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Tunisie – Voyage au cœur de la musique alternative
Percer dans le milieu musical en Tunisie n’est pas chose aisée. Entre débrouillardise et manque de moyens, certains groupes comme Wajd tentent de se faire connaître.
Avant la révolution tunisienne, il était rare voire impossible de monter sur la scène prestigieuse du Théâtre municipal, sans piston ou grand nom ou une nationalité étrangère. Les jeunes musiciens et artistes tunisiens ne pouvaient rêver que d’investir les petites scènes de Tunis à l’instar de celle de la maison de culture Ibn Rachiq ou Ibn khaldoun et dans le meilleur des cas, celle de la salle du 4ème Art.
Le groupe Wajd (passion) est monté pour la première fois sur la scène du fameux théâtre le 9 janvier à l’occasion d’une cérémonie de remises de prix pour la fiction arabe. Cette reconnaissance soudaine d’un petit groupe indépendant ne s’est pourtant pas faite sans heurts et montre la difficulté des jeunes talents tunisiens à percer dans la cour des grands.
[caption id="attachment_3837" align="alignnone" width="640" caption="Le groupe Wajd sur la scène du théâtre municipal de Tunis le 9 janvier. Crédits photo: Laroussi Kerkeni"]
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Les membres de Wajd composent un groupe de jeunes passionnés

«Depuis plusieurs années, je voulais lancer un groupe musical différent de ceux qui marquent la scène tunisienne. J’ai donc, commencé à concrétiser mon idée, il y a un an et quelques mois. Et voilà que le groupe s’est formé avec des jeunes musiciens qui partagent les mêmes objectifs artistiques.» explique Marwen Abouda alias Marwen Blue, chanteur et fondateur du groupe Wajd.Maigre et les yeux bleus clairs, Marwen laisse pousser une barbe et des cheveux longs gras pour manifester un esprit révolté et unique. «Wajd est la réconciliation avec le passé. Mais il est aussi la recherche musicale continuelle d’une nouvelle identité artistique» dit-il, l’air sérieux en contradiction avec son regard rêveur. Il est presque 19h, le concert n’a pas encore commencé alors qu’il était programmé à 18h juste après la remise des prix. Entre les coulisses et le hall du théâtre municipal, membres de Wajd, fans et spectateurs commencent à s’impatienter après des dizaines de minutes d’attente. «Malheureusement, l’organisation n’a pas tenu ses promesses et nous devons commencer le concert vers 20h» explique un membre du groupe Wajd à l’une des fans qui pouvait pas rentrer tard, chez elle, pour des raisons de sécurité. Après la remise des prix, une grande polémique s’est déclenchée entre jury, éditeurs et écrivains concernant les décisions du jury. Le débat a duré deux heures entières. Résultat: plusieurs fans, ont quitté le théâtre municipal sans voir Wajd sur scène. Pourtant, le spectacle valait la peine d’attendre. Sous un éclairage bien étudié (réalisé par Marwen Blue, lui-même scénographe professionnel) batterie, Bass, guitare, flûte, piano et percussion se sont mêlés avec la voix grave de Marwen Blue pour donner des mélodies orientales révisées. Les classiques de l’éminent Sayd Darwich, «Ahouda Eli Sar» et de l’artiste engagé Chikh Imem «El baher biyedhak lih» et «chayed ousourak» ont été, renouvelés par les airs funks, hindous, du reggae et du rock. Après le Sheikh Imam, la place a été laissée à notre Sheikh Ifrite, génie de la musique tunisienne, depuis le début du siècle précédent. Marwen Blue qui chante depuis son enfance les chansons soufis avec son père artisan du chant sacré et religieux, n’a pas trouvé grande difficulté à harmoniser les différentes gammes de «Zaama el Naar », une chanson considérée parmi les plus difficiles d’interprétation. Au milieu du concert, et pour prouver leur enthousiasme, les quelques dizaines présents ont participé au show avec des applaudissements harmonieux avec les rythmes de la célèbre chanson de Hédi Jouini «kif ma yarjaa el fartatou» qui a pris des airs du jazz manouch ingénieusement mélangés à des airs latino.
«C’est un énorme plaisir de voir Wajd sur scène, ce soir. J’ai apprécié la musique et la voix de Marwen. Mais je pense qu’il leur faut beaucoup plus de travail et de répétition … il y a quelques fausses notes et quelques fois une discordance dans le jeu des musiciens… Dû aux problèmes techniques du volet sonore» Remarque Ahmed, un jeune spectateur qui a découvert l’évènement sur le réseau social Facebook.La problématique des répétitions, ne concerne pas uniquement le groupe Wajd. En effet, les jeunes groupes tunisiens trouvent une énorme difficulté de trouver un endroit pour répéter et faire avancer leurs recherches musicales.
«Nous répétons parfois dans la rue et parfois par skype … » nous confie Marwen Blue avec ironie. «Tunis et toute la Tunisie manquent d’espaces de répétition et de lieux artistiques depuis des années. Et ce n’est pas un secret! Tout le monde le sait et personne ne bouge pour changer cette triste réalité.» Ajoute-t-il avec amertume.Le concert prend fin, après un morceau musical produit par le groupe intitulé «Mir» et s’inscrit dans la sphère de la musique jazz sous le maqam «Hijaz». L’enthousiasme et l’excitation laissent un peu la place à un brin de déception dans les yeux des jeunes artistes. Le beau rêve est mutilé par l’absence du public et le mépris des organisateurs qui, sans présenter des excuses pour le retard, ont quitté les lieux avec leurs invités. «Le chemin est encore long» déclare Marwen Blue faisant allusion au parcours difficile qui attend son groupe pour arriver à toucher un large public et monter sur les grandes scènes et, pourquoi pas, participer aux festivals internationaux. Ils persévèrent pourtant dans une Tunisie où la culture s’apprend par voie associative, via des petits collectifs et des évènements intimistes en réponse au manque d’espace et de budget. Début janvier 2013, le budget du Ministère de la culture a été réduit de 5% sur les dépenses du développement des espaces culturels. De leur côté, les jeunes artistes de la scène tunisienne plus connus comme Bendir Man, Klay BBJ et Med Amine, Si Lemhaf ou encore Vipa et Armada Bizerta se sont faits connaître via les réseaux sociaux, les festivals. Bendir Man Des émissions musicales comme Zid Fessout née en octobre 2012 et diffusée sur la chaîne El Hiwar Ettounsi, leur permettent aussi d'avoir une certaine visibilité médiatique. L’émission créée par deux journalistes Aymen Rezgui et Thameur Mekki. Produite par le collectif ZAMA (Zone d’Action pour le développement artistique et médiatique), l’émission vise à promouvoir la musique «intransigeante». L'émission Zid fessout De son côté, Bendir Man, le célèbre chanteur de la révolution a monté une société de production associative Kafichanta pour faire connaître les jeunes talents et organiser des tournées. La musique «100 % tounsi» ou alternative, composée aussi bien de rappeurs que de groupes plus rock ou jazzy, semble ainsi s’affirmer depuis la révolution. En 2012, un collectif de ces artistes avait réalisé un album Enti Essout pour inciter les jeunes Tunisiens à aller voter. Engagé et souvent anticonformiste, ce genre musical cherche encore, à la manière du groupe Wajd, la reconnaissance du grand public. Enti Essout Klay BBJ et Med Amine Si Lemhaf Henda Hendoud A lire aussi: Tunisie - Révolution Tunisienne, la culture n'a eu aucun rôle La culture tunisienne fait sa révolution Les rappeurs tunisiens ont une longueur d'avance