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Honneur et respect à Sarah Maldoror

Depuis quelque temps la France métropolitaine redécouvre avec intérêt et étonnement son passé colonial et ses legs multiples et parfois conflictuels. Les questions identitaires, longtemps interdites de cité, passionnent aujourd’hui un grand nombre de Français, souvent d’ascendance antillaise ou africaine mais pas seulement - fort heureusement. Je me dis que la grande et modeste Sarah Maldoror doit accueillir ce petit vent nouveau avec soulagement. Et avouons-le de suite, j’aurais voulu avoir une Sarah Maldoror comme mentor ou comme maman. Je ne l’ai rencontrée qu'une fois ou deux à Paris, en compagnie de Maryse Condé, notre lien commun. Chaque fois, je l’admirais en silence, à distance. Sa crinière léonine – un signe distinctif qu’elle partage avec son amie Angela Davis et avec le combatif Wole Soyinka – et son parcours forcent le respect. Femme de tous les combats Tout à la fois guadeloupéenne, française, africaine, antillaise et angolaise, Sarah Maldoror fait partie de ces esprits rebelles et créateurs qui n’ont jamais pu trouver en France le vent nécessaire pour la taille de leur voilure artistique et politique. Née en 1938 à Candou dans le Gers, Sarah Maldoror est une pionnière du cinéma africain et du cinéma antillais et de la télévision française. Passionnée de cultures noires, membre fondatrice de la troupe de théâtre, Les Griots, avec Toto Bissainthe, Ababacar Samb, Bassori Timité et quelques autres comédiens noirs aujourd’hui oubliés, elle fit ses études de cinéma au VGIK à Moscou où elle rencontrera Ousmane Sembene. Son premier documentaire Monagambé (1969) sur les tortures en Algérie lui vaut plusieurs prix et des solides inimités à Paris. La réalisatrice, directrice et productrice est vite reconnue pour les films qu’elle a réalisés en Afrique dont son chef d’œuvre Sambizanga (1972), palme d’or à Carthage. Ce film vient d’être mis en ligne gratuitement sur YouTube. Ses oeuvres, le plus souvent des documentaires, tournées en Algérie, au Cap-Vert, en Guinée Bissau et en Angola illustrent les luttes de libération en Afrique. Compagne du poète angolais Mario Pinto de Andrade (1928-1990), le leader historique du MPLA (mouvement de Libération de l’Angola), proche d’Amilcar Cabral, Sarah Maldoror n'a jamais fait mystère de son engagement politique qui n’étoffe en rien son talent artistique. Mieux, elle s’inscrit pleinement dans un courant cinématographique aux ramifications planétaires connu pour son soutien aux opprimés et ses élans utopiques : le cinéma internationaliste qui compte dans ses rangs des géants comme René Vautier, Gillo Pontecorvo et autres Chris Marker pour ne citer que quelques noms. Et c’est sans surprise que nous retrouvons Sarah Maldoror assistant Gillo Pontecorvo sur son inoubliable long métrage La Bataille d’Alger (1966) longtemps introuvable en France parce qu’interdit par les autorités. Sous le signe de Lautréamont S’il y a bien un voile de mystère sur la carrière et la biographie de Sarah Maldoror, il est surtout de nature éthique et poétique. Et pour cause, la Guadeloupéenne s’est choisi tôt un patronyme hors du commun puisé dans l’œuvre du poète maudit Isidore Ducasse connu sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont. Les Chants de Maldoror est le titre d’une des fleurs les plus vénéneuses de la littérature française et son auteur un précurseur d’Arthur Rimbaud et des poètes surréalistes. Une femme se réclamant d’un tel personnage maléfique aux pouvoirs surnaturels ne peut que vous séduire sur le champ ou vous glacer le sang. Amie des artistes Du Comte de Lautréamont à Aimé Césaire à qui elle a consacré pas moins de cinq films, Sarah Maldoror reste l'amie et la muse des poètes. Elle voit le monde à travers leurs yeux. Avec son mari Mario de Andrade, elle a co-écrit le scénario de Sambizanga à partir d'une nouvelle d'un autre grand écrivain angolais, Luandino Viera. La native du Gers a consacré toute son énergie pour faire connaître cette fratrie. Jugez-en plutôt : elle a tiré le portrait de Léon-Gontran Damas, de René Depestre, de Louis Aragon, de Robert Doisneau ou de son amie de longue date, Toto Bissainthe. Tardive reconnaissance Il y a quelques mois le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, a une excellente idée en lui remettant les insignes de Chevalier dans l’ordre national du Mérite. Dans son discours, Mitterrand s'est montré pédagogue, chaleureux et inspiré comme de coutume. Mais le plus étonnant est la réponse de la réalisatrice aux 30 films. Elle prend le micro tendu avec insistance par le ministre pour dire non pas « Je » comme on le fait habituellement lors de ce type d'occasion ou des cérémonies des Oscars, Cesars et autres Grammy Awards mais pour dire : « Nous ». Un nous définitif et collectif, solidaire et dynamique. Et ça, c’est une très grande leçon d’humanité en ces temps marqués par le règne de l'individualisme outrancier et par les dérives de l'égotisme sans bornes. Oné et respè, chère Sarah Maldoror !

Slate Afrique

La rédaction de Slate Afrique.

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