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Afrique du Sud: croisade ratée contre la corruption
Jacob Zuma a limogé, le 24 octobre, deux ministres et suspendu le chef de la police. Une action d’éclat, pour redresser l’image d’un pouvoir corrompu.
Jacob Zuma n’est pas entré dans les détails. Il n’a pas expliqué pourquoi il a limogé le 24 octobre Gwen Mahlangu-Nkabinde, ministre des Travaux publics et Sicelo Shiceka, ministre de la Gouvernance coopérative et des affaires traditionnelles, et suspendu le chef de la police, Bheki Cele. Des sanctions sans précédent en Afrique du Sud. Les deux ministres avaient été incriminés par Thuli Madonsela, une femme de 49 ans qui monte en puissance ces derniers mois dans ses fonctions de public protector, un poste sans équivalent dans le système français.
En Afrique du Sud, le public protector est nommé pour sept ans par le président de la République, sur recommandation du Parlement, pour enquêter sur les affaires de corruption dans l’administration. Thuli Madonsela, juriste chevronnée, se montre intraitable. Elle a sommé en août dernier le président Zuma de prendre des sanctions contre ses ministres responsables de “mauvaise gestion”.
La ministre des Travaux publics a commis l’erreur de donner son feu vert à un contrat de location d’un montant de 1,6 milliard de rands (160 millions d’euros) pour le siège de la police à Durban, alors que les procédures d’appel d’offres n’ont pas été respectées. La même dérive avait été observée pour la location du siège de la police à Pretoria, sans aucune intervention de Bheki Cele, le directeur de la police. Quant à Sicelo Shiceka, il a dépensé 100 000 euros de deniers publics pour ses déplacements, dont un voyage en Suisse pour rendre visite à une petite amie, emprisonnée pour… trafic de drogue.
L’image du président minée par la corruption
La corruption est au coeur du débat politique en Afrique du Sud. Elle mine l’image du président lui-même. Jacob Zuma a en effet été poursuivi par la justice, en 2006, pour avoir accepté des pots-de-vin dans la négociation des contrats d’armement passés fin 1998 par le gouvernement de Nelson Mandela. Un soupçon qui entache toujours sa réputation, bien que ses amis aient convaincu une partie de l’opinion que les deux procès (pour viol et pour corruption) qui lui ont été intenté sous la présidence de Thabo Mbeki l’ont été pour des raisons politiques.
Desmond Tutu, qui joue le rôle de conscience morale de l’Afrique du Sud, avait exhorté Jacob Zuma en 2006 à ne pas briguer la succession de Mbeki. L’archevêque et Prix Nobel de la Paix avait expliqué qu’il ne pourrait pas garder «la tête haute» dans un pays dirigé par un homme soupçonné de viol et de corruption. Zuma avait été acquitté pour viol en 2006, puis les chefs d’inculpation pour corruption pesant contre lui avaient été levés par la justice, pour cause d’interférences politiques, en septembre 2008, quelques mois avant son élection à la présidence. Mais le soupçon pèse toujours. Et ce n’est pas un hasard si Jacob Zuma a aussi formé, le 24 octobre, une nouvelle commission d’enquête autour des fameux contrats d’armement. Il veut, une fois de plus, blanchir son nom.
La corruption gangrène la société sud-africaine de manière inquiétante. Sous Thabo Mbeki, déjà, les policiers ont commencé à arrêter les voitures pour demander des billets de 20 rands (2 euros), de quoi arrondir leurs fins de mois. Le gouvernement n’était pas resté sans réagir, déclarant une politique de “zéro tolérance” et frappant au sommet - sans pour autant parvenir à inverser la tendance à la base, et notamment à l’échelle des collectivités locales.
Tony Yengeni, ancien chef du groupe parlementaire du Congrès national africain (ANC), avait été condamné en janvier 2003 à quatre ans de prison ferme, pour avoir acheté une 4x4 Mercedes à prix cadeau, grâce aux 47% de discount offerts par le constructeur European Aeronautic Defence Systems (EADS). Une transaction passée pendant la négociation des contrats d’armement, entre 1996 et 1998, alors qu’il était membre du comité parlementaire chargé de suivre la négociation des mêmes contrats.
Laxisme en faveur de Winnie Mandela et des autres dignitaires de l'ANC
Malgré ce cas, qui se voulait exemplaire, le message de fermeté n’a pas été pris très au sérieux, à l’intérieur même de l’ANC. Et pour cause: Tony Yengeni n’est resté que cinq mois en prison et n’a jamais fait l’objet de procédures disciplinaires au sein de son parti. Loin d’avoir été exclu, il reste au contraire un membre influent du pouvoir, en tant que membre du Comité exécutif national (NEC) de l’ANC. Le même laxisme a prévalu pour Winnie Madikizela-Mandela.
L’ex-femme de Nelson Mandela a été condamnée en 2003 pour fraude et contrainte à démissionner de ses fonctions de députée, présidente de la Ligue des femmes de l’ANC et membre du NEC. Quatre ans plus tard, elle était de nouveau élue membre du NEC, puis autorisée par la Commission électorale indépendante (IEC) à se présenter pour un mandat de député.
Shabir Shaik, ancien conseiller financier de Jacob Zuma, a été condamné le 8 juin 2005 à quinze ans de prison pour corruption et fraude. Il a été reconnu coupable d’avoir sollicité un pot-de-vin au nom de Zuma auprès du groupe français Thomson CSF, rebaptisé Thales en 2000. Ce verdict avait conduit Thabo Mbeki à limoger Jacob Zuma de son poste de vice-président de la République, le 14 juin 2005. Après plusieurs procédures en appel, Shabir Shaik a commencé à purger sa peine fin 2006. Puis bénéficié d’une libération conditionnelle pour raisons médicales, en mars 2009, sous prétexte d’une maladie cardio-vasculaire qui ne l’a pas empêché d’agresser deux personnes depuis. Autre exemple d’un certain laxisme: Siyabonga Cwele, actuel ministre de la Sécurité, a conservé son poste malgré la condamnation de sa femme, en mai dernier, à 12 ans de prison ferme pour trafic de drogue.
Enquête sur les contrats d’armement
On se perd en conjectures, en Afrique du Sud, sur la volonté politique, réelle ou pas, du côté de Jacob Zuma, de relancer l’enquête sur les contrats d’armement. On en oublierait presque que l’un des principaux garde-fous anti-corruption a disparu voilà bientôt trois ans. L’unité d’enquête d’élite des Scorpions, formée en 2001 sous Thabo Mbeki, rassemblait 500 des meilleurs experts du pays. Cette équipe de haut vol n’avait pas hésité à perquisitionner au domicile de Jacob Zuma, de Shabir Shaik et de Mac Maharaj, ancien ministre des Transports du gouvernement Nelson Mandela et actuel porte-parole de Jacob Zuma. Malgré leur popularité, les Scorpions ont été démantelés en janvier 2009 par Kgalema Mothlante, président par interim, aujourd’hui vice-président de la République.
Aux Scorpions ont succédé les Hawks, des Faucons bien moins piquants. Cette unite d’élite, désormais intégrée aux services de police, a beaucoup perdu en autonomie. Elle a commencé par clore les enquêtes sur Jacob Zuma et ses alliés dans le cadre des contrats d’armement. En revanche, les Hawks ont ouvert fin août une enquête contre Julius Malema, le président de la Ligue des jeunes de l’ANC. Lui aussi soupçonné de corruption, il se trouve désormais dans le collimateur de la justice et du pouvoir – deux entités qui ont parfois du mal à fonctionner séparément, en Afrique du Sud.
Sabine Cessou
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