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Les gays vont faire leur coming out
Même si elles continuent de traîner les pieds, les autorités camerounaises finiront bien par dépénaliser l'homosexualité.
L'homosexualité est devenue, au Cameroun, une source d’explication de la richesse, au même titre que les sectes ou autres sociétes secrètes traditionnelles. Les Camerounais ne sont pas systématiquement homophobes, mais la théorie du complot est une constante dans leur culture. Depuis le scandale médiatique créé par la publication dans une certaine presse des listes d’homosexuels, certaines personnes se sont curieusement radicalisées. Les Camerounais vivent-ils en dehors du temps et de l’espace, au point de vouloir dire à notre époque, vade retro? En réalité, qu’est-ce qui choque tant dans cette question de l'homosexualité? La rencontre de deux plaisirs ou la sexualité de deux adultes éclairés, quand dans le même temps, les partouzes et la sodomie se banalisent?
Dans tous les cas, l’argumentaire homophobe demeure assez faible. Certains invoquent les pratiques mystiques, comme si celles-ci n’avaient pas cours dans les relations hétérosexuelles. D'autres parlent d’enrichissement rapide (le plus sûr indicateur de corruption et de détournement de fonds publics) comme étant la principale explication à l’homosexualité. On accuse la mondialisation, en jurant par tous les dieux que l'homosexualité est une maladie bien occidentale: la belle blague! Le mevungu des fangs et le ko'o des bassa'a (ethnies du centre et sud du Cameroun) , évoqués dans une étude du sociologue camerounais Charles Gueboguo, dans la revue Sociologos en 2006, ne sont-ils pas des cérémonies initiatiques à caractère homosexuel? Dans dix ans, il s’en trouvera toujours quelques «illuminés» pour expliquer que l’homosexualité féminine ou, plus graves, la pédophilie et l’inceste, dans les années 2000, ça n’existait pas au Cameroun.
C’est d’autant plus prévisible que la confusion entre homosexualité et pédophilie par exemple est régulièrement faite dans les médias les plus sérieux. Qu'on le veuille ou non, les gays sont bien là; Pour l'heure, ils ne demandent ni à se marier, ni à adopter des enfants, ni à parader gaiement le 20 mai (jour de la fête nationale du Cameroun). Malgré tout, cela a visiblement le don d’empêcher le législateur camerounais de dormir sur ses deux oreilles.
De Gaulle, les ethnies, et la tolérance
Quel est aujourd’hui l’apport du Cameroun dans le concert des nations? De quel message spécifique pouvons-nous nous déclarer porteurs? Si cette question brûle les lèvres, c’est bien parce que c’est celle dont la réponse est la plus évidente pour tous. Le Cameroun est porteur d’un message d’espoir et de tolérance. Il n’est que de voir:
1 - Le règlement du différend frontalier camerouno-nigérian (Affaire Bakassi). Auraient-ils été des démocrates convaincus que personne n’aurait rien trouvé à redire si les présidents de ces deux pays avaient été récipiendaires du prix Nobel de la paix.
2 - Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Cameroun n’a jamais connu de gouvernement militaire. Pourtant, et pour cause, il y a eu des contestations politiques fortes, notamment au milieu des années 80 (tentative de coup d'Etat) et dans les années 90 (villes mortes).
3 - La juxtaposition pacifique de diverses religions et d'une multitude d'ethnies.
Au sujet de la France, De Gaulle aurait, dit-on, demandé un jour comment était-il possible de gouverner un pays qui comptait 258 variétés de fromage. Encore heureux! S’il avait été Camerounais, quel sort eût-il réservé aux quelques 250 langues et variantes dialectales qui s'y pratiquent, pour gouverner au mieux?
Maître NKom n’est pas seule
Le Cameroun doit rester un pays tolérant et les homosexuels ne sont pas des délinquants. Dès lors, les attaques dont maître Alice Nkom a été victime sont d’une bassesse et d’un pathétique! L’argumentaire homophobe, en l’espèce, s’était réduit en la diabolisation des 200 millions de F.CFA (305.000 euros) que l’Union européenne avait accordé à un collectif d’associations. Le contexte préélectoral a peut-être joué dans l’engagement du ministre des Relations extérieures, dont le gouvernement avait pourtant stigmatisé ceux, qui quelques années plus tôt, s’étaient livrés à la divulgation des supposées orientations sexuelles de certaines personnalités.
Le ministre des Relations extérieures avait estimé que «Le peuple camerounais n’est pas prêt, ni disposé à aller dans le sens du développement de ces pratiques sur son territoire». Défendre les plus fragilisés, revient-il à promouvoir l’homosexualité? Quelque chose dans cette comédie dépasse l’entendement. L’on a même été, c’est vrai, jusqu’à déplacer le problème et à poser la légalité de ce financement, étant entendu que la loi camerounaise de 1990 sur les associations, interdit à celles-ci de recevoir des dons. Une disposition qui, à force d’être transgressée, a pourtant fini par faire croire que l’erreur commune faisait le droit.
Entre hypocrisie et lâcheté
Les plus homophobes qui sont souvent de grands fans de football ne se sont jamais émus de ces effusions à la limite de l’indécence, qui tranchent d’avec la retenue caractéristique de «l’homme africain» (en supposant qu’il existe une caractériologie qui leur soit typique), même dans la victoire.
Ces débordements n’ont jamais scandalisé personne. On trouve acceptables les tapes appuyés de tel coach sur l’arrière-train d’Eto’o Fils, les étreintes fusionnelles sur le terrain avant le match ou pour célébrer un but, les baisers sur le crâne, les tempes, et, accidentellement on veut bien le croire, sur la bouche, la nudité dans les vestiaires, la proximité permanente dans les chambres d’hôtel, les massages thérapeutiques dans des zones fortement érogènes. Ah bien sûr il n’y a rien de sexuel! La sexualité c’est dans le lit, entre quatre murs, dans le noir. Alors pourquoi braquer les lumières du Code pénal sur ces «pratiques»?
Les diplomates, les touristes et les visiteurs étrangers au Cameroun qui seraient gays ne devraient-ils pas en toute logique être interdits de séjour? La loi veut-elle dire que l’homosexualité est tolérée tant que personne ne le sait? Les homosexuels au Cameroun se comportent en coupables, tant l’image que l’on a de soi dans une société est surtout le reflet de ce que renvoie l’entourage.
Il y a peu de peuples au monde qui aient jamais unanimement accepté cela, alors il convient, sinon de dépénaliser l’homosexualité, au moins d’accepter que les homosexuels puissent être secourus et défendus. On entend ici et là que ce ne sont pas des «gens normaux»: depuis quand met-on en prison des gens qui ne sont pas «normaux»?
Eric Essono Tsimi, Ecrivain camerounais
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