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Montage de trois photos par Aude Lorriaux.
Montage de trois photos par Aude Lorriaux.

Une photo comme celle d’Aylan Kurdi peut-elle changer le monde?

La célèbre photo de la petite fille et du vautour prise lors de la famine au Soudan en 1993 n'avait pas changé grand-chose.

Après la parution de la photo montrant un enfant syrien échoué sur le sol turc, la question était dans de nombreuses têtes: ce cliché particulièrement émouvant va-t-il changer quelque chose à la crise des migrants? Difficile à dire, mais on a étudié le cas d'une très célèbre photographie prise en 1993 au Soudan pour tenter de répondre à cette question.

C’est une photo très connue, qui, par ce vautour observant cette petite fille squelettique, symbolise la famine au Soudan. Prise en 1993 par le photographe Kevin Carter, publiée le 26 mars 1993 dans le New York Times, elle permettra à son auteur de décrocher un an plus tard le prix Pulitzer mais déclenchera aussi une polémique sur l’éthique dans le photojournalisme. Un éditorial a même dû être publié quelques jours plus tard par le quotidien américain pour préciser que l'enfant avait été ensuite amené au centre d’approvisionnement alimentaire voisin (dont il n’était en fait pas très éloigné).

Il est indéniable que cette photo a déclenché une prise de conscience. «La tragédie dan le sud du Soudan parvient lentement aux yeux du monde», écrit un mois après la publication de la photo, le 21 avril 1993, le journaliste du Baltimore Sun Doug Struck. Elle a sans doute aussi aidé à faire affluer les dons vers la région. Mais cette prise de conscience et cet argent ont-ils suffi à mettre fin à une famine, dont les rouages –liés notamment aux perturbations politique et aux réseaux de transport– sont très complexes?

En 1993, la seconde guerre civile soudanaise, qui oppose l’Armée populaire de libération du Soudan et le gouvernement, dure depuis déjà dix ans. Un programme alimentaire, baptisé «Survie au Soudan», a été mis en place en 1989 par l’Unicef, le Programme alimentaire mondial et trente-huit organisations indépendantes de secours humanitaires. Selon un rapport de l'organisation humanitaire Human Rights Watch (HRW), il y a eu une augmentation de l’aide humanitaire en 1993, mais elle n’a rien à voir avec cette photo. La raison est d’abord politique, avec l’ouverture à partir de 1992 de l’accès à de nombreuses parties du territoire qui étaient auparavant interdites aux humanitaires par le gouvernement soudanais. Ce n’est donc pas la photo qui provoque l’afflux de travailleurs humanitaires, mais l’afflux de travailleurs humanitaires dans ces zones qui rend plus visible la famine aux médias et, in fine, à l'opinion publique.

Un mois après la parution du cliché, la situation n’avait par ailleurs pas beaucoup bougé sur place. «Les vautours semblent rire pendant que la planète continue de tourner. Plus personne ne veut entendre que des gens meurent de famine en Afrique. Mais les gens qui meurent de faim sont toujours là», constate Doug Struck.

Aude Lorriaux

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