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L'autre visage de la justice
Au Sénégal, la plupart des tribunaux sont engorgés. Pour arbitrer les conflits, une nouvelle forme de médiation se développe dans les quartiers populaires.
Peur de porter plainte? Résoudre une querelle entre voisins? Au Sénégal, les Maisons de justice proposent un règlement alternatif et moins procédurier que les tribunaux classiques. Une justice de proximité somme toute, basée sur la parole, et qui semble gagner du terrain.
Dans une salle quasiment vide, Pape Alassane Paye, un magistrat à la retraite, reçoit deux femmes d’âge mûr. Les deux dames se regardent à peine. Elles ont les traits tirés. Une fois encore, le médiateur doit trancher une affaire de tontine qui a mal tourné. La scène se déroule à la Maison de justice des HLM, un quartier populaire de Dakar, la capitale du Sénégal.
Justice de proximité pour endiguer les lenteurs des tribunaux
Sans avocat ni témoin, tous trois doivent arriver à une solution pacifique. Le médiateur écoute attentivement chaque version des faits, pose par moments quelques questions pour se forger une opinion sur le contentieux.
«Nous essayons de régler les différends dans un délai assez court», affirme Pape Alassane Paye. «Quand nous recevons ces dossiers, poursuit-il, nous les abordons dans la semaine en cours et nous convoquons aussitôt les personnes en conflit. A l’inverse, avec les juridictions classiques, tout le monde sait que cela prend du temps».
Son rôle consiste à trouver un consensus à des litiges, des querelles et des vols qui divisent bien souvent les habitants d’un même quartier.
A la fin de chaque audience, le médiateur consigne dans un grand carnet les engagements de deux parties en conflit. Pour Ndèye Saly, qui s’est finalement résolue à rembourser une dette, la parole du médiateur est importante.
«Je vais restituer l’argent qu’on m’accuse d’avoir substitué afin de ne pas créer de problèmes à ma famille et à mes connaissances», explique-t-elle. «J’ai accepté de participer à cette médiation simplement parce que j’ai confiance en le médiateur. J’applique donc ses décisions», ajoute-t-elle l’air un peu déçu de l’issue de son audience.
Il existe neuf Maisons de justice au Sénégal. Elles ont été créées en 2004 pour désengorger les tribunaux classiques. L’ouverture d’un dossier est gratuite. C’est en quelque sorte un mode alternatif de règlement des affaires civiles.
En 2009, six maisons de justice avaient reçu 4.200 demandes d’informations et 2.500 saisines pour des médiations.
Un outil de prévention et de vulgarisation
Outil de conciliation, la médiation «repose sur la tradition de l’arbre à palabres et de solutions consensuelles dans la résolution des conflits», explique Jordi Ferrari, chargé de mission Justice de proximité et accès au droit à l’ambassade de France à Dakar.
«Les gens issus des milieux "défavorisés", qui sont parfois analphabètes et n’ont pas beaucoup de revenus ont dû mal à appréhender l’idée d’une justice: le juge, le tribunal, la prison… Tout cela leur paraît assez confus et ils ont peur de la justice», affirme ce conseiller juridique.
«D’où l’idée d’implanter ces structures qui ont vocation de prévenir la petite délinquance, à travers des services d’accès au droit et une série de vulgarisation à travers des causeries dans les quartiers», ajoute Jordi Ferrari.
En banlieue de Dakar, la Maison de justice des Parcelles Assainies [quartier populaire de Dakar, ndlr] ne désemplit pas.
Etudiante congolaise, Flore Miala a bon espoir de récupérer les bijoux qu’une amie lui a volés. Il y a bien sûr les échos, les appréciations positives qu’elle a entendues au sujet de ces instances de conciliation. Et puis, elle accorde une entière «confiance aux décisions que prend le médiateur», glisse-t-elle en notant la date de son prochain rendez-vous.
Pour autant, il n’est pas si aisé de trouver un compromis, car les conclusions de la médiation ne sont pas soumises à des contraintes juridiques. Benjamin Ndèye, qui coordonne la Maison de justice des Parcelles Assainies le constate tous les jours, l’engagement oral n’est pas toujours fiable:
«Trancher un litige par une médiation est toujours compliqué, constate ce jeune diplômé en droit. Nous n’avons pas la compétence d’exiger un mandat de dépôt à l’endroit de la partie qui doit s’exécuter au profit de l’autre.»
Outre la médiation, ces structures présentent un autre avantage: elles constituent un lieu d’information au droit. «Les gens viennent aussi pour s’informer: ils veulent connaître les procédures d’un divorce, savoir comment porter plainte, comment obtenir un casier judiciaire, un certificat de nationalité», témoigne Ousmane Barry, le coordonnateur de la maison de justice des HLM.
Bineta Diagne