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Un magazine français piraté à cause d'une enquête sur le Rwanda?

Mise à jour du 27 octobre: Le directeur de publication du mensuel Causette a déposé plainte contre X le 25 octobre dans un commissariat parisien pour «accès frauduleux dans le système de traitement automatisé de données ainsi que pour suppression de fichier». Selon le directeur de Causette, Grégory Lassus-Debat, l’incident s’est produit le 19 octobre lors du bouclage du magazine qui contenait une enquête avec deux nouveaux témoignages de présumées victimes de viols par des militaires français de l’opération Turquoise au Rwanda.

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En juin 2011, 17 ans après le génocide au Rwanda, l’opinion publique française apprenait que trois femmes Tutsi avaient porté plainte contre X devant le tribunal aux armées de paris (TAP) pour «crime contre l’humanité» et «participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime contre l’humanité». Une plainte qui vise des soldats français de l’opération Turquoise, opération décidée par l’ONU et censée justement mettre fin au génocide et protéger les populations civiles.

Venues spécialement du Rwanda pour être entendues par la justice militaire française, les trois plaignantes s’étaient vu signifier la veille de leur audition le report de celle-ci pour un problème de santé du juge, et sont aujourd’hui toujours en attente d’une nouvelle convocation.

Après un bref moment d’attention médiatique, l’affaire est depuis retombée dans l’indifférence. Mais une enquête du magazine Causette à paraître mercredi 26 octobre devrait refaire parler de ce dossier sensible. Le magazine qui se décrit comme «plus féminin du cerveau que du capiton» a décidé de «partir sur les traces des anciens rescapés de Nyarushishi», le camp de réfugiés Tutsi où deux des plaignantes affirment avoir été agressées par plusieurs soldats français.

Les journalistes Leila Minano et Julia Pascal rapportent les témoignages de deux autres femmes qui affirment avoir été violées par des militaires français. Marie-Jeanne, dont le nom a été changé, raconte ainsi comment elle a été violée deux fois en une semaine, restant trois jours sans eau ni nourriture dans une tranchée après la deuxième agression. Irène, une paysanne d’un «village haut perché», relate son expérience:

«Un des trois militaires m’a brisé l’auriculaire, m’a jetée sur le lit et m’a violée. Quand le premier eut fini, l’autre m’a violée aussi. Le troisième assistait, il ne semblait pas intéressé.»

Ces témoignages, comme ceux des trois plaignantes, sont un enjeu majeur alors qu’une commission d’enquête rwandaise accuse la France, à l’époque alliée du régime hutu qui a perpétré le génocide de 1994 contre les Tutsi, d’avoir été au courant des préparatifs du massacre et même d’y avoir participé, et que le président rwandais Paul Kagamé reproche à Paris de ne pas avoir été une «force impartiale» comme le réclamait le mandat de l’ONU. La France accuse quant à elle Kagamé d’avoir ordonné d'abattre l’avion de l’ancien président Habyarimana, élément déclencheur du génocide. Dès lors, le soupçon pèse sur ces femmes et leurs témoignages, passés au crible alors qu’aucun juge ne les a encore entendues.

On peut simplement souligner que Causette a retrouvé ces nouveaux témoignages après «plusieurs semaines d’enquête», et qu’Irène et Marie-Jeanne ignorent «tout de la procédure en cours» et ne sont pas prêtes «à porter plainte et à s’afficher dans un pays où les victimes de viols sont mises au ban de la communauté». Ou encore que les experts psychologiques qui ont examiné les trois plaignantes ont conclu qu’elles n’avaient pas cherché à «influencer ou manipuler l’auditeur», et n’apparaissent pas elles-mêmes «influençables ou manipulables».

Les responsables militaires français, s’ils reconnaissent à demi-mots que des femmes ont pu vendre leur corps à des soldats français contre de la nourriture, nient en bloc les accusations de viol systématique. Le colonel Jacques Hogard, qui commandait le secteur du camp de Nyarushishi, a déclaré à Causette:

«Il peut y avoir des saloperies limitées derrière une haie. Si cela a existé, ce sont des cas isolés, pas un système. J’ai même été averti quand des légionnaires avaient volé des caisses de bière. Le moindre incident remonte au chef. Alors des viols…»

La différence entre viol isolé et viol systématique est en effet primordiale: l’article 3 des statuts du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) stipule qu’est reconnu comme crime contre l’humanité tout viol commis «dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique» contre une population.

Lu sur Causette

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