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Ce que l'affaire Omar el-Béchir révèle de l'impuissance de la CPI
Le président soudanais, recherché pour génocide par la Cour pénale internationale, est reparti lundi d'Afrique du Sud sans attendre que la justice sud-africaine ne statue sur une demande d'arrestation.
C'est ce qu'on appelle un camouflet.
Samedi 13 juin au soir, Omar el-Béchir est arrivé à Johannesburg pour participer au 25e sommet de l’Union africaine (UA). Au même moment, à des milliers de kilomètres de là, à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI) appelait les autorités sud-africaines à l’arrêter. Le président soudanais est en effet visé, depuis 2009 et 2010, par deux mandats d’arrêt internationaux: un pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le second pour génocide.
Mais le gouvernement sud-africain et Omar el-Béchir ont fait comme si de rien n'était.
Sans surprise, Omar el-Béchir a quitté le pays alors que la justice sud-africaine lui avait interdit. Le président Jacob Zuma n'a rien fait.
— Sébastien Hervieu (@Seb_Hervieu) 15 Juin 2015
L'avion du chef d'Etat soudanais a redécollé lundi matin, sans même attendre que le tribunal de Pretoria ne statue sur l’affaire. La justice, saisi par une ONG, avait pourtant rendu un jugement demandant au gouvernement sud-africain d’empêcher Omar el-Béchir de quitter le territoire national tant que la justice sud-africaine ne s'était pas prononcée sur la demande d’arrestation du président soudanais formulée par la CPI.
Une illustration de la faiblesse politique de la Cour pénale internationale. "Le cas Omar el-Béchir souligne la faiblesse intrinsèque de la CPI", analyse Phil Clark, professeur à la School of Orientals and Africans Studies de Londres, dans Libération.
"Celle-ci peut enquêter sur des crimes et émettre des mandats d’arrêts, mais dépend des gouvernements de chaque pays pour faire ces arrestations. Le gouvernement soudanais a refusé de coopérer avec la CPI depuis le premier jour, notamment en empêchant ses enquêteurs de mettre un pied dans le pays. Toutes les investigations de la Cour pénale internationale sur les crimes du Darfour ont été conduites à distance, surtout grâce à des informations récoltées auprès des Darfouris qui ont fui le pays."
La condamnation Omar el-Béchir est pourtant un symbole fort. C'est le premier chef d'Etat africain dans l'excercice de ses fonctions qui a été inculpé par la Cour. Mais pour de nombreux pays africains, la CPI n'est qu'un jouet à la botte des pays développés - la Cour n'a jamais poursuivi de dirigeants occidentaux.
Avant de se déplacer à Johannesburg, le président soudanais avait d'ailleurs reçu toutes les garanties requises du gouvernement sud-africain. Officiellement présent pour le sommet de l’Union africaine (UA), il est protégé par le «host agreement» que passe l’UA avec les pays membres organisant les sommets délocalisés, explique Jeune Afrique. Ce texte, largement consacré aux questions logistiques, affirme aussi que les pays hôtes s’engagent à garantir la sécurité et l’immunité des participants.
À croire qu'en Afrique du Sud, beaucoup ont oublié ces mots écrits par Nelson Mandela dans le magazine Foreign Office en 1993:
"Les considérations de justice et du respect du droit international devraient guider les relations entre nations."
Lu sur Libération, Jeune Afrique, Daily Maverick