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Un opposant mange un poster à l'effigie d'un candidat pro-Museveni, en Ouganda. © Ines Della Valle, tous droits réservés.
Un opposant mange un poster à l'effigie d'un candidat pro-Museveni, en Ouganda. © Ines Della Valle, tous droits réservés.

Museveni, lendemain de fête difficile

Yoweri Museveni a été réélu président de l'Ouganda le 27 février, mais le scrutin est contesté et ses opposants ne désarment pas.

Yoweri Museveni a été réélu officiellement le 27 février président de l’Ouganda, avec plus de 68% des voix. Un scrutin contesté mais avalisé par la commission électorale.

Cependant, les oppositions —dans un contexte de révolution des pays arabes africains et d’exaspération d’une frange de la population— semblent résolues à démettre Museveni. Contrairement à ce qui s’était passé lors des précédents scrutins en 2001 et 2006.

Simon n’en démord pas: «L’élection présidentielle s’est déroulée librement et sans fraude». Le boda-boda (moto-taxi) est sûr de lui, autant que la course entre le centre-ville et le vieux Kampala est de 2.000 shillings (17 euros), «pas moins, mon frère».

Il s’étonne: «On vous a dit le contraire ?» Ironie, cette conversation se tient juste en face de la Mosquée nationale Kadhafi, le jour du discours halluciné du «Guide» libyen sur la révolte qui secoue son pays.

Ironie car des fraudes, il y en a eu dans cette élection présidentielle. Tout le monde, exceptés les partisans de Yoweri Museveni, en convient —à commencer par les observateurs internationaux.

Dans leur rapport préliminaire, les quelques 120 observateurs européens se félicitent que «la liberté d’expression ait été (…) globalement respectée» mais déplorent une distribution massive d’argent et de cadeaux de la part des candidats, «incompatible avec les principes démocratiques».

Le responsable de la mission électorale de l’Union africaine, Gitobu Imanyara, a dénoncé des registres électoraux incomplets, dans lesquels manquaient le nom de nombreux électeurs.

Frobisher Lwanga lui, était bien inscrit. Il a pu voter pour son favori, Norbert Mao (du Parti démocratique, un conservateur). Mais il précise aussitôt: «Je suis resté pour le dépouillement. Mon candidat n’a eu aucun vote!» L’acteur de théâtre ponctue son histoire d’un rire franc, en habitué de la tragi-comédie.

L'opposition conteste les résultats

De nombreuses histoires de ce type circulent dans Kampala. Le principal opposant à Yoweri Museveni, Kizza Besigye, est arrivé le 25 février à son bureau de poste habituel au stade Rugungiri. Son nom n’y était répertorié. Il l'a finalement trouvé dans un bureau de vote voisin… Kizza Besigye a d’ailleurs catégoriquement rejeté l’élection.

En 2006, il était allé devant la Cours suprême pour invalider le scrutin. Les juges, après avoir confirmé des irrégularités, ont validé les résultats par quatre voix contre trois.

Cette fois, Kizza Besigye refuse de passer par la justice. «Nous consultons les acteurs politiques, religieux et la société civile sur la façon de mettre un terme à ce gouvernement illégal», a-t-il expliqué, le 28 février, en conférence de presse. Mais il a refusé d’appeler ouvertement ses partisans à marcher dans la rue.

Depuis le 28 février, les rues de Kampala sont à nouveau bondées de camions de marchandises, après quatre jours de calme pendant lesquels de nombreux magasins avaient baissé leurs rideaux. L’armée et la police étaient présentes en force pour contenir tout embryon de contestation.

Des tentatives de contestation mort-nées

Blasé, un boda-boda explique:

«C’est toujours comme ça ici. Tout le monde sait qu’il y a des fraudes, mais le président [Museveni] est toujours élu et puis personne n’en parle plus.»

Des tentatives de contestation ont cependant eu lieu. Sur Facebook, le groupe Museveni Must Resign avait appelé, le 27 février, à manifester au City square pour renverser le président en place. En vain. La peur de l’uniforme sans doute.

Le Dr Fredrick Kisekka Ntale, professeur à l’Institut de recherche social de l’Université de Makarere de Kampala, pointe une autre raison:

«En Ouganda, les manifestations durent environ deux, trois jours. Pas plus, car au-delà, les gens retournent travailler pour pouvoir se nourrir. Un scénario comme en Egypte avec une mobilisation longue me semble difficilement envisageable.»

Une situation démographique désespérée

L’universitaire relève toutefois des points communs avec l’Egypte ou la Tunisie: une population jeune (27% des Ougandais ont entre 15 et 30 ans) et sans emploi, malgré des diplômes. «Ces aspects démographiques et économiques peuvent changer la donne», nuance Fredrick Kissake Ntale même s’il n’y croit pas vraiment.

Moussoke Amisi appartient à ces jeunes au chômage. En 2008, il a obtenu sa licence en management «spécialité finance», insiste-t-il. Depuis, pour gagner sa vie, il a rejoint la légion des vendeurs de rue. Bonbons, stylos, cartes de téléphone portable prépayées; il vend de tout sur la grande artère de Luwum.

«Je ne suis pas le seul dans ce cas. Le problème avec le système de Museveni, c’est que si on n’appartient pas à la bonne ethnie [Museveni appartient à l’ethnie des Banyankole, dans l’ouest du pays, ndlr], si on n’a pas une famille connue ou si on n’a pas d’argent pour verser un pot-de-vin, c’est impossible d’avoir un travail.»

Exaspéré par cet ethnicisme, Moussoke Amisi a décidé de rejoindre le Forum pour un changement démocratique, le parti de Kizza Besingye. La révolution? «J’y suis prêt mais je ne bougerai que si mes dirigeants le veulent.»

A ses côtés, Ronald Ssematimba, qui partage la même pièce que Moussoke Amisi avec quatre autres personnes, le coupe:

«Il faut y aller maintenant! Moi, quand on me parle de travail, je rigole. La situation est vraiment douloureuse. Et c’est à nous [les jeunes éduqués] de mener la fronde.»

Le ton est déterminé et marque quatre ans de frustration. Ronald Ssematimba vient de passer la trentaine. Il est diplômé en ingénierie civile depuis 2006, mais passe ses journées sur sa moto à jouer les bodas-bodas.

«Je veux avoir des enfants, poursuit-il. Mais pour ça j’ai besoin d’un vrai travail pour leur assurer un avenir. Si ce n’est pas maintenant, ça sera trop tard pour moi.»

Si la situation est tellement désespérée, pourquoi ne sont-ils que 57 à «aimer» la page Facebook Museveni Must Resign?

«C’est l’histoire du coût d’opportunité en économie, révèle Moussok Amisi. Quand tu as 1.000 shillings (30 centimes d’euros), soit tu les dépenses pour manger un chapati (pain local) avec des haricots, soit tu passes 40 minutes sur Internet. Les gens préfèrent manger.»

John (le prénom a été modifié) sait mieux que quiconque que le mouvement de contestation sur le web n’a pas (encore?) l’ampleur de ce qu’il a été en Tunisie ou en Egypte. Il est l’un des internautes les plus virulents sur la page Facebook.

Il y croit pourtant et décrit une révolution que n’aurait pas reniée Trotski.

«On a besoin que d’une centaine de personnes qui formeraient le noyau dur pour soulever le pays. Il faut commencer par les villes moyennes pour montrer qu’il n’y a pas que Kampala (la capitale, fief de l’opposition) qui se rebelle.»

Museveni reste pour le pétrole

Consultant en management, il imagine son pays enfin débarrassé de Museveni et profitant de la manne pétrolière. Car l’enjeu est politique, mais également économique.

Le sous-sol de la région occidentale du lac Albert contiendrait une réserve pétrolière de 2,5 milliards de barils de pétrole, ce qui pourrait rapporter à l’Etat environ 2 milliards de dollars (1,45 milliards d'euros) par an pendant vingt ans. Une manne à comparer aux 2,4 milliards de dollars (1,74 milliards d'euros) de budget annuel.

Avec un tel flux d’argent en perspective, guère étonnant que Museveni tente par tous les moyens de conserver le pouvoir. Et que l’opposition, politique et sociétale, refuse de rendre les armes: «D’ici fin mars, assure John, Museveni ne sera plus président».

Mathieu Galtier

Mathieu Galtier

Mathieu Galtier, journaliste français installé au Sud Soudan.

Ses derniers articles: Tripoli FM, la radio qui veut faire oublier Kadhafi  La longue marche des noirs en Libye  Bani Walid à l’heure de la reconstruction 

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