chacun».

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Charlie hebdo est un des rares titres de la presse française à ne pas être distribué au Maroc. Il est de ce fait assez mal connu. Le journal satirique s’y est fait connaître par la publication des caricatures du prophète Mahomet en février 2006 et parues initialement dans le quotidien danois Jyllands-Posten.

Sa une de l’époque montrait Mahomet prostré et furieux déclarant:

«C’est dur d’être aimé par des cons.»

Comme ailleurs dans le monde musulman, elle a provoqué au Maroc l’indignation et la colère au nom du respect des valeurs religieuses. La société étant majoritairement conservatrice et pétrie de religiosité.

Après ces faits, qui avaient abouti à un procès retentissant en France contre Charlie hebdo (et pour lequel il a été relaxé en 2008, ce que ses détracteurs oublient sciemment de mentionner), l’incendie d’origine criminelle qui a ravagé les locaux de l’hebdomadaire à Paris suscite de Rabat l’indifférence, voire une certaine complaisance vis-à-vis des auteurs de ce crime. «Charlie hebdo brûlé par les flammes de l’enfer» a été un commentaire très repris sur Facebook au Maroc.

Humour vs. islamophobie

Comme pour la précédente affaire, le fait que Charlie hebdo en remette une couche avec un numéro spécial rebaptisé pour l’occasion «Charia hebdo» faisant référence à la montée des islamistes en Libye et en Tunisie est perçu comme de la provocation inacceptable.

Mahomet, visiblement hilare, caricaturé en une et promettant le châtiment corporel à ceux qui ne poufferaient pas de rire, est interprété comme une expression de l’islamophobie en France, drapée des oripeaux de la liberté d’expression.

Le droit à l’humour, à la dérision, à l’offense n’est pas reconnu quand il s’agit de religion, encore moins lorsque le prophète de l’Islam intronisé rédacteur en chef du numéro est aussi représenté dans les pages intérieures affublé d’un nez rouge de clown avec cette phrase:

«Oui, l’islam est compatible avec l’humour.»

Dans le journal, on trouve aussi un «édito de Mahomet» intitulé «l’apéro halal», une double page de dessins pour expliquer la «Charia molle» ou encore un supplément «Charia madame». De quoi faire hérisser tous les poils des barbus.

Interrogé de Casablanca par Radio Atlantic, le dessinateur Charb, directeur de l’hebdo a exprimé pourtant son incompréhension vis-à-vis de «ces cons qui croient que détruire des locaux d’un journal pourrait tuer sa liberté».

Pour lui, «les vrais musulmans n’incendient pas les journaux».

Pourtant, son discours passe mal au Maroc où Charb est jugé suspect et ambivalent. Pire, insultes et diffamations à son encontre le qualifiant de «fasciste» proférées par un porte-parole des Frères musulmans en Hollande sur le 7e jour, un site égyptien basé au Caire (en arabe), sont abondamment relayées par les Facebookiens marocains.

On annonce même qu’un procès sera intenté contre Charlie hebdo avec le concours d’une brochette d’avocats tunisiens et libyens, et l’on se plaît à diffuser le message d’un site syrien (en arabe) qui relate comment et par qui celui de Charlie Hebdo a été hacké.

Ce dernier aurait été la cible d’attaques informatiques, venues de Turquie, d’Arabie Saoudite et enfin de Syrie, qui l’ont rendu temporairement inaccessible. Une vidéo postée sur ce même site relate les faits d’armes des pirates sur fond de musique et de chants jihadistes.

La théorie du complot

Bien entendu, dans cette curée, aucune référence n’est faite à l’article publié dans le même numéro consacré aux intégristes catholiques qui mettent en cause une pièce de théâtre christique à Paris.

A ce sujet, la déclaration du ministre de l’Intérieur français Claude Guéant venu soutenir le journal selon laquelle «les intégristes chrétiens, eux, ne brûlent pas» et qui déclarait en même temps que «la liberté d’expression est sacrée» fait déjà scandale.

Les internautes marocains la prennent pour preuve du double langage tenu en France, rappelant à l’occasion la phrase assassine du même ministre sur les musulmans de France lorsqu’il expliquait que «l'accroissement du nombre de fidèles (musulmans) en France pose problème».

Celle-ci avait été reçue bien plus comme un outrage, mais comme un aveu. L’aveu de la part de la République d’une incompatibilité indépassable entre Islam et laïcité, entre Marianne et Mahomet.

Aussi, la théorie du complot bat son plein sur les sites arabophones où l’on avance qu’il s’agit avant tout de relancer la polémique autour de l’Islam à la veille de la campagne présidentielle française:

«Du pain béni pour la droite et l’Extrême droite.»

Le caricaturiste Khalid Gueddar, souvent interdit au Maroc pour ses dessins jugés subversifs, estime que cette affaire «n’est pas claire».

«Elle surgit à un moment de tensions politiques en France et de ce fait rien ne peut encore confirmer qu’il s’agit d’un attentat d’intégristes islamistes.»

Ceci-dit, Gueddar souligne la gravité de l’affaire «qui donne une bien piètre image de l’Islam, une image rétrograde qui fait le lit des fanatiques de tous bords».

Le caricaturiste, dont les dessins ont été publiés à maintes reprises dans Charlie Hebdo se dit solidaire de ses confrères et devrait l’exprimer en participant à leur prochain numéro.  

Un autodafé de la libre pensée

Pour sa part Zineb El Rhazoui, journaliste franco-marocaine qui signe chaque semaine une chronique dans Charlie Hebdo parle d’un «autodafé de la libre pensée».

Dans l’édition incriminée, sa contribution est une sorte de carnet de route à travers les pays musulmans qui pratiquent la Charia. Savoureux, son «Guide du Routard de la Charia», comme elle l’a intitulé, passe en revue les mille et un préceptes de la loi mahométane qui, affirme-t-elle, «a tout prévu pour qu’aucun musulman ne désobéisse pas à Allah, de l’épilation des sourcils à la loi du Talion».

Un tour d’horizon d’ interdits aussi ubuesque que terrifiant. Son article aurait difficilement trouvé tribune au Maroc.

Pour elle, «ces fanatiques prêts à tout pour défendre leur Dieu Tout Puissant qui n’a théoriquement pas besoin d’eux pour être défendu oublient que l’humour est inhérent à l’esprit humain. Même au sein des sociétés qu’ils prétendent (à tort) représenter, à savoir les sociétés musulmanes, l’humour populaire n’a jamais épargné, ni le politique, ni le religieux».

Cette militante des libertés individuelles en connait un rayon sur le délit de blasphème au Maroc. Son mouvement, le MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles)   y est fustigé, notamment sur la question du jeûne pendant le Ramadan  parce qu’il «choque la société marocaine» et qu’il distille «des idées qui ébranlent la foi des musulmans».

Les mêmes tenants de la bondieuserie qui attaquent le MALI diront que les Musulmans sont opprimés en France et n’accepteront pas l’idée que leurs pratiques religieuses puissent tout aussi choquer là-bas.

La religion, un tabou de la presse

La thématique de la religion demeure aussi un des principaux tabous de la presse marocaine. En 2006, des manifestations étaient orchestrées par les autorités contre Le Journal hebdomadaire, un titre phare de la presse indépendante aujourd’hui interdit, accusé à tort d’avoir publié les fameuses caricatures danoises du prophète.

La même année l'hebdomadaire arabophone Nichane était censuré pour publication de blagues «attentatoires à la religion».

Pourtant, fait remarquer El Rhazoui, «ces blagues populaires se racontent sur les terrasses de cafés et dans les cours d’écoles. Ce génie populaire, lui, ne connaît pas le blasphème». Le titre a d’ailleurs été contraint à la fermeture à cause de pressions diverses venant du pouvoir.

En 2008, c’était au tour du magazine français l'Express d’être interdit. Le numéro incriminé titrait en couverture «Le choc : Jésus – Mahomet. Leur itinéraire, leur message, leur vision du monde».

Le censeur marocain reprochait à ce numéro de «porter atteinte à la religion musulmane», ce qui révèle la fébrilité de la monarchie alaouite sur les questions de liberté de culte, lorsqu’il s’agit de débattre autour de la foi, et compromet l'image de tolérance et d'ouverture au dialogue interreligieux que s'efforce de véhiculer le régime à l'étranger.

Des exemples de censure comme celles-ci abondent, mais certains journaux se battent toujours pour faire bouger les lignes.

Karim Boukhari, directeur du magazine TelQuel, en pointe au Maroc sur les sujets de société, se dit «choqué devant cette ignominie».

Lui aussi solidaire de ses confrères de Charlie Hebdo, il s’interroge avec inquiétude:

«Ce qui vient de se passer, et qui est très grave, a eu lieu en France. Qu’en serait-il si Charlie Hebdo avait été un journal arabe?»

Pour lui, le message des auteurs de l’attentat peut se résumer comme suit : «Attention, toi, touche pas à mon Islam!».

Un acte qu’il croit annonciateur d’autres «déflagrations», ce qui l’amène à son tour à exprimer une injonction contre les «ennemis de la liberté»:

«Non, le printemps arabe n’est pas en adéquation avec le printemps du fanatisme!»

Ali Amar

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

Ses derniers articles: Patrick Ramaël, ce juge qui agace la Françafrique  Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey  Maroc: Le «jour du disparu», une fausse bonne idée 

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